Avenir de l'adieu
Partant, le poème / ne veut contenir d'objet. Il n'a d'autre destination et relation que lui-même, de ce vide le son le souffle (p. 16). Les Étrennes disent au poète et à ses lecteurs que la poésie tient son mystère de se vivre à la fois évidente et invisible, insensible et concrète, sans que l'une de ces conditions prenne le pas sur l'autre. Si bien que, pas plus que le langage seul ne peut la manifester, la volonté exclusive du poète, qui prétendrait disposer de la poésie selon son bon plaisir sans recourir aux réalités extérieures, n'en est la créatrice souveraine.
Ainsi ces poèmes se présentent ils à la croisée de trois voies. Faits de mots, d'intuitions immatérielles senties, d'humanités trouvant et recevant leurs données. Étrennes à Strenia incarne à la fois toutes ces voies et se tient aux larges de chacune d'entre-elles sans jamais devoir se confondre avec aucun des trois chemins. Tantôt réel aussi tangible et solide que les villes écrites dans les recueils antérieurs, tantôt dissolutions, mirages sous la pluie de futurs déluges. Où l'imagination radicale et la vie reçue, hasardée par chacun, font lit commun : dirai-je la pluie après avoir dit la ville... sous le soleil tout est imaginaire / mais l'étoile fixe alors que la pluie étiole / rien ne saurait mieux incarner notre retrait / qui avions aimé les rayons de cette liberté / l'unique aussi gratuits que nous sommes / ce qui la pluie dit : l'ambivalence absolue. Une énigme qu'autant les poètes mis en exergue par P. Blanchon (Niedecker, Zukofsky, Oppen...) que ceux non cités, proches de ses inflexions (Stevens...) nomment, formant un nuancier d'existences qui affirme que la vie de chacun d'entre nous incarne une nécessité. Chacun amateur (ou non) de poésie ayant lui aussi fait cette expérience que le poète nous livre ici, soit le secret de la poésie telle qu'il la vit lui-même.
Chaque poème, chaque vers, incisif, ciselé avec sa part d'inarticulé frappée au coin du bon, - de tous - sens, les pieds martiaux martelant (p. 15), peut bien signer un adieu à la poésie, sans qu'aucune nostalgie, aucun exil, aucune atteinte à celle-ci ne s'incarnent. Cet adieu écrit le poète dans chaque mot de ce recueil, est une des conditions inouïe des formes à venir de la vie imprévisible. Participant de ce paradis où nous allons, malgré, depuis l'aube des temps.
[René Noël]
Philippe Blanchon, Étrennes à Strenia, éd. La Termitière, 2012