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Le conflit Abkhaze. Première Partie.

Publié le 25 mars 2008 par Tomjez
"Vous les Européens, vous pouvez pardonner à vos ennemis, et nous, dans le Caucase, nous avons le sang chaud. Nous avons préservé la tradition de la "vengeance du sang". Et du sang a coulé entre nous, plusieurs milliers de jeunes Abkhazes ont été tués. Pour cette raison, malheureusement, nous allons demeurer ennemis pour le siècle à venir."
Tout un programme n'est-ce-pas? Par cette déclaration, Nuzgar Ashuba, président du parlement Abkhaze, réagissait le 24 mars 2008 à une proposition Georgienne de confédération entre la Géorgie, l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud.
Mais quelle est donc cette Abkhazie brandie par Moscou en potentielles représailles à l’indépendance du Kosovo ? Quelles sont les clés de ce conflit méconnu, commencé en 1992 et « gelé » depuis, qui a vu des déplacements massifs de population et l'indépendance de facto d’un territoire encore reconnu comme partie intégrante de la Géorgie par la communauté internationale?

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Carte et Drapeau de l'Abkhazie

Histoire et Démographie

Les Abkhazes sont un peuple caucasien, ethniquement et linguistiquement différent des Géorgiens, mais dont l’histoire est étroitement liée à celle des royaumes de Georgie. Chrétiens Orthodoxes, une partie de leur population a pourtant été convertie à l’Islam pendant l’occupation ottomane.

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Hommes Abkhazes, XIXème siècle

Lors de la conquête Russe au XIXème siècle, environ 250 000 Abkhazes musulmans se sont réfugiés dans l’Empire Ottoman, et ils forment encore une minorité en Turquie, estimée à 40 000 (2001) Personnes, dont 4000 locuteurs(1980), ce qui ne prend pas en compte les centaines de milliers de Turcs d'origine Abkhaze mais dont l'identité s'est perdue (on parle de 400.000 personnes.) J’ai d’ailleurs rencontrés quelques jeunes Abkhazes à Istanbul, qui tentent d’organiser des cours de langue et de faire survivre leur culture. La diaspora Abkhaze vit essentiellement sur la rive asiatique d’Istanbul, mais aussi dans quelques villages du Nord-Est de la Turquie. (région de Sakarya et Bolu). Plus largement, la conquête russe du Caucase a vu le déplacement forcé de nombreuses minorités musulmanes caucasiennes, telles que les Tcherkesses (Circassiens) les Adyghes, les Tchétchènes, les Ubykhs, dans un processus appelé Muhajir.

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http://www.globalsecurity.org/military/world/georgia/images/georgia-area.gif

L'Abkhazie Soviéitique
République autonome associée à la République Soviétique de Géorgie après la reconquête russe de 1921, l'Abkhazie, sous Staline, connaît une forte "Georgisation" : le Géorgien devient seule langue officielle, et Lamine Beria encourage une forte colonisation géorgienne, russe et arménienne. Les Abkhazes deviennent minoritaires sur leur territoire, mais la mort de Staline change la donne. Comme dans toute l'Union Soviétique, la création d'une identité officielle Abkhaze est encouragée, et la langue Abkhaze est promue. Des quotas ethniques donnent aux Abkhazes des place de choix dans l'administration, ce qui favorise l'apparition d'une intelligentsia.
Le Conflit
Le conflit Abkhazo-Georgien éclate en 1992, lors de l'implosion de l'URSS. Craignant la perte de l'autonomie de la république Abkhaze devant la poussée de nationalisme Georgien, les Abkhazes votent massivement en faveur du maintien de l'URSS, et boycottent le referendum en faveur de l'indépendance de la Géorgie. Des affrontements en fait dès 1989 entre étudiants Géorgiens et Abkhazes. Le 21 février 1992, le gouvernement géorgien décide de revenir à la constitution de 1921, sans clarifier le statut de l'Abkhazie.
Accusant l'Abkhazie d'héberger les partisans du président déchu Zviad Gamsakhurdia, le gouvernement Géorgien envahit la république autonome et en prend le contrôle en une semaine, dissolvant immédiatement l'assemblée abkhaze. C'est après cette victoire que commence le vrai conflit Abkhaze : aux côtés des séparatistes Abkhazes s'engagent des volontaires de diverses minorités caucasiennes, soutenues en sous-main par la Russie qui engage aussi quelques troupes régulières. Le chef de guerre Chamil Bassaev, futur guérillero Tchétchène, fait partie des para-militaires engagés contre la Géorgie, à la tête d'une "confédération des peuples du Caucase pro-russe. Son entrée le 2 octobre 1992 à Gagry aurait été marquée par le massacre des prisonnier Géorgiens et de toute la population non-Abkhaze. C'était la belle époque ou Bassaev, avant de devenir l'ennemi public n°1 en Russie, travaillait de concert avec l'ex-KGB et l'armée Russe contre l'ennemi commun : Tbilissi. Il est bientôt vice-ministre de la défense d'Abkhazie. Il aura ensuite la carrière que l'on sait...
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Chamil Bassaev
Après plusieurs cessez-le-feu non respectés, les forces abkhazes et alliées lancent une offensive globale le 16 septembre 1993 : en 11 jours, après de violents combats, un afflux de réfugiés en Géorgie, la quasi-destruction de la capitale Sukhumi et 16 mois de guerre l'armée géorgienne est chassée d'Abkhazie et le conflit se fige sur la ligne actuelle.
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(à la chute de Sukhumi en 1993)
Pas de grande neutralité à attendre de ce site géorgien à la mémoire des "héros" de ce conflit, mais il permet de mettre des images sur les faits... et semble attester de la présence de combattants au look très "Bassaev" du côté des séparatistes Abkhazes. Cela dit le nettoyage ethnique et les crimes de guerre commis par les paramilitaires côté Abkhaze, comme par les troupes géorgiennes, sont confirmés par les organisations internationales comme Human Right Watch dans ce rapport publié en 1995 et qui donne le meilleur aperçu du conflit.
Environ 4000 civils et militaires géorgiens et 3000 abkhazes ont été tués, 250 000 Géorgiens forcés à fuir en Géorgie. Ils vivent toujours dans des conditions très précaires, malgré l'aide apportée par le gouvernement géorgien et les tentatives de normalisation et de retour des réfugiés. Pour plus d'informations sur ces déplacements internes, on ne peut que conseiller le site "Internal Displacement" mis en place par le Norwegian Refugee Council.
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www.reliefweb.int
État des lieux
Suite au cessez le feu de 1994, l'Abkhazie est divisée ainsi : 83% du territoire sont entre les mains du gouvernement séparatiste, reconnu et tenu à bout de bras par la Russie. 17% sont sous le contrôle du gouvernement abkhaze reconnu par Tbilissi, soit essentiellement la vallée de Kodori. Ce sont en fait les survivants du gouvernement élu avant l'éclatement du conflit, et dont de nombreux membres ont été exécutés en septembre 1993 par les séparatistes Abkhazes. Parmis les principales prérogatives de "ce gouvernement en exil", la prise en charge des déplacés et la réinstallation des Georgiens dans la région de Gori.
La "frontière" suit le cours de la rivière Ingouri, et est placée sous la supervision de troupes internationales.
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(patrouille de l'ONU dans les gorges de Kodori)
De fait, des tirs sont régulièrement échangés, sur le modèle de l'autre "conflit gelé" du Caucase entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, avec notamment des incursions de milices de part et d'autre de la frontière.
La Georgie, depuis l'arrivée au pouvoir et le maintien contesté de Mikhaïl Sakachvilli, se réarme à vitesse grand V. La république séparatiste d'Adjarie a été "reconquise" en un battement de cils, mais l'Abkhazie soutenue par la Russie représente un morceau autrement plus délicat à avaler. Dans la vallée de Kodori, l'armée Georgienne (2500 hommes) des milices paramilitaires (la "légion blanche") et des groupes de jeunes patriotes" (2000 hommes) s'entraînent, prêts à fondre sur Sukhumi. On a signalé des instructeurs français et américains aux côtés des forces géorgiennes.
Et encore, Sakachvilli serait un "Mou" selon une partie de l'opposition. Capturé par Nata Nibladzé du Sakartvelos Respoublika lors d'une manifestation anti-gouvernementale à Tbilissi : "Si nous arrivons au pouvoir, tous ensemble nous récupérerons l'Abkhazie ", lance dans la foule Zviad Dzidzigouri, du Parti conservateur. "Ce régime ne le fera jamais, car il ne se soucie guère de la patrie".
Politiquement, l'Abkhazie est divisée entre indépendantistes et partisans de l'intégration à la Fédération Russe. De fait, 90% des Abkhazes ont un passeport russe, et la monnaie utilisée est la rouble, non le Lari géorgien. Pour Iouri Sneguirev du journal russe Izvetia, ce sont essentiellement les politiciens Abkhazes qui souhaitent l'indépendance, la population appelant de ses vœux l'union avec la Russie.

L'enjeu du retour


Aux côtés de dizaines de "nations sans Etat", l'Abkhazie occupe une place spéciale, celle des quasi-Etats sans population : en 1989, l'Abkhazie comptait 500 000 habitants et 17% d'Abkhazes contre envrion 250 000 aujourd'hui (mais les chiffres "officiels" divergent beaucoup, de 150.000 à 300.000) : les "Abkazes de souche" représentent en effet moins de 70.000 personnes en Abkhazie, aux côté d'autant de Géorgiens et de 80 à 90 000 Arméniens.
Encourager la diaspora Abkhaze en Russie, au Kazakhstan, en Ukraine et surtout en Turquie à revenir s'installer sur la terre des ancêtres, c'est l'espoir du gouvernement Abkhaze qui y voit la condition de la survie d'une identité spécifique et d'un peuplement Abkhaze majoritaire en Abkhazie...
Du fait des déplacement de population, une grande partie de ce territoire de 8600 km2 (1/4 de la Belgique) est quasi-déserte. Les réfugiés Géorgiens n'ont pas été remplacés.
Dès 1993, un loi a été votée et a entraîné la création d'un comité sur le "rapatriement" des Abkhazes de la diaspora.
Le président Sergueï Bagapch s'est rendu à plusieurs reprises en Turquie pour tenter de convaincre une partie des 400.000 descendants d'Abkhazes d'investir dans la mère patrie. Mais les moyens font défaut pour réellement convaincre la diaspora de se réinstaller. Economie sous oxygène russe, instabilité politique, danger de conflit imminent, autant de facteurs qui motivent peu les Abkhazes de Turquie, bien intégrés socialement et économiquement à la société turque. A ces réticences s'ajoutent celles de la population arménienne d'Abkhazie, qui a tendance à voir dans tout musulman un génocidaire potentiel.
Des communautés abkhazes importantes existent en Allemagne, Israël, Syrie et Jordanie (la garde personnelle du roi Hussein était composée de Tcherkesses et d'Abkhazes. Les caucasiens semblent d'ailleurs être des gardes du corps de choix, puise que Mustafa Kemal Atatürk pouvait également compter sur ses gorilles tcherkesses!)
Autre solution, encourager les 30.000 Abazas, proches des Abkhazes, vivant dans de très mauvaises conditions dans la république autonome de Karachai-Tcherkessie (Fédération Russe), à s'installer en Abkhazie. La proposition étant plus avantageuse pour eux que pour les Abkhazes de Turquie, 2000 d'entre eux ont franchi le pas. Ils se voient offrir des terres pour 15 ans, ainsi que la "nationalité" Abkhaze sans pour autant, grâce à une loi d'octobre 2005, devoir renoncer à leur nationalité actuelle.
Des 600 abkhazes ayant quitté la Turquie en 1993, seuls 60 sont restés. La langue Abkhaze est, de l'avis des experts, quasi impossible à apprendre à l'age adulte du fait de son système phonologique terriblement complexe. La lingua franca de l'Abkhazie est de plus le Russe, langue que les Abkhaze de Turquie ne connaissent pas... Les efforts pour revitaliser la langue Abkhazes, qui a tendance à disparaître dans les grandes villes, ne rencontrent pas le succès escompté : la jeunesse Abkhaze regarde vers la Russie, parle Russe, et ne représente qu'une minorité en Abkhazie. L'objectif affiché de 50.000 retours semble peu réaliste.
Le retour des Géorgiens se fait quasi exclusivement dans la région de Gali, ou les Géorgiens Mingreliens représentaient la quasi-totalité de la population avant 1992 (96% des 80.000 habitants). 45 000 personnes se sont réinstallées, sans rencontrer les mêmes problèmes (terres et maisons saisies) que les Géorgiens tentant de rentrer à Sukhumi.
Après cet aperçu historique et culturel, nous reviendrons plus en détails sur la situation actuelle du conflit et ses développements potentiels dans un prochain article.

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