Lorsqu’on fait une datation historique le concept (et non le mot) du Muuntu trouve sa genèse dans les vallées des chefs Bantous, en l’occurrence des rois du Royaume Koôngo où les éminents sages de ces temps immémoriaux ont inventé le muuntuïsme. Avec eux cette célébrissime notion sera propulsée sur le devant de la scène et trouvera au milieu des chefferies son ampliation dans les débats houleux et discussions à bâtons rompus. C’est dans ces huttes de palabres incessantes et répétées que les notables d’antan et les Koôngologues anciens ont découvert l’éternel modèle de l’Homme «muuntuïsé». Ou initié dans les cavernes des ancêtres par le verbe d’en haut et les symboles sacrés. En effet, ce sont ces grands «Ngunza» de l’époque, ces mystiques célèbres du royaume Koôngo qui ont insufflé au roi mythique «Nimi a Lukeni » cette expression communément admise pour atteindre l’illumination.
« Alors qui sont ces Ngunza ?
Il s’agit des hommes et des femmes qui sont fondamentalement épris d’un idéal de justice sociale et de paix ou qui sont investis par une haute conscience »( Page. 19). Fils des lumières, Matsoua André Grenard fut le premier chantre incontesté de cet héritage millénaire qui durant ses nuits profondes en compagnie des sages d’antan était initié aux vertus du Muntuïsme spirituel. Avec Tata Malanda mâ Croix Coma le Muntuïsme détaché des ondes de négativité «Ndoki» devient le Muntuïsme déifié dans sa fusion avec la vision christique. Chez l’Abbé Youlou Fulbert le Muntuïsme intègre la sphère politico-religieuse et s’enrobe de lumière et s’enkyste et se fonde sur ce qu’il appellera lui-même le Muntuïsme humain. Mais avec le bien-aimé Cardinal Emile Biayenda cette Terminologie s’habille d’arcane suprême et s’inspire des livres saints des Evangiles et accouche une nouvelle vision intégrale humaine. C’est le fameux Muntuïsme sacré. A l’instar de la vulgate Vaticane telle qu’elle est professée aujourd’hui par le souverain Pontife Benoit XVI.
L’amorce d’une nouvelle vision
A l’inverse de ces grandes figures historiques Congolaises, l’universitaire Rudy Mbemba se situe dans le prolongement et le droit fil de ce grand mouvement des Ngunza du siècle. Ainsi dans ses travaux pionniers particulièrement de son Mémoire de DEA en 1994 et plus tard en 2000 avec sa thèse de Droit, il posait les jalons de son singulier concept. Mais, tout compte fait, il faut «rendre à césar ce qui appartient à césar»…Car la contribution à la richesse, à l’épanouissement, à la progression de ce concept ancestral est prodigieuse avec Maître Rudy Mbemba à partir de 2006. Est sans conteste et fort manifeste dans son expansion, son amplification aujourd’hui dans l’ère moderne. Ainsi, en expurgeant le Muntuïsme des pages purement conceptuelles, Rudy Mbemba amorce une rupture épistémologique d’avec ses anciens mentors. Il intègre magistralement les notions d’anthropologie, d’analyse juridique pour féconder la doctrine du Muntuïsme en tant que science à caractère humaniste, social, moral, politique, religieux. Telle est l’essence et la quintessence de l’idéologie du Muntuïsme scientifique chère à Maître et Koôngologue contemporain, Rudy MBEMBA DYA-BÔ-BENAZO-MBANZULU alias Tata N’DWENGA. C’est cette science de l’unité qui est au cœur même de ce Koôngolgue affirmé qui développe cette pensée à travers ses ouvrages connus tels que: « Le Procès de kimpa Vita : la Jeanne d’Arc congolaise; Le cardinal Emile Biayenda et sa vision du développement intégral du Congo-Brazzaville; Plaidoirie pour l’abbé Fulbert Youlou; Le Muntuïsme-Essai d’un code pénal des sociétés Bantoues; le Muuntu et sa philosophie sociale des nombres ». Elle s’apparente à la vision platonicienne de l’âme qui fait de lui le philosophe contemporain de l’âme Koôngo dans sa pure conception du monde des ancêtres. Avec lui le concept de l’humanisme intégral de Jacques Maritain est imbibé de spiritualité. Un humanisme théocentrique, tourné vers dieu, l’Homme c’est le Christ. C’est un Muntuïsme défini comme une parcelle doctrinale de la religion du Muuntu, c’est-à-dire de celle de l’Homme qui, par sa philosophie existentielle, aspire à l’état suprême de l’élévation de la nature et de la condition humaine.
Un caractère humain dominant
C’est suivant ce cloisonnement institué par le déterminisme scientifique que Rudy Mbemba va structurer sa pensée Muntuïenne par ces diverses ramifications caractérielles qui cimentent l’arbre du Muuntu. Avec lui le Muuntu est la somme d’être qui doit incarner et symboliser toutes ses valeurs humanistes, morales, sociales, politiques et religieuses. Explicitement il doit porter ces caractères et véhiculer ces vertus au stade suprême de kimuuntu. C’est l’ultime étape d’humanisation élevée de l’âme renaissante que le Muntuïsme dans sa conception et philosophie même cherche à transmettre à travers ses Ngunza. Mais avec le Muntuïsme scientifique à caractère humaniste, l’auteur met l’accent sur la portée et la considération de l’éducation et la formation pour atteindre le sommet de la pyramide du Muuntu accompli. Le penseur décrit que l’on nait jamais Muuntu mais on le devient. L’initiation commence dès la naissance et s’achève à l’âge adulte. Ainsi dans la pure tradition Koôngo, le chemin initiatique va de Mwana à Mbuta. Cette voie de renaissance, de la régénération et de la sublimation totale que le père fondateur de Muntuïste scientisé conseille vivement dans son livre pour devenir celui qui est. D’après l’école scientifique et spirituelle de Rudy Mbemba en filiation avec d’autres penseurs de l’âme, le pouvoir formateur de la mère reste primordial pour donner à ses progénitures les germes fécondateurs de son esprit. Tout est pensée…cette force créatrice qui modèle et façonne l’enfant à l’image de la déité. C’est ce travail spirituel que les mères Muntuïstes concevaient avec la procréation sous l’influence cosmique, des dieux de la nature et du monde des aïeux.
Les valeurs sociales et religieuses
Avec Rudy MBemba le Muuntu est être social. C’est la socialisation outrée de l’homme que l’auteur développe dans sa thèse scientifique du Muntuïsme au prisme scintillant des valeurs qui modèle l’humanisme intégral africain. Pour lui : la pièce essentielle du système social du Muuntu reste le Nkânda, c’est-à-dire le clan (page. 60). Il célèbre donc la force des clans dans les villages qui soudent les liens de privautés. C’est cette valeur conviviale traditionnelle qu’il exalte sans fin pour faire du Muuntu attaché aux vertus familiales un être généreux, tolérant et fraternel. Le Mboôngui est alors ces lieux de rassemblement. La vision de l’hospitalité dans le donner et le recevoir que l’être changé heureux manifeste dans son rôle de Mfumu mpu. Mais avant tout la sagesse de Muuntu exige que l’être incarné doit avoir une reconnaissance absolue envers le dieu créateur et une vénération totale au culte des anciens. C’est ce point nodal et sur la loi de solidarité, le respect sans faille de l’intégrité clanique que le Muuntu renaissant magnifique peut atteindre l’équilibre socio-cosmique et naviguer joyeux dans l’océan d’amour universel. La finalité de kimuuntu dans son élément divin transcendant. C’est un Muntuïste humaniste mais pétri d’intelligence et de sagesse. Que l’écrivain expose dans sa démarche de non rejet de l’altérité….nécessaire pour faire entrer le Kimuuntu dans les dimensions supérieures de l’être sans tête. Cette vision sublime de l’homme qui dans la vacuité bouddhique atteint l’élévation voire l’illumination totale. A l’instar des Muntuistes spirituels, Rudy Mbemba condamne la sorcellerie et toutes manœuvres ténèbres qui éloignent l’être dans la quête de sa nature véritable. Il adhère aux idéaux nobles de Kundu tels qu’ils sont exaltés par les devanciers et d’autres Muntuïstes chanteurs comme Sammy Massamba qui parlent du fameux Kundu dia mama ou d’autres penseurs qu’évoquent le Kundu dia Mayela. Ainsi il banni dans sa doctrine religieuse du Muntuïsme, le Kindoki ce monde nébuleux du satanisme rampant porteur de malédiction. Sous l’angle de la religion éclairante, l’auteur enfante dans la lumière des anciens le concept du muntuïsme divinisé. L’être dépouillé des scories ténébreuses et engloutissantes épouse la puissance céleste et s’élève dans l’au delà en continuant à travailler sur terre aux œuvres constructives de Dieu ou Tata Nzambia Mpungu. Pour atteindre ce paradis, l’être doit suivre le sentier qui mène à la connaissance. Par la voie de sà Mbila. Ainsi sà Mbila selon le Muntuïsme est le chemin qui mène vers la connaissance, c’est-à-dire vers Dieu… » (page.108). Le Muntuïste selon lui doit connaitre, savoir: Zaba ou Zebi pour parvenir à accéder dans le NZamba cet univers global – A titre de rappel, NZamba désigne l’univers global ou Dieu lui-même – (page.108). En somme, le NZamba dans la conception doctrinale de Maitre Mbemba n’est plus ou moins que cette forêt intérieure de l’homme qu’il doit pénétrer pour devenir lui-même. Cette antériorité incommensurable où l’être déifié navigue sans fin en communiant jour et nuit avec les contrées célestes.
Les vertus morales et politiques
Les postulats de base de la doctrine Muntuïste en tant que science repose sur les valeurs morales. Cette vulgate de l’épanouissement de l’être humain est fondée sur le rejet en bloc de la magie noire. Ces pensées négatives qui ligotent l’homme dans son ascension vers l’au delà supérieur. Dans la recherche du graal l’être pensant doit faire preuve des valeurs morales, religieuses qui améliorent l’âme, des valeurs politiques qui aiguisent l’esprit et les valeurs sociales qui unissent les corps des peuples. C’est l’idéal élevé où ces valeurs morales du Muntuïsme pluriel façonnent le Kimuuntu dans la fusion avec l’âme du monde. En abhorrant la sorcellerie, cette philosophie vante l’amour du prochain, le respect des biens d’autrui et dénonce le scandale de la haine cultivée par les Ndoki. Dans leur antre macabre où ils se nourrissent du sang des frères et de leurs âmes aimantes. Ce faisant, il conseille vivement de faire du travail la valeur fondamentale du Muntuïsme. Car, il libère l’esprit, il contribue au développement et à l’épanouissement de l’être. La tradition ancestrale Koôngo, telle que l’explicite clairement l’auteur, la paresse est à bannir et le travail reste un expédient à l’enrichissement et au perfectionnement moral. Le travail ne serait une corvée. Mais bien un labeur consistant à obéir aux ordres du créateur. Ainsi par l’activité, le Muuntu est lié au Nzambia Mpungu et demeure en syntonie avec lui. Le caractère politique du Muntuïsme est compris à la lumière du rôle incontesté que joue le Mfumu mpu dans la société orientée par les normes Koôngolaises. Le Muuntu né devient au fil des vies graduées un chef couronné. Un sage qui symbolise l’unité et force le respect et la considération de ses sujets. Il doit faire montre d’une exemplarité totale et d’un comportement irréprochable dans sa vie courante. Appelé à être le garant des principes, ce chef du village dirige le peuple sur le plan moral, économique, social et politique. Enfin, la philosophie du Muuntu donne à l’écho du verbe son caractère sacré. C’est cette sacralisation de la parole qui est mis en avant par ce chantre du Muntuïsme scientifique dans l’insertion de l’homme dans l’universalisme pluriel. Avec l’arbre sacré le Nsaanda, Rudy Mbemba prône la voie de la connaissance et du savoir. De ce monde et des dieux par l’écoute. On ne peut accéder à la connaissance sans écouter l’autre qui n’est autre que nous-même. Ce faisant, il préconise le dialogue avec le prochain et la tête avec nous-même. C’est le fameux «connais-toi, toi-même» que l’auteur développe en filigrane dans sa vision transcendantale du Muntuïste élevé. Car comme le précise le dicton Koôngo qui énonce très clairement le principe selon lequel : « Yala bwa yala nsanda »: grandis, développe-toi, deviens puissant et de caractère inébranlable comme le n’sanda (page.125).
Conclusion
Au regard de ce qui vient d’être développé, il importe de souligner que la doctrine Mbembaïenne du Muntuïsme est un tout qui englobe tout, elle est globalité, globalisante et totalité, totalisante. En partant de l’analyse scientifique, il a «Muntuïsé» l’Homme aux multiples vertus. C’est une vision Muntuïste socialisée, politisée, moralisée et divinisée. L’auteur en exhumant les arcanes anciens a inventé une doctrine transcendantale qui restera dans les annales universitaires et historiques. Un bien précieux ouvrage qui condense l’histoire éclatante de notre riche tradition Koôngolaise. Une lumineuse page est ouverte dans les fanums ancestraux, ces «Mboôngui» d’alors où demeurent encore les dédales de connaissances de notre chère Koôngologie(1). Avec lui, l’humanisme intégral africain repose sur le Muntuïsme « scientisé » et déifié. Un muntuïsme scientifique spiritualisé. Il a réussi un savant mélange entre la science et le sacré sous les prismes scintillants du droit, de la sociologie et de l’anthropologie. Ces rayons qui éclairent et illuminent sa pensée….et élèvent sa doctrine issue du monde archétypique des dieux. Sa philosophie du «Muntuïsme scientisé» enfantée à l’aube du monde contemporain est une œuvre monumentale qui intègre les lumières des Ngunza d’autrefois et amorce une nouvelle page de l’humanisme pluriel et cosmique. Un éclaireur dans ce dépassement et cet aggiornamento qui font de lui un Ngunza d’un autre genre dans la nation Congolaise d’aujourd’hui….et un koôngologue convaincu et muntuïste intègre. Qui laissera, avec cet ouvrage de référence et de qualité, dans ce monde passant et l’autre renaissant, une lumière qui dans l’obscurité éclaira la route du pèlerin.
Yves Mâkodia Mantseka