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Dans son précédent livre, un essai sur l’histoire et les mutations du livre et de tous ces objets indifféremment qu’on les nommes qui accueillaient l’écrit (de la tablette de cire ou d'argile à la tablette numérique), François Bon devait toucher du doigt ces mouvements constants par lesquels le monde se digère et se reconstitue, consommant son présent dans sa fabrique même. Il en sait quelque chose, lui, l’adepte des machines depuis le tout début, l’obsolescence des outils, les ordinateurs qu’il vous faut changer tous les deux ans parce qu’ils vous entrainent dans leur retard sur le présent et puis que ça s’use ces choses là et rare que ça se répare. Alors des objets, on en laisse pas mal dans son sillage, certains devenus en quelques années à peine, archaïques, d’autres dans leurs formes, leurs matériaux, les usages auxquels ils renvoient, résolument d’une autre époque : vintage, on dit aujourd’hui. A y faire retour se dessine votre propre trajet dans le temps, les révolutions que ça a été, les vertiges que ça creusait dans l’expérience immédiate et qui se sont tassés aujourd’hui (plus grand monde aujourd’hui pour mesurer ce que c’est qu’introduire dans la maison le poste à transistor, le frigo...), ces objets acquis, laissés, accumulés – dont sont les livres. Et puis il y a la part affective, intime qui justifie de la présence de tel objet sur votre bureau encore aujourd’hui ou d’un attachement particulier à tel autre. Une autobiographie dite par les objets donc, ce nouveau livre. Comme il l’avait tenté au paravent par la musique, ou pour dire mieux, ces phénomènes sociaux qu’ont été l’explosion médiatique de ces grandes figures du rock qui venaient au devant faire votre monde et façonner vos manières. Et au fond pas grande différence que de recevoir un bloc de puissance sauvage depuis ces objets délirants que sont les Stones ou Led Zep et une édition de Rimbaud dénichée dans l’armoire maternelle. A chaque fois c’est partir de l’expérience physique, brute et aveugle pour rétrospectivement y lire ce que l’on a vécu, les mouvements du monde que l’on aura accompagné ou qui nous auront accompagnées. Difficile passé la cinquantaine de ne pas se sentir d’un monde qui a disparu, on lui est reconnaissant, à François Bon, de ne jamais se lamenter sur cette disparition et de préférer à la nostalgie l’incertitude anxieuse et curieuse de la mélancolie. On en avait déjà fait l’expérience avec son Tumulte, l’élaboration de l’Incendie du Hilton, puis Après le livre et enfin avec cette Autobiographie des objets : le texte s’écrit d’abord sur le blog où on le découvre jour après jour sous une forme séquencée et cette unité compacte que lui donne le format « livre » s’enrichie de cette expérience d’écriture par « entrée » qui n’est pas sans rappeler l’intertextualité du Web, l’accumulation verticale des blogs. Et là où le livre s’achève, à la publication, le texte continue puisqu’il ne s’agit jamais de conclure, mais seulement d’engager des manières qui révèleraient ce qui nous fait dans notre rapport au monde. Autobiographie des objets, François Bon, Seuil.