Attention, la suite de ce billet contient des éléments du film, qui, une fois révélés, pourraient vous en gâcher la découverte.
Tout commence par une scène à couper le souffle : un rapt en avion, dans les airs, par découpage à l’explosif. C’est astucieux, ça coupe le souffle, et c’est une entrée en fanfare pour Bane (incarné par Tom Hardy, magistral). On comprend assez vite la fascination qu’engendre le personnage. Et là, Nolan aurait pu continuer ainsi, sur ce rythme, et faire un film lambda de super héros. Sauf que … C’est une trilogie ! Et on se souvient que lors du dernier épisode, Batman a été brisé : il a perdu l’amour de sa vie, découvert que celui qu’il pensait de vertu pure pouvait sombrer dans la folie meurtrière (Harvey Dent) et endossé le meurtre de ce dernier, pour créer une légende. Sauf que ce monde ne va pas, mais Bruce Wayne, sublime Christian Bale tout en nuance, retranché depuis des années dans son manoir, ne peut le voir. Retour à la réalité : vous n’êtes pas devant un film de super héros ordinaire, mais devant la vision de Batman, par Nolan.
Entre en scène deux personnages : une voleuse de charme, Selina « Catwoman » Kyle, magnifique Anne Hathaway tout en subtilité et charisme. Et une roturière, Miranda Tate, interprété piteusement (ce sera la seule fausse note du film côté acteurs) par Marion Cotillard. L’une sera le phœnix de Batman, l’autre sa perte.
Voilà, le tableau est posé, et le drame psychologique peut démarrer. La commissaire Gordon, incarné par Garry Oldman, apparait en flic fatigué, en commissaire perdu (on apprend que sa famille l’a quitté), obligé de mentir pour préserver l’aura de Dent intacte. L’aura de celui qui était prêt, sans l’intervention du Chevalier Noir, a tué son fils. Une promesse est une promesse. Mais son instinct lui laisse à penser que le pire se prépare. Sous sa ville ?
La décadence, la noirceur se lit dans ce Batman, ou les plus vils se retrouvent en tête de la ville (le commissaire adjoint Foley, magistralement interprété par Matthew Modine, tout en bassesse, avant de se relever enfin), le maire prêt à virer les héros, Batman qui n’est plus.
Car là est le point du film : Batman n’est plus indispensable. Car l’univers de Nolan est posé : on va parler du peuple et non d’un super héros, d’héroïsme sans masque. Il va jusqu’à démontrer que l’isolement de Wayne l’a même éloigné de Lucius Fox (Morgan Freeman épatant) et finira par faire fuir Alfred Pennyworth (Michael Caine tout en émotion), majordome et père de substituions, désemparé face à un Bruce Wayne trompe la mort qui cherche à la rencontrer.
Nolan pose donc, et fait appuyer cela par la superbe musique d’un Hans Zimmer au sommet de son art, les bases de son récit : ce sera une apogée funèbre pour Batman mais une renaissance pour la ville de Gotham, pour le peuple, pour les américains.
C’est avec l’astuce de l’arrivée d’un Robin plus vrai que nature que cela va se faire : Joseph Gordon-Levitt incarne John Blake, orphelin lui aussi, comme Wayne, mais pas riche, venant de la boue pour aller vers la lumière. Il a endossé un costume de flic au lieu de celui de super héros. Mais il sent bien que les règles sont souvent là pour freiner et protéger certains au détriment du plus grand nombre. C’est là que Nolan veut en venir : Batman est ce qu’il est parce que riche, parce que Wayne. Mérite-t-il le titre de héros ou bien n’est-il qu’un milliardaire qui s’ennuie et se fait plaisir à coup de joujoux technologiques ? Il laissera le spectateur trancher (pour ma part, il est un héros mais trop coupé du monde pour le comprendre vraiment). Robin, le vrai prénom de John Blake, est donc l’antithèse (la scène où il jette sa plaque dans le fleuve étant surement le pont nécessaire entre lui et Batman) du héros parce qu’il en a les moyen, plutôt le héros par choix, parce que la vie lui a démontré que les héros son nécessaires, mais pas nécessairement ceux que l’on croit.
Sur l’enjeu politique, Nolan frise la correctionnelle à trop vouloir jouer entre le besoin de sécurité, le sécuritaire et la liberté. De plus, l’histoire aura ses loupés assez flagrants. Il aura trois faux pas majeur.
Le premier est une sorte de rater une bonne partie du film autour de la « révolution » lancée par Bane, sorte d’anarchisme de bazar doublé d’une prise de pouvoir par un maitre de guerre (au final), mais sans résistance aucune de la population … si ce n’est de la police ! Un peu court ! D’ailleurs la scène qui sera la plus « risible » est celle du bataillon de flic face aux méchants surarmés, mais qui part bille en tête avec un chef en tenue d’apparat. Un loupé patriotico-manichéen, heureusement amoindri par les décisions personnelles des personnages (dont celle de Batman et Robin en priorité) et les propos des deux premiers épisodes.
Le second porte sur l’idée de faire revenir l’Epouvantail (superbe Cillian Murphy dans son rôle de Crane, procureur général à l’exécution). Si cela est une excellente idée, comment ne pas en vouloir à Nolan de ne pas parler du Joker ! Certes, la mort d’Heath Ledger, mémorable Joker, ne permettait pas d’imaginer le voir à l’écran incarné par qui que ce soit. Mais de là à ne même pas en parler ! C’est une faute car cela limite la filiation avec le second épisode … Et surtout ne rend pas hommage à cet acteur sublime qu’était Ledger, faisant disparaitre l’un de ses plus beaux rôles.
Le troisième porte sur la fin. Offrir une fin de torture à Bruce Wayne était louable, mais là, on est presque dans le « happy end » un peu forcé. Ce qui contraste un peu trop avec la noirceur du film, mais peut s’entendre dans l’envie de redonner de l’optimisme à l’Amérique porté par Nolan.
Tout cela pour dire que The Dark Knight Rises est malgré tout un grand film, bien au dessus de la masse des blockbusters sans saveur qu’on nous sert trop souvent, cherchant à donner à penser plus qu’a ressentir, du Nolan quoi, comme on l’aime. L’utilisation est effets spéciaux et de l’IMAX est à sont top, et on ne peut pas reprocher au réalisateur d’avoir été chiche de ce côté-là.
Le film plaira surement au plus grand nombre mais mine de rien peut déstabiliser ceux qui attendent du super héros sans fond. La trilogie est impeccablement ficelée de bout en bout et l’ensemble offre une cohérence rare au cinéma ces derniers temps.
A voir donc, sur grand écran, le plus vite possible.