Klezmer (Sfar)

Par Mo

Sfar © Gallimard – 2005

Après avoir découvert Le Chat du Rabbin il y a quelques mois, je ne souhaitais pas rester sur une déception concernant Sfar. Il était temps de lire Klezmer, série que l’auteur a débuté en 2005.

Sfar © Gallimard – 2006

Après avoir perdu ses compagnons de manière tragique, Noé (aussi appelé « Le Baron de mes fesses ») se retrouve seul au beau milieu de nulle part. En effet, il voyageait de village en village avec sa troupe de musiciens ambulants. Mais une troupe de musiciens sédentaires a jugé que leur intrusion pouvait être dangereuse pour leur commerce et les a froidement liquidés. Le Baron de mes fesses doit sa survie à son cheval qui, pauvre de lui, se trouvait sur la trajectoire de la balle. Soucieux de venger ses amis, le Baron suit les musiciens locaux et découvre qu’ils peaufinent leur spectacle pour un mariage qui a lieu le soir même. Le Baron laisse passer le reste de la journée et fait irruption lors de la cérémonie. Rapidement, il attire l’attention avec son harmonica. La fête bat son plein grâce à lui. Après avoir été invité à la table du rabbin, il prend congé de ses convives. Noé reprend la route en direction d’Odessa. Peu après, il remarque la présence d’Hava. Elle le suit depuis son village, il tente de la raisonner mais la jeune paysanne est éprise de liberté. Sa décision est prise : elle souhaite voyager avec lui et chantera pour accompagner l’harmonica.

Sfar © Gallimard – 2007

Sfar © Gallimard – 2012

En parallèle, Yaacov fait la connaissance de Vincenzo. Tous deux sont d’anciens élèves qui ont été exclus de leurs yeshiva respectives. Après avoir délogé Vincenzo de l’arbre où il était perché, après avoir assisté ensemble à un lynchage dans les règles, les deux garçons tergiversent quant à leurs possibilités d’avenir. Mais le pendu reprend connaissance. Il s’agit de Tchokola, un gitan. Rapidement, les trois garçons sympathisent et, après une bonne nuit de sommeil, décident de prendre la route d’Odessa.

Là-bas, leur chemin croise celui d’Hava et du Baron…

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Je suis restée assez perplexe durant la lecture du premier tome de cette série. En effet, j’ai eu beaucoup de mal à entrer dans cette histoire qui m’a semblé décousue et burlesque. J’étais face à des personnages mystérieux, fuyants et inconstants. Le récit me donnait l’impression d’être trop éparpillé et trop fantasque. Le fait d’aller d’un groupe de personnages à l’autre – sans aucune transition entre les passages du récit – renforçait l’impression que ces individus étaient éphémères et futiles. Bref, je peinais ainsi sur une centaine de pages… il m’en restait environ 500 pour finir la série… Les choses ont basculé au moment où les deux groupes de protagonistes se sont rencontrés.

Dès lors, la présence de ces individus aussi différents que complémentaires crée une réelle alchimie. Le rythme du récit devient plus harmonieux bien que son rythme reste toujours très enlevé. Leurs traits de caractères si atypiques est une des forces principales du récit. L’autre atout majeur de cette série : les thèmes qui y sont abordés. Il y sera questions d’amitié, de sentiments, d’indépendance, d’émancipation et de religion (pour faire court ^^). J’ai donc lu avec avidité les tomes 2 à 4.

Sfar ne m’avait pas convaincue sur Le Chat du Rabbin, mais il faut dire que j’avais misé beaucoup sur ce chat savant qui a perdu, pour moi, toute sa raison d’être (la parole & l’esprit) à la fin du premier tome (il ne retrouve réellement de son intérêt que dans le tome 5… c’est vous dire si l’attente fut longue). Sur Klezmer en revanche, j’ai pu savourer cette manière si spontanée, presque instinctive d’écrire une histoire. De même, la liberté avec laquelle l’auteur dessine et colorie ses dessins à l’aquarelle m’ont séduites. Certaines illustrations restent confuses tant il y a profusion d’éléments (décors, expressions, mouvements…) mais cela donne du piment à la lecture. C’est un monde où tout se crée en permanence, où les personnages semblent inventer eux-mêmes leur destinée commune. Le trait est parfois doux, parfois sec et nerveux, à l’image de l’unique héroïne de Klezmer. En effet, Hava est aussi imprévisible que cette épopée que ce soit psychiquement ou physiquement ; son corps fluctue en permanence, tantôt ronde tantôt svelte, ce qui la rend changeante et renforce son pouvoir de séduction.

Les couleurs sont faites à l’aquarelle. A ce sujet, l’utilisation de l’aquarelle semble être un immense terrain de jeu pour Joann Sfar. D’ailleurs, en parlant de ça, cela me fait penser aux bonus des albums (sauf le quatrième tome qui n’en a pas). On y trouve des réflexions sur la musique, la religion, ce qu’il souhaite faire passer avec la série, ce qui l’encourage à employer l’aquarelle… Ainsi, j’ai lu avec autant de plaisir les bonus d’albums que le récit principal. Grâce à eux, les questions que j’avais à l’égard de cette série sont passées du registre des suppositions à celui des certitudes : Klezmer est le pendant du Chat du Rabbin sur la question religieuse. Voici quelques propos de l’auteur :

Le jeune Yaacov ressemble à l’animal que je dessine dans Le Chat du Rabbin. Ils ont la même façon de regarder les gens et les choses. Lorsque je les fais parer, c’est la même voix que j’entends. C’est comme si le chat était devenu un garçon humain. Et il s’en sert de ses prérogatives d’homme : il parle en ne dissimulant plus ce qu’il a derrière la tête. (…) Peut-être que c’est pertinent de lire Klezmer et Le Chat du rabbin ensemble. Klezmer, c’est le revers de la médaille. Dans Le Chat du rabbin, ils ont tout le temps Dieu à la bouche. Là, non. Yaacov fait de son mieux pour être un mauvais juif, Vincenzo sous terreur en souvenir de sa yeshivah, Hava déteste les traditions rétrogrades de son Shtell et le Baron de mes fesses s’efforce d’oublier ses morts. C’est une belle bande de libres-penseurs !

(Notes pour Klezmer, tome 1).

Grâce aux bonus, j’ai aussi pu mettre un nom sur une musique que j’avais déjà entendue mais que je ne nommais pas : le Klezmer (je renvoie les curieux vers Wiki). En prime, ces bonus m’ont permis d’accéder à une réflexion sur les pirouettes que l’aquarelliste doit réaliser sans cesse pour parvenir à ses fins avec son aquarelle. Sfar écrit : « Elle est bête [à contrario des logiciels], mais bête sauvage ! ». Ainsi, dans ses Notes au sujet de l’aquarelle (bonus du tome 2) :

Beaucoup d’étrangers aux sensibilités éthiques admirent les artistes pour ce qu’ils auraient de plus que les autres. Ils font fausse route et ne valorisent qu’une virtuosité d’artisan. Ce qu’on pêche dans les mystères d’une image, selon moi, c’est le sanglot religieux. Religieux dont l’étymologie renvoie humblement à ce qui nous attache les uns aux autres. L’image n’a d’intérêt que si elle est œuvre d’homme et qu’elle proclame la brièveté de nos existences, la faiblesse de notre vue, l’envergure modeste de nos bras étendus. Pour le reste, pour les photos de famille ou le sacre de Napoléon ou pour Superman, on se contentera des dernières inventions technologiques. (…) Qu’une machine joue les Prométhée en nous livrant une image exhaustive du brasier divin, peu m’importe. Mais si l’homme du commun à l’ouvrage parvient à capturer le souvenir des flammes et à nous faire partager la nostalgie, qu’on n’oublie pas de boire à sa santé.

Et toujours grâce à ces fameux bonus, j’ai pu profiter de croquis, de notes et de réflexions diverses qui ont flatté mon égo de « lecteur BD » :

A l’instar du théâtre, la bande dessinée en demande beaucoup à son lectorat. Pour lire une bande dessinée, il faut non seulement disposer d’une imagination active mais également accepter une foule de conventions inhérentes au genre. Le spectateur de cinéma, c’est un mollasson, il n’a qu’à poser ses fesses sur le fauteuil et manger ce qu’on lui donne. Celui qui préfère les bandes dessinées ou le théâtre, lui, c’est un authentique travailleur. Il accepte qu’un seul acteur fasse toutes les voix, il feint de ne pas voir les coulisses, il fait crédit aux masques qu’on lui agite sous le nez, il entre dans une succession d’événements dont l’horloge n’est pas le temps du monde. Vraiment, ce client-là, c’est un bon client.

(Notes pour Klezmer, tome 1).

Une lecture que je partage avec Mango et les lecteurs BD du mercredi. Pour découvrir les autres albums partagés aujourd’hui :

En somme, dans Klezmer, il n’y a rien à jeter !!… sauf peut-être les 100 premières pages du tome 1 mais réflexion faite, elles aident bien à se familiariser avec les personnages… J’en reviens donc à ma première conclusion : « dans Klezmer, tout est bon !! » ^^ La rencontre que j’avais tant attendue avec cet auteur s’est enfin produite. Me voilà prêt à lire tous les Donjon les amis ;)

Les chroniques : Encres vagabondes, David, Jean-François et Virginie (sur Chroniques d’Asteline).

Klezmer

Tome 1 : Conquête de l’Est

Tome 2 : Bon anniversaire Scylla

Tome 3 : Tous des voleurs !

Tome 4 : Trapèze volant !

Série en cours

Éditeur : Gallimard

Collection : Bayou

Dessinateur / Scénariste : Joann SFAR

Dépôt légal : de 2005 à 2012

ISBN : (voir Bedetheque)

Bulles bulles bulles…

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Klezmer, tomes 1 à 4 – Sfar © Gallimard – 2005 à 2012