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En revanche, je ne lui ai jamais tout à fait pardonné le rôle qu'il joua dans ce que j'ai appelé l'affaire de L'Armée dans la Ville. Je l'ai raconté, pages 147 et suivantes, dans le livre que m'a consacré André Bourin, et qui s'intitule : Connaissance de Jules Romains, discutée par Jules Romains**.Les faits que je rapporte sont, hélas ! incontestables. Les hypothèses que je forme sur le rôle de Gide dans l'affaire ne comportent pas le même degré de certitude. Mais tout ce que nous savons du caractère de Gide et de sa politique nous rend ces hypothèses très probables.
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Je me revois encore, lui faisant visite rue Vaneau, à la fin de sa vie. Je n'ai pas retenu nos propos dans le détail. Néanmoins, je l'entends encore me parler d'un recueil d'essais, que j'avais publié à New York et que je lui avais envoyé.« C'est un aspect de votre œuvre que je n'aime pas spécialement », me dit-il, sans m'en donner la raison.Je le revois également, à la même époque, le soir de la générale des Caves du Vatican au Français. Alors que la plupart des auteurs dramatiques se cachent pudiquement en de pareilles circonstances, Gide, vêtu de sa grande cape et de son chapeau à larges bords, se tenait planté au milieu du hall d'entrée et, de ses yeux bridés, regardait arriver les spectateurs. »
(Jules Romains, Amitiés et rencontres, Flammarion, 1970)
______________________________ * En février-mars 1922, Gide donne en réalité six conférences sur Dostoïevski au Vieux-Colombier qui paraîtront dans La Revue Hebdomadaire les 13, 20, 27 janvier et 3, 10, 17 février 1923 (reprises la même année en un volume chez Plon-Nourrit. On les trouve aujourd'hui avec d'autres textes sur Dostoïevski dans André Gide, Dostoïevski, idées NRF, Gallimard, 1964, et dans les Essais critiques de la Pléiade).** On sait que les livres de Gide ont des origines, des motivations très en amont de leur écriture. Les Caves sont imaginées dès 1905 et l'épisode du train est dans les brouillons dès 1911. En outre l'ébauche de la théorie gidienne de l'acte gratuit se trouve déjà dans Paludes (1895) et Le Promethée mal enchaîné (1899). Et si l'on devait chercher des influences, ce serait davantage du côté de Dostoïevski, comme le montrent les conférences évoquées plus haut, ou de Nietzsche... Sur cette tendance de Romains à voir des « plagiats » un peu partout, voir dans le même volume de souvenirs la notice consacrée à Martin du Gard...*** Dans la NRF d'avril 1911, Apollinaire éreintait L’Armée dans la ville, drame unanimiste de Jules Romains. A la demande de Gide selon Romains : « [...] on était venu dire à ce parfois naïf Apollinaire (le même qui se laissait compromettre par le voleur de la Joconde) : « Allez-y ! Ne vous gênez pas ! Cette pièce a été l'objet d'éloges ridicules. Ayez le courage, vous, de la démolir ! » L'inspirateur de la manœuvre, c'était Gide bien entendu [...] » (Connaissance de Jules Romains, André Bourin, Jules Romains, Flammarion, 1961, p.151). Ce fut la seule et unique contribution d'Apollinaire à la NRF. « Et il demeure peu contestable que, pour attaquer Romains – fut-ce en devant le regretter ensuite – Apollinaire n'avait nul besoin d'être « manœuvré » par Gide et ses amis » commente d'ailleurs Claude Martin dans son édition de la correspondance André Gide - Jules Romains (Cahiers Jules Romains, vol.1, Flammarion, 1976).