Magazine Cinéma
Accaparé par des occupations annexes, j’arrive un peu après la bataille, mais je tenais à dire tout le bien que je pensais de l’album de Kerredine Soltani (sorti le 14 mai !). Après tout, une piqûre de rappel est parfois nécessaire pour la bonne santé d’un produit.
J’utilise le mot « produit » volontairement parce que, à la base, Kerredine Soltani est producteur. Il a ainsi composé, écrit et produit des titres pour Zaz (Je veux), Elisa Tovati, Caroline Costa, Sofia Essaïdi…). Le succès par interprètes interposés, ça semblait parfaitement lui convenir. Oui, mais voilà-t-y pas que des gens dans son entourage se sont mis à le titiller et à le pousser sur le devant de la scène. Il sait composer, il sait écrire, il a des choses à raconter, alors, pourquoi pas ajouter la casquette de chanteur à sa panoplie ? Et Kerredine a franchi le pas. Il a rameuté ses copains musiciens, Les Mecs d’Oberkampf et une partie des zicos de Caravane Palace et en avant la musique ! Et comme il s’avère qu’il possède une voix plus qu’intéressante, ça a donné un vachement chouette opus éponyme.
Discotopsions l’objet :- Fils de la BohêmeQui dit « Bohême », dit violons. Et ben, ils sont là, et dès l’intro. Mais Kerredine a évité la cliché en ne leur donnant pas l’accent Europe centrale attendu. Ils se fondent dans cette histoire de road movie franco-français entre Marseille et Saint-Malo. On a l’impression de remonter au bon vieux temps des hippies routards copains de Kérouac. Fils des hommes aux semelles de vent, ils n’ont qu’un mot en tête : « liberté », mot qui revient à plusieurs reprises dans la chanson. Il y a une fraîcheur teintée d’ingénuité, une bonne dose de rêve et d’utopie, aucune once d’amertume ou d’agressivité, il n’y a qu’une profonde volonté de vivre.- L’amour n’existe pasChanson de Parigot érudit qui fait éclater ses frontières pour se frotter à d’autres cultures. Un témoin de son temps qui croise la Révolution de Jasmin, qui se fait prendre en flagrant Dehli. Et comme tout va très vite, que le Thalys est un rapide, il fallait une musique swing pour traduire cette sensation de fuite en avant trépidante et cette recherche exacerbée de l’âme sœur. Et tout cela pour ce constat : l’amour n’existe pas. C’est un poil désabusé. Peut-être n’eût-il pas fallu lire les poètes, ces doux rêveurs qui nous font croire aux « princes et aux princesses » ? On ne peut décidément compter que sur soi-même. Et puis il n’y a vraisemblablement pas besoin de parcourir le monde pour trouver sa belle. Elle attend peut-être dans un bar d’Oberkampf…- En temps de criseJ’aime bien sa façon légère d’évoquer la déchéance sociale, quand tout va à vau-l’eau, de Charybde en Scylla… La détresse est là, mais il la fait pétiller. Il y a une forme de philosophie fataliste, un regard dénué d’envie vers le voisin qui possède. La satire et l’injustice font bon ménage. Le regard n’est pas dupe, l’analyse fait mal. Et on se dit que, depuis la sortie de l’album, c’est bien d’avoir changé de Président. Kerredine use à ravir du name-dropping. Du coup son écriture, très imagée, très concrète, est immédiatement compréhensive.- Emmène-moiJolie complainte amoureuse qui frise la supplique. La tendresse est palpable, elle frise la dépendance. Même s’il est victime d’un sortilège, il la veut, il la réclame, il en a besoin de cette drôlesse. Un fois encore, nourri de l’abstraction des poètes, il quémande du rêve.- Et si demainQuasiment du piano-voix. Rêves de gosse que l’on voudrait voir perdurer. Il recommence à à avoir la bougeotte, à égrener une litanie de villes à travers le monde… Ce garçon a vraiment le cœur et les pieds nomades. Il a la bougeotte, il ne tient pas en place, ne sait pas où se fixer. Il devrait se faire sponsoriser par Air-France… En tout cas, c’est une très jolie chanson, interprétée avec une voix empreinte de fragilité et de douceur.
- ParigotAprès Air-France, place à la RATP (Parigot rime avec Passe Navigo). Musicalement, il sait à merveille reproduire le rythme effréné de la vie parisienne. C’est plein de flashs, d’images captées comme quand on speede dans les couloirs du métro tout en chopant du coin de l’œil ce qui se passe autour de soi. C’est aussi une déclaration d’amour à la capitale. Il vaut mieux être Parisien pour apprécier cette chanson sympa emplie de tous les clichés possibles. Mais qu’est-ce que ça dépote !- Pas assezChanson intelligemment amenée pour parler de nos différences. Que le monde serait fade et sans saveur si nous étions uniformément tous pareils ! Sorte d’inventaire de ce tout ce peut exister exprimé à travers le prisme déformant du « pas assez »… Car peu de personnes sont vraiment satisfaites de ce qu’elles sont. On se plain toujours de quelque chose qui ne nous convient pas, tant sur le plan physique qu’intellectuel. Il ouvre le plus largement possible l’éventail, nous offrant ainsi un superbe message de tolérance et d’acceptation de l’autre dans TOUS les domaines.- Le verlanPetite leçon chantée de vocabulaire verlan, la langue « étrangère » qu’il dit maîtriser le mieux. Il n’y a pas grand-chose à en dire sinon que c’est une bonne idée que de rendre hommage à ce langage désormais si répandu.- PirateDécidément, il a un faible pour les princesses. Joli texte métaphorique sur la piraterie amoureuse. Il est parti à l’abordage, lui a mis le grappin dessus mais, grand seigneur, il la met en garde contre son cœur de pirate. Cœur de pirate ? Serait-ce une déclaration subliminale adressée à la blonde chanteuse québécoise ? Je ne crois pas. Ce serait un peu trop tordu… En réalité, il est beaucoup plus chevaleresque qu’il ne veut bien le dire. Pirate, c’est une posture, une panoplie pour se protéger. Et puis on sent qu’il y a une éducation qui est là, enracinée en lui. Difficile d’aller contre…- J’ai l’impressionC’est dans ce registre que je le préfère, piano-voix. Il lui permet de donner toutes les nuances de sa voix éthérée. Texte fort sur le constat d’un monde qui marche de façon bancale, qui est en déséquilibre permanent. « Où allons-nous, que faisons-nous pour changer cela ? » s’interroge-t-il. Alors, il tranche et prend position : « Mais je préfère changer les choses que de subir tout cela ». Il faut du moins essayer.- Lettre à mes enfantsL’angoisse d’un père qui sait qu’un jour il va perdre sa petite princesse (encore !) de 8 ans et son petit Zorro quand ils auront grandi. Valse obsessionnelle de boîte à musique, conseils de vie prodigués à l’emporte-pièce. Volonté aussi d’optimiser l’avenir (« La vie est belle »). Il n’aura plus besoin de le leur répéter à l’infini, il lui suffira de leur faire écouter la chanson.