Je vous informe de la publication de mon 3ème article sur Mathematice.
1) Modéliser l’intégration des TICE dans l’enseignement
L’écart est immense entre les premiers objets de type « TICE », et ce que l’on peut nommer ainsi aujourd’hui. Dès 1973, Huberman , explique qu’il n’existe pas une théorie qui puisse relier toutes les composantes des processus de changement étudiées en éducation. Baron et Dané confirment en 2009 ce qu’il avait constaté : « Il n’y a pas de cadre théorique spécifique en recherche sur les technologies éducatives. La principale raison vient de leur évolution, forme d’instabilité qui appelle des approches d’essai. » [1]
La dynamique générée par l’évolution technologique demande pour commencer de définir une typologie des activités TICE. Nous pouvons reprendre les travaux de Poellhuber et Boulanger en 2001 cités par Nicole Perreault [2].
Il existe trois types principaux d’activité TIC :
- Les activités de production et de gestion
- Les activités de diffusion multimédia
- Les activités d’apprentissage interactif
L’introduction des TICE dans l’enseignement impacte directement l’activité de l’enseignant et celle de l’élève. Il est fondamental de savoir si les bénéfices attendus, principalement sur les apprentissages sont bien au rendez-vous. Cette introduction génère-t-elle une modification en profondeur des pratiques professionnelles de l’enseignant ?
Il me vient à l’idée de poser la problématique suivante : Plutôt que de parler d’utilisation des TICE, ce qui les renvoie à leur position d’objet ou d’outils ne serait-il pas plus pertinent d’aborder l’utilisation des TICE, comme une attitude ? Au sens d’être TICE ou non, telle serait la question… Cette hypothèse reprend le constat souvent fait, discriminant en deux groupes distincts, les réfractaires et les adoptants, ces derniers tentant souvent d’en faire toujours un peu plus. L’outil disparaît au profit de l’approche. Il n’y a plus tel ou tel logiciel à utiliser, mais une approche globale à envisager. Les TICE ne s’objectivent plus, elles deviennent la possibilité de production de flux dynamiques que nous pouvons séparer suivant les objectifs principaux visés :
- Le flux pédagogique
- Le flux didactique
- Le flux communicationnel.
La question centrale n’est plus celle du logiciel, de l’application ou du support physique, mais celle des attitudes globales de l’élève et de l’enseignant tricotées dans le temps avec les fils du numérique.
La démarche TICE serait donc, celle qui, in fine, ne permettrait pas de découper l’ouvrage sans le perdre. A la notion d’outil utilisé, et sans théorisation possible, il semble plus pertinent d’y apporter une vision globale, tout en faisant apparaître une typologie des moyens et des objectifs.
L’utilisation des TICE dans le quotidien de l’enseignant prend donc une dimension « totale » qui ne peut se laisser enfermer dans un matériel ou un logiciel en particulier. C’est une approche spécifique, qui déborde largement du cadre de la classe, prenant ses racines dans les tréfonds de recherches ou d’activités souvent solitaires du professeur, se poursuivant dans la classe et dans l’établissement scolaire et pouvant bourgeonner à l’extérieur de la classe. Les changements générés diffusent sur l’enseignant, sur l’élève mais aussi sur l’établissement.
Il ne parait pas anormal que l’institution ait bien des difficultés à définir, cadrer, ou même favoriser les démarches TICE, celles-ci pouvant vite se trouver au plus profond de l’activité enseignante ou au contraire faire apparaître un réseau tellement complexe de ramifications, de prolongements, et de freins que le premier pas peut sembler trop coûteux à franchir par le professeur néophyte ou l’établissement scolaire d’exercice. La praxéologie et l’approche systémique (Voulgre 2011) se trouvent naturellement au cœur de la réflexion.
L’étude de l’intégration des TICE dans l’enseignement émerge petit à petit malgré la difficile théorisation. Le modèle TPaCK pour Technology, Pedagogy et Content Knowledge présenté sous la forme de diagrammes de Venn, bien connus en mathématiques, permet de construire une ébauche de représentation. Nous y reconnaitrons la Technologie Numérique, la Pédagogie et ce nous nommerons la Didactique. Le modèle est composé de trois cercles imbriqués dont l’intersection centrale serait le cœur, comprenant les éléments qui regrouperaient simultanément les trois composantes.
Ce modèle est intéressant, principalement pour sa simplicité et son utilisation éclairante des diagrammes de Venn. Je ne suis cependant pas convaincu qu’il corresponde vraiment à la réalité de la pratique enseignante. La Technologie même sous la forme d’un « Savoir Technologique » ne constitue pas de mon point de vue un bloc clairement défini. Lorsque l’on y regarde de plus près, les lettres seules du modèle ne sont pas définies. Si les chemins de la Pédagogie et de la Didactique ont été scientifiquement parcourus, la diversité et la dynamique des éléments de la partie Technologie se laissent difficilement emprisonner dans un ensemble homogène dont le seul dénominateur commun serait de disposer d’une machine numérique (ordinateur, tablette ou assimilés) pour y accéder.
Mon expérience m’amène à considérer que la « Communication » est le ciment qui permet de solidifier et de présenter les champs indissociables de la Pédagogie et de la Didactique ne serait-ce qu’en travaillant sur les aspects de la motivation de l’élève, de la médiatisation entre l’outil et l’élève, de la différenciation. Souvent absente de la modélisation des pratiques enseignantes, elle y tient cependant une place centrale. Les TICE, bien au-delà de leur intervention en didactique et en pédagogie, sont de formidables supports de communication mais aussi de très importantes consommatrices en la matière.
Prenons pour exemple la création d’un diaporama. L’enseignant doit s’interroger suivant trois composantes principales :
- La pédagogie en se posant la question de l’impact du diaporama sur l’apprentissage des élèves.
- La didactique en se posant la question de la pertinence des contenus du diaporama, de l’activité de l’élève.
- La communication en se posant la question de la forme à produire, de la scénarisation de la séance.
Pour modéliser l’intégration des TICE dans les pratiques d’un point de vue de l’enseignant, nous pourrions partir de l’idée des trois cercles imbriqués du modèle précédent, en conservant ceux de la Pédagogie et de la Didactique mais en remplaçant celui des Technologies par celui de la Communication. Ce terme est à prendre au sens très large comprenant aussi la justification des démarches pédagogiques, didactiques, du choix de la posture de l’enseignant, le travail sur la motivation, sur les stratégies d’apprentissage, sur la gestion de la classe, des groupes et sur la différenciation. La Communication dont il s’agit ici, comble les interstices laissés par la Pédagogie et la Didactique. L’intégration des TICE dans ces trois champs est implicite avec ce nouveau diagramme. L’intersection centrale correspondrait à des activités composites de type : TICE + Communication + Pédagogie + Didactique.
La Communication est centrale dans l’enseignement et son absence dans la modélisation actuelle n’est pas viable. Les Savoirs Technologiques ne s’adjoignent pas à ceux de la Pédagogie et de la Didactique, comme cela est présenté dans le modèle TPaCK mais les envahissent de leur présence et offrent nécessairement une place de choix à la Communication. Il n’existe plus aujourd’hui la possibilité d’un enseignement avec une absence totale de TICE. L’utilisation des mails, du cahier de texte numérique, du traitement de textes et le remplissage de formulaires en ligne peuvent correspondre à une pratique minimale des TICE.
Nous pouvons doter l’espace d’une dimension supplémentaire, celle des Technologies Numériques. Les cercles se transforment en sphères et sont ainsi plongées dans l’espace de l’utilisation plus ou moins prononcée des Technologies Numériques. Le diagramme précédent correspondrait à l’intersection de ces sphères avec le plan horizontal de la situation concrète, du réel présent.
La dimension verticale de part et d’autre de ce plan, découpe l’espace Technologique Numérique en deux demi- espaces : l’espace inférieur coïncide avec la partie cachée du travail, celle de l’ombre, du back-office. C’est dans cette partie que se posent et se résolvent les problèmes techniques, ceux de l’enseignant, de l’élève de la classe, de la pédagogie, de la didactique, de la transposition numérique, de la communication. Ici les questions se posent, les problèmes s’anticipent, les difficultés techniques s’accumulent et se résolvent, les démarches prennent forme.
De l’autre côté, au-dessus du plan se trouve la partie visible, celle de la lumière et des apparences, celle de l’objet, de la situation finale, celle que livrent les élèves ou le professeur. Ici le diaporama est présenté, l’algorithme est terminé, l’analyse issue des TICE est réalisée.
Se déplacer sur ce plan relève de l’équilibre à chaque pas, à chaque action, l’enseignant ou l’élève basculent bien malgré eux, au gré des situations rencontrées, d’un côté ou de l’autre de ce plan. Du côté de la technique ou de celui de la représentation. Le diamètre des cercles dépend de l’altitude du plan horizontal, le maximum étant obtenu au milieu, lorsque les cercles ont le diamètre des sphères. En descendant, dans la partie inférieure, nous trouverons les pratiques cachées décroissantes, alors qu’en remontant dans l’espace supérieur, les démonstrations publiques sont moins importantes.
On retrouve dans la plupart des outils et des applications utilisés, cette dualité privé/public, caché/visible, en cours/fini. On peut par exemple citer les pages publiques et privées Netvibes, l’utilisation de GeoGebra, du tableur par l’élève ou par le professeur, l’interface de publication d’un blog ou d’un wiki, les paramètres de partage de fichiers, de confidentialité des réseaux sociaux.
Plus qu’une rencontre ou une intersection, j’associerai l’usage des TICE à un équilibre instable que l’on tente de conserver par une position dynamique, nécessitant une réflexion sérieuse et une présence importante dans le présent, de la part de l’élève et du professeur afin de conserver le « sens », afin de ne pas rater la cible.
Reprenons le modèle précédent dans la description rapide d’une séance ou d’une séquence TICE concrète : « La découverte de la suite logistique par les élèves de première S en 50 minutes ». Il s’agit de les amener jusqu’à la présentation du diagramme de Feigenbaum. Ceci n’est pas à proprement parler présent dans le programme, mais se révèle être une excellente occasion de travailler avec les TICE (professeur comme élève). Au menu : le tableur, GeoGebra, le diaporama. Le tableur sera utilisé par l’élève mais les trois éléments devront l’être par le professeur !
Dans cette séance, des sujets didactiques sont explicitement au programme de première S : les suites numériques, la notion intuitive de convergence.
Un scénario pédagogique est à construire : constructivisme, socio-constructivisme, pédagogie frontale, conférence avec mise en activité de l’élève...
L’explication en cours de déroulement de la séance relèvera de la communication devant les élèves : introduction, liens, dévolution, utilisation du tableur, conclusion, ouverture, poursuite de l’étude en dehors de la classe.
Tentons de dresser une liste non exhaustive des principales questions que l’enseignant peut se poser pour construire une telle séance :
- Quels outils TICE sont à utiliser par l’enseignant ?
- Quels outils TICE sont à utiliser par l’élève ?
- Quels fichiers numériques construire, faire construire, chercher en ligne, à conserver, à remettre ? Quels objectifs sont visés ?
- Quel objectif didactique est poursuivi ? Les TICE permettent-elles un gain didactique ?
- Quel objectif pédagogique est choisi ? Les TICE permettent-elles un gain pédagogique ?
- Dans quel cadre communicationnel ? Quelle place pour les TICE dans la communication ?
- Quelles modifications sont générées par l’utilisation ou l’absence d’utilisation des TICE ?
Ainsi la séance se construit dans l’ombre, avec une trajectoire ascendante traversant les trois sphères qui délimitent un volume anisotropeplongé dans l’espace des Technologies Numériques.
L’anticipation, la résolution de difficultés techniques, la pertinence des choix permettront d’imaginer la réalisation concrète de la séance ou de la séquence, des objectifs visés, des prolongements possibles. L’enseignant va donc devoir partir des strates inférieures, seul, anticiper, inférer, se hisser jusqu’au moment présent et projeter ensuite ses actes vers le futur, dans la classe, dans la pratique et la technique, jusqu’au dehors de la classe et même imaginer un réinvestissement potentiel possible.
L’exemple précédent montre une situation dans laquelle les champs sont clairement définis et distincts. Il n’en est pas toujours de même. Il existe la présence d’un nœud qui a effrayé et continue encore de le faire, bon nombre d’enseignants. De vives tensions ont été particulièrement manifestées lorsqu’il s’est agi de généraliser l’épreuve pratique au baccalauréat [3] demandant la manipulation de logiciels par les élèves (tableur ou logiciel de géométrie dynamique).
En effet l’objet didactique peut se confondre avec la notion de TICE. Il peut être utilisé de façon interne aux mathématiques comme support de réflexion, de production de résultats ou de démonstration mais peut aussi servir à communiquer, comme c’est le cas du tableur et de GeoGebra. La fusion de l’objet d’étude ou de la source du raisonnement, avec la notion de TICE peut déstabiliser. Il n’y a plus d’écart naturel entre l’outil didactique et l’outil communicationnel. Les deux cercles de la communication et de la didactique peuvent se trouver confondus à ce moment. Cette confusion est problématique en mathématiques. Pour preuve, accepter l’approche graphique d’un raisonnement n’est pas toléré depuis très longtemps, montrant ainsi la résistance du milieu à de telles assimilations. Il n’est donc peut-être pas étonnant que les enseignants aient peiné à trouver la bonne distance et surtout une définition correcte de ce qui leur était demandé ainsi de ce que l’on attendait des élèves avec l’épreuve pratique.
L’algorithmique et la programmation sont conceptuellement plus simples dans le cadre de l’enseignement car, même si les objets sont de nature numérique, il existe une différence entre le milieu didactique et celui des TICE, une distance plus grande qu’avec GeoGebra et le tableur.
2) Généraliser la notion de TICE
La notion de TICE ne se laisse pas enfermer dans celle d’outil ou de support, elle traverse intégralement les champs didactiques, pédagogiques et communicationnels des actes enseignants, quelle que soit la discipline sous-jacente, donc en particulier les mathématiques. Nous devrons pour poursuivre, généraliser la notion de TICE et nous éloigner de celle du logiciel unique ou de l’application spécifique, pour rassembler dans un même groupe, logiciels, outils, applications et matériels pouvant être utilisés simultanément ou successivement, par l’enseignant ou par les élèves, de façon individuelle ou collective, dans ou hors de la classe, et cela de façon privée ou publique, dans le seul cadre des mathématiques ou dans celui plus général de la communication. L’usage des TICE ne peut pas se concevoir de façon linéaire, analytique car les dualités ne son pas exclusives.
Le schéma suivant peut permettre de saisir la complexité et la dynamique mise en œuvre avec l’utilisation des TICE dans les pratiques enseignantes :
Prenons l’exemple d’un échange de messages professionnels sur support numérique hors-classe du type « élèves/enseignant » ou « classe/enseignant ». Cet échange peut prendre des formes très diverses. Les différents matériels disponibles sont très variés : ordinateur, tablette, téléphone. Les applications sont elles aussi très différentes : le mail, le forum, les réseaux sociaux de type symétrique et semi-ouvert comme Facebook (réciprocité des liens et inscription nécessaire pour consulter), de type asymétrique et ouvert comme Twitter, (le lien n’est pas nécessairement réciproque et la consultation est publique) ou fermé à usage pédagogique comme Edmodo (l’inscription/invitation est nécessaire et on peut reconstituer les groupes classes), l’ENT de l’établissement, le chat, les blogs et les commentaires de blogs, de wikis.
Il peut être intéressant de tenter d’optimiser au quotidien l’usage professionnel des possibilités TICE. Un tweet, un message sur Facebook ou sur Edmodo, un mail, peuvent (et doivent), prendre des dimensions professionnelles dès lors qu’ils sont considérés comme objet TICE par l’enseignant et par l’élève dans une communication centrée autour de l’enseignement. Les dimensions didactique et pédagogique d’une communication étendue peuvent être facilement concevables – voir Annexes I et II . Pour en saisir toute la portée potentielle, on peut voir combien et comment ce type de communication peut se révéler d’une haute valeur symbolique. De nombreux exemples peuvent être trouvés dans d’autres domaines alors pourquoi pas dans l’enseignement ?
Échanger avec les élèves en mathématiques et sur les mathématiques dans et hors de la classe est un important facteur de motivation, d’éradication de l’anxiété, de réassurance et de proximité pédagogique qui ne doit pas être sous-estimé. L’élève place le curseur « acteur-spectateur » de l’échange à un endroit qu’il a lui-même choisi. Il est d’ailleurs surprenant que de nombreux élèves seulement spectateurs d’échanges, affirment en avoir tiré des bénéfices
La généralisation de la notion de TICE que nous tentons d’illustrer ici ne doit pas souffrir de la réduction à la seule communication rendue plus directe et plus simple avec les nouvelles technologies. Il est possible de visualiser une activité TICE complexe en Annexe III . Un élève de Première S a programmé un algorithme, a placé l’export HTML exécutable en ligne sur un espace personnel et en a fait la promotion sur un réseau social.
Il est aussi possible prendre un exemple concret au sein de la communauté mathématique avec l’extension « logiciel seul » vers « logiciel + espace de partage + communauté d’utilisateurs + embarquement possible des fichiers dynamiques créés sur un support numérique ». L’évolution de GeoGebra, (logiciel seul) vers GeoGebraTube est la parfaite illustration de notre propos. Alors que dans un temps pas si reculé, l’enseignant était enfermé seul avec son groupe dans une classe et un logiciel présent sur chaque ordinateur, ce même enseignant dispose aujourd’hui de la possibilité de mettre son travail à disposition des collègues, des élèves (en fait du monde entier). Il peut même lier ou embarquer l’applet sur un support numérique le permettant : blog, wiki, ENT, cahier de texte numérique, avec une manipulation minimale du code HTML. L’ouverture d’un compte GeogebraTube peut se faire de façon classique ou en le liant à un compte Facebook ou twitter , démontrant au passage que la philosophie de partage, de type Web 2, est commune à ces différents environnements. Algobox, logiciel d’algorithmique utilisé en lycée dispose d’un export vers une page HTML qui permet de mettre en ligne le travail réalisé et rend possible l’utilisation de l’algorithme. XCas possède maintenant une version en ligne.
Nous percevons de façon claire et relayée par les contributeurs de notre discipline, que les mathématiques, auxquelles on ajoute les logiciels ou les applications, se trouvent non seulement dans l’espace et le temps réduits de classe, mais aussi en ligne. Certains objets numériques créés peuvent être aisément diffusés hors de l’espace-temps de la classe. L’idée sous-jacente est que l’élève n’est plus isolé dans la sphère close de son apprentissage solitaire lorsqu’il est en dehors du temps de la classe, mais qu’il est en mesure d’être relié à une communauté d’apprentissage placée dans le même « état » que lui, au sens de la physique, dont le professeur fait partie. Nous pourrions presque intégralement transposer cette remarque au professeur qui se trouve lui-même dans une démarche d’auto-formation.
Il est bien sûr possible pour l’élève comme pour le professeur de ne pas utiliser ces possibilités pour des raisons diverses, mais il est impossible de nier leur existence. Si la construction d’une séance ou d’une séquence TICE en mathématiques, est une activité centrale, elle ne répond plus à elle seule, à la notion d’utilisation des TICE qui peut largement déborder du seul usage logiciel par l’élève dans la classe ou chez lui.
Nous pouvons nous tourner vers les logiciels utilisés par l’enseignant pour présenter un contenu dynamique ou non, comme le diaporama, le traitement de texte avec export PDF, les logiciels de publication avec export PDF, les logiciels de TNI, les générateurs de vidéos ou d’animations flash, les logiciels de Mindmapping. Le professeur peut à loisir utiliser ces logiciels pour illustrer son cours. Ce qui nous intéresse ici n’est pas l’usage de ces outils mais le partage et la mise à disposition des objets numériques créés par le professeur. Ce dernier dispose aujourd’hui, gratuitement, de dizaines de giga-octets d’espace mis à disposition pour stocker et partager tous types de fichiers. Certains de ces outils permettent aussi de synchroniser ces espaces avec son ordinateur portable ou son ordinateur de bureau : Google Drive, DropBox, SkyDrive, BoxNet permettent de déposer et de mettre à disposition des élèves plus de documents qu’un enseignant ne pourra créer pendant toute sa vie professionnelle, même dans leur version de gratuite de base.
Lorsqu’il y a une dizaine d’années, chaque enseignant qui voulait mettre des fichiers à disposition pour ses élèves devait créer un site personnel dont la construction demande une bonne dextérité numérique. Il lui est aujourd’hui possible de partager en un simple clic, que ce soit vers ses collègues ou les élèves, tout fichier qu’il possède sur son ordinateur. Il s’agit là encore d’une révolution dont les acteurs du monde enseignant, institution et acteurs, n’ont pas encore pris la totale mesure aussi bien en ce qui concerne la nature de ce qui peut être partagé qu’en terme de volume de fichiers. Les anciennes notions de transmission, de dépôt, de partage, de transformation, de production sont aujourd’hui partiellement obsolètes et doivent être revisitées à l’ère numérique. Circonscrire la notion de TICE en mathématiques au seul usage d’un logiciel dans la classe par l’élève ou en démonstration par l’enseignant, ne correspond plus qu’à une partie des possibles. La généralisation de la notion de TICE à un ensemble plus vaste de possibilités dépassant l’espace de la classe remet encore plus en question des pratiques pédagogiques déjà déstabilisées par l’introduction de la formation à la manipulation logicielle des élèves en mathématiques.
3) Modifier en profondeur sa façon d’enseigner et rencontrer des difficultés d’intégration ?
La diversité et la répétition sont souvent les deux meilleures armes de l’enseignant. Elles ne vont pas être révolutionnées par l’accroissement de ses pratiques TICE, mais se frotter au monde numérique demandera d’infléchir des stratégies pourtant bien rodées et d’introduire d’autres discours.
Les directives officielles sont clairement définies sur l’utilisation de logiciels par les élèves et sur les contenus qui doivent être enseignés. Elles ne disent cependant rien en dehors de ce cadre restreint. La clôture de la problématique à ces seules directives pourrait laisser penser de façon un peu naïve et confortable, que le fait d’utiliser les TICE reviendrait seulement à faire manipuler un logiciel par les élèves. L’analyse s’arrêterait-là, en plein milieu du didactique. Du point de vue de l’institution, pour favoriser l’enseignement avec les TICE en mathématiques, il suffirait théoriquement que l’institution dépose des séances et des séquences sur un espace officiel, qu’elle fasse une injonction de faire manipuler les logiciels par les élèves et demande d’en exploiter les résultats. La situation n’est malheureusement pas aussi simple que cela…
Nous pouvons faire deux constats majeurs.
- L’injonction faite depuis de très nombreuses années est loin de généraliser facilement l’utilisation des logiciels, par les élèves ou les enseignants, même en mathématiques. On le constate encore chez de nombreux collègues dont l’enseignement des seuls contenus disciplinaires envahit la quasi-totalité de leur énergie et de leur temps, ne possédant qu’une dextérité limitée d’utilisation. Ils ne peuvent pas insérer de façon significative l’usage des logiciels et encore moins des TICE dans leur enseignement. Celui-ci reste à la marge et correspond bien souvent à une activité faite en plus, considérée comme dévoreuse de temps et qui empiète psychologiquement sur ce qui devrait être enseigné impérativement aux élèves.
- De l’autre côté des pratiques, chez les enseignants plutôt technophiles, qui manifestent une bonne dextérité d’utilisation des matériels, des logiciels et des applications, qui favorisent leur usage chez les élèves, ces pratiques d’utilisation des logiciels par les élèves sont loin de recouvrir l’utilisation généralisée des TICE que l’on peut faire dans l’enseignement. L’innovation dans le domaine des TICE peine de plus à trouver une place institutionnelle.
Lorsque l’on aborde la modification des pratiques enseignantes, il paraît primordial de connaître une typologie des acteurs et de préciser le degré d’insertion des TICE dans l’enseignement du professeur. Les tableaux suivants permettent d’effectuer ce repérage :
GENRE INFORMATIQUE EN LIGNE
Résistant N’utilise jamais... N’utilise jamais...
Utilisateur Occasionnel Confie sa classe (une fois par trimestre ?) à un collègue spécialisé Confie sa classe (une fois par an ?) à la documentaliste pour un exposé sur Internet
Consommateur Régulier Utilise des logiciels (Word, Excel) e parfois des logiciels pédagogiques dans sa discipline (ex : Cabri en maths) N’utilise pas ou peu car les contenus ne sont pas directement utilisables pour un enseignement disciplinaire
Découvreur Utilise des logiciels qui demandent une bonne maîtrise de l’informatique (ex : logiciels de cartographie ou logiciels de d’EIAO) Tente de dompter les moteurs de recherche et édite des pages pour les montrer à ses élèves
Producteur Programme Monte le serveur WWW de son établissement
Chef d’Orchestre Ses élèves apprennent à programmer et à produire eux-mêmes des documents Ses élèves communiquent sur Internet
_ _
Sensibilisation ↔ Léger engagement et début de prise de conscience
Exploration ↔ Engagement modéré et recherche d’informations
Infusion ↔ Fort engagement et recherche active d’information ainsi qu’expérimentations
Intégration ↔ Fort engagement et effet visant à adapter l’innovation
Expansion ↔ Engagement décroissant avec l’accoutumance et l’assimilation
Raffinement ↔ L’innovation devient une routine, une partie adoptée et automatique du comportement de l’adoptant
Moersch, 1995 Voulgre Havelock, 1971
_ _
Partant d’une situation initiale donnée et connue, il peut s’agir, pour l’enseignant, d’améliorer l’apprentissage logiciel des élèves, de développer leur esprit critique et déductif en favorisant l’utilisation des logiciels. L’enseignant peut aussi être confronté à la création de fichiers numériques, statiques ou dynamiques, simples ou composites, visant à être projetés en classe, à illustrer le cours. Il peut aussi vouloir utiliser certains logiciels « en direct » devant les élèves, lors de corrections d’exercices par exemple, faire manipuler les élèves devant les autres avec un TNI ou sur un logiciel connu. Il peut s’agir de ramasser un Devoir en Temps Libre numérique, constituer des groupes de compétence, faire de la remédiation. Il peut aussi vouloir faire déborder les TICE de la classe, introduire des échanges sur les réseaux sociaux, partager des fichiers, développer la collaboration entre élèves, différencier ses apports. Autant d’exemples qui montrent que tout contact prolongé avec le numérique a pour effet de modifier en profondeur ses pratiques même si pour les élèves la différence entre deux états de l’enseignant peut apparaître minime car il ne va pas remettre en cause à tout instant sa pédagogie ni son rapport à la discipline et l’usage des TICE peur paraître très naturel. Il va, en outre, devoir trouver l’espace et le temps du numérique, à l’intérieur de ses pratiques jusque parfois en dehors de la classe. L’aisance de son discours et de ses usages ne pourront s’opérer qu’au prix d’un travail de fond important et d’expérimentations dont toutes ne sont pas positives. Les pratiques de l’enseignant se trouveront donc bousculées, créant un état d’instabilité temporaire.
Cette situation est représentée par le graphique suivant proposant une graduation des degrés de changement :
Nous pourrions renvoyer à l’enseignant-apprenant, le modèle de la situation-problème, bien connue dans l’enseignement des mathématiques en pédagogie constructiviste. La situation nouvelle rencontrée crée la nécessité de réorganiser son savoir et ses stratégies. L’état final se trouve ainsi à un degré plus élevé de compétences que l’état initial. Force est de constater que la situation-problème renvoyée à l’enseignant revisitant ses propres pratiques n’offre pas tous les gages de réussite, et de facile accès aux modifications comportementales professionnelles, comme pourrait le laisser penser certains discours concernant le bénéfice des apprenants baignant dans cette forme pédagogique.
Les freins rencontrés par l’enseignant, sont de nature similaire à ceux qui sont présents dans tout processus d’apprentissage et de restitution. Le changement des pratiques, des approches, des stratégies, des discours est central lorsque l’on aborde la question des TICE de façon durable.
Il n’y a pas de perte de poids sans modification durable des pratiques alimentaires. Il n’y a pas d’intégration durable des TICE dans l’enseignement sans modification en profondeur de la façon d’enseigner. Et, répétons-le, même si cette modification peut-être presque invisible pour les élèves.
Dans un proche avenir, un bon nombre d’études sera certainement réalisé sur ce thème, se déplaçant progressivement vers la praxéologie, la communication et la psychologie. Pour l’heure, ces aspects semblent encore peu parcourus. Dans l’organisation scolaire, le professeur est souvent renvoyé aux seuls spectres de son isolement et de la comparaison de sa dextérité numérique (ou de son absence) avec ses collègues. Compte tenu de la présence d’un classement institutionnel des enseignants selon leurs compétences disciplinaires initiales, on peut imaginer l’effet de l’intériorisation de ce système dans le monde enseignant. Celui désireux de faire évoluer ses pratiques peut vite se trouver dans la situation paradoxale de la très faible reconnaissance institutionnelle de ses avancées personnelles, pourtant chronophages et psychologiquement exigeantes, avec en parallèle la présence d’une comparaison interdisciplinaire au sein de cette même institution bénéficiant d’une très forte reconnaissance. Le risque est donc grand de voir une majorité des enseignants se réfugier dans des discours relativistes, justifiant la faible valeur ajoutée des TICE. L’absence d’outils de mesure d’impact vient se greffer négativement sur cette situation.
Pour conclure cette partie, nous pouvons affirmer que la généralisation de pratiques TICE dans l’enseignement demandera très certainement de revisiter les modalités de reconnaissance institutionnelle mais aussi d’accompagnement des enseignants dans les établissements d’exercice tout au long de leur carrière, tant les coûts d’investissement personnel et les freins peuvent être élevés pour beaucoup d’entre eux, et cela quel que soit leur niveau à un instant donné de leur carrière.
4) Mesurer les effets
Nous pouvons discuter longtemps de l’introduction des TICE dans l’enseignement en évitant d’aborder de trop près la mesure des effets, ceux-ci pouvant être, selon les cas, minorés par les uns et majorés par les autres.
L’institution offre peu, voire pas de cadre, pour réaliser une mesure de l’effet de l’introduction des TICE chez les élèves et chez les enseignants. Il ne faut donc pas aller chercher du côté de la mesure officielle, la recherche d’un éventuel effet ou bénéfice dont pourraient tirer les élèves au contact d’un enseignant qui les insère de façon régulière dans ses pratiques. Il paraît aussi difficile à l’enseignant de réaliser des évaluations conformes aux attentes de l’institution et en même temps permettant de mesurer de façon fine les compétences acquises par les élèves en termes de contenus disciplinaires, de dextérité technique, de stratégies d’apprentissage et de communication.
Sans instrument de mesure officielle, inutile de chercher dans cette direction. Le plus simple est peut-être que l’enseignant se retourne vers lui-même et qu’il recoure aux TICE pour récolter un feed-back des élèves sur ses pratiques, les leurs, sur la présence des TICE et les bénéfices qu’ils en tirent. Il n’a jamais été aussi simple de réaliser des sondages en ligne et de recevoir les réponses. Cette solution, qui n’empiète pas sur le temps scolaire, permet en outre de recueillir toute l’information nécessaire pour évaluer et infléchir les pratiques et les orienter de façon optimale. Google documents permet la création et la mise en ligne de formulaires dont on recueille les réponses dans un fichier de type tableur. Il suffit de concevoir le questionnaire comme on le souhaite, l’orienter sur les contenus d’enseignement ou sur le ressenti des élèves puis traiter ensuite l’information qui en découle.
Par expérience et suite à de nombreux retours de questionnaires, j’ai le sentiment qu’un usage des TICE de façon naturelle par l’enseignant le professionnalise aux yeux des élèves et qu’il s’avère positif comme source de diversification des modes pédagogiques. Les élèves hésitent moins à demander au professeur des manipulations numériques (utilisation de logiciels spécifiques, manipulation en ligne, communication). Le recours aux TICE peut être facteur de motivation pour un certain nombre d’entre eux et cela de façon très variable. L’usage de la vidéo-projection permet une meilleure visualisation et donc une meilleure compréhension. Les élèves à tendance dyslexique tirent bénéfice de la plus grande clarté de la visualisation. Du côté de l’enseignant, l’usage des TICE permet de le libérer de la contrainte d’écriture au tableau lorsqu’il les utilise en pédagogie frontale et d’une façon générale, il augmente ses compétences culturelles, techniques, didactiques, pédagogiques et de communication qui sont aussi augmentées par les recherches et les actions qu’il entreprend. L’enseignant rentre aussi plus facilement en contact avec d’autres collègues sur les réseaux et bénéficie de leur expérience. Le bilan global est donc positif car l’insertion des TICE de façon non anecdotique permet d’accroître la réflexivité de l’enseignant sur ses propres pratiques et de rentrer de façon plus profonde dans les domaines de la pédagogie et de la didactique. Cela lui demande d’abandonner certaines de ses habitudes et d’en saisir d’autres au passage. Il modifie son point de vue et accroît sa diversité pédagogique. En retour, la distance entre l’élève qui le veut bien et le professeur peut se trouver réduite et permettre des échanges qui n’existeraient pas sans cela.
Annexes
I] Echanges individuels
Exemple de conversation sur Edmodo avec une élève de Première S concernant le Produit Scalaire :
Exemple de conversation avec une élève de Terminale ES avant le Bac sur Facebook
II] Echanges Collectifs
Ramassage d’un devoir en temps libre en ligne comportant un fichier GeoGebra sur Edmodo. Le texte du devoir pouvait être rendu sur support numérique ou sur support papier.
Exemples de notes partagées ou envoyées sur Edmodo :
Notes de type « Culture générale » :
Note de type didactique :
Exemples de notes partagées ou envoyées sur Facebook :
Notes à caractère mathématique :
Note pour avertir de la publication d’un nouveau billet sur mon blog :
Note à destination des collègues :
III] Programmation d’un algorithme Algobox par un élève de Première S, publication de cet algorithme en ligne (export HTML) et édition d’une note sur Edmodo avec le lien correspondant :