Stéphanie Tailleux
Une fois par mois, Expat Forever vous propose de rencontrer une femme expatriée, un expat auto-entrepreneur ou parfois les deux en même temps afin de mieux comprendre la vie au quotidien en expatriation. Ces interviews démontrent que l’on peut être un conjoint d’expatrié et se réaliser professionnellement. Ce mois-ci, j’ai rencontré Stéphanie Talleux qui est à la fois coach, formatrice en transition professionnelle et mobilité internationale et rédactrice spécialisée en expatriation. Elle vient de publier Conjoint d’expatrié, votre carrière continue ! aux éditions Studyrama Pro.Expat Forever : Bonjour Stéphanie. D’où êtes-vous originaire ?
ST : Du Pas-de-Calais ! Je reste très attachée à ma région d’origine.
EF : Où vivez-vous actuellement et depuis combien de temps ?
ST : Je vis à Paris depuis novembre 2010.
EF : Vous avez été expatriée à Londres, Singapour et Hong Kong. Pouvez-vous nous retracer votre parcours d’expatriée et votre ressenti personnel pour chacune de ces destinations ?
ST : Mon parcours d’expatriée recouvre presque toute ma vie de femme ! Ma première expatriation a été à Londres. J’ai toujours senti que l’on partirait un jour. J’ai d’ailleurs très vite géré la fin de mes études et le début de ma carrière en prévision de ce départ. Ce fût donc Londres, en 1998. J’avais 28 ans et mon deuxième enfant venait de naître. La découverte de la vie expatriée m’a libérée d’une injonction sociétale française : reprendre vite le travail à l’arrivée du bébé. J’avais un vrai besoin de vivre pleinement l’arrivée de mes enfants avec du temps pour eux, un temps que je ne compte pas, que je ne gère pas, un peu comme un animal. Dans la communauté expatriée, ce choix de vie est socialement accepté, mais aussi dans la société anglaise. Ce n’est pas forcément formidable pour le statut de la femme, pour son autonomie. Mais enfin, cela a parfaitement collé avec ce besoin personnel à cette période de ma vie. On peut dire que Londres a permis que je satisfasse ce critère personnel de réussite de carrière.Très vite, après la naissance de mon troisième enfant, nous sommes revenus vivre à Paris. J’ai souhaité y conserver certains aspects de la vie londonienne : nous nous sommes installés près d’un parc et nous avons inscrit les enfants dans une école bilingue. Elles ont y ont retrouvé des enfants expatriés anglais, japonais, coréens, etc venus vivre à Paris. Nous avons souhaité qu’elles restent des « third culture children ». Nous-mêmes sommes restés des internationaux à vie…Mon mari a ensuite souhaité travailler à Singapour. C’est vraiment là, à Singapour, que j’ai découvert la communauté expatriée. J’étais rédactrice en chef du magazine expat francophone local. Très vite, j’ai compris la valeur du rapport d’étonnement des nouveaux venus, et surtout des primo partants. Mais j’ai vite réalisé que certains sujets étaient difficiles à aborder : le malaise des femmes conjointes d’expatriés, les difficultés des adolescents, etc. Il fallait présenter l’expatriation sous son côté flatteur. Nous avons pu traiter certains sujets, d’autres ont été édulcorés avant de pouvoir paraître… C’est de cette manière que j’ai découvert ce que l’on appelle « le mythe sexy de l’expatriation ». J’ai aussi beaucoup appris sur les opportunités formidables du monde de l’expatriation dans l’acquisition de nouvelles compétences professionnelles. Bien abordé, ce passage peut constituer un véritable tremplin, ouvrir de nouvelles opportunités. J’ai commencé à construire un solide réseau professionnel à Singapour.Nous sommes ensuite partis vivre à Hong Kong. Mon mari passait presque 50% de son temps en dehors de Hong Kong, je m’y suis donc sentie très seule. Sur place, j’ai commencé à modéliser les clés de réussite de la carrière du conjoint d’expatrié, en marge de mon travail de journaliste. J’y ai fortement consolidé mon réseau professionnel, plus que mon réseau affectif d’ailleurs. Nous sommes ensuite revenus vivre à Paris. Je suis heureuse de retrouver mon pays, mes amis et ma famille et de m’installer durablement sur le plan professionnel.
EF : Pendant cette longue période d’expatriation, comment avez-vous réussi à gérer votre carrière et votre statut de conjointe accompagnatrice ?
ST : Cela s’est fait de manière empirique, comme de nombreux conjoints. Avec beaucoup de moments de solitude et de doutes. De manière informelle, une fois en expatriation, j’ai vite senti que la question de ma carrière n’était pas d’actualité. Il faut une belle dose d’énergie pour la remettre au premier plan. Dès mes études, la dimension internationale s’est imposée. Mon mémoire de fin d’études à l’Institut d’Etudes Politiques de Grenoble portait sur la gestion des ressources humaines à l’international, celui du Celsa ensuite s’intéressait à la communication interculturelle. J’ai formé ensuite des DRH à l’interculturel au sein d’un cabinet de consultants.Après notre expatriation à Londres, j’avais perdu le fil de ma carrière. A cette époque, j’aurais eu besoin de faire un bilan et d’être accompagnée. Au contraire, j’ai agi de manière empirique aux côtés d’une amie aux prises avec les mêmes problématiques que moi : elle était de retour d’une expatriation en Australie. Je suis allée vivre à Singapour et elle est partie s’installer à Montpellier, nous avons suivi nos maris…A Singapour, j’ai profité des opportunités offertes par le bénévolat en expatriation. On peut vivre en expatriation de véritables expériences professionnelles avec le même degré d’exigence qu’en entreprise. L’important est d’être au clair avec son objectif personnel. Le mien était de continuer dans la communication et d’y acquérir de nouvelles compétences. On m’a offert la possibilité de manager une belle équipe de rédaction. Je me suis lancée, c ‘était une expérience formidable. A Hong Kong, la société de mon mari m’a offert les services d’une coach pour retrouver un travail sur place, ainsi que des cours de langue. J’étais enchantée de cette opportunité. Mais cela a surtout été l’occasion de comprendre les insuffisances de ce type de prestations: incompréhensions interculturelles, aucun travail sur les freins personnels, pas de mise à profit des opportunités offertes par le monde de l’expatriation. Ce fût l’impulsion pour lancer mon propre projet ! Tout naturellement, de retour à Paris, j’ai suivi ma propre méthode pour me réinsérer professionnellement.
EF : Aujourd’hui vous êtes coach, formatrice en transition professionnelle et mobilité internationale et rédactrice spécialisée en expatriation. Comment en êtes-vous arrivé là ?
ST : Je m’appuie bien entendu sur mes connaissances acquises en gestion des ressources humaines à Sciences Po et en communication interculturelle au Celsa. Et sur ma forte connaissance du milieu expatrié, de ses ressources et contraintes. Ma progression ne laisse désormais rien au hasard et permet de saisir toutes les opportunités : je suis ma méthode et je travaille sur mes trois axes : mon réseau, ma performance et mon image :
- Ma performance : je me suis formée au coaching pour accroitre l’impact et l’efficacité de mes formations. J’ai ainsi adapté le meilleur des outils de coaching aux besoins des conjoints. J’accompagne mes clients dans la conduite de leur projet de manière personnalisée. Je rédige en outre un livre sur le changement de carrière avec 8 managers du réseau professionnel EPWN, ce qui me permet de mettre le doigt encore plus précisément sur les spécificités de la transition professionnelle en expatriation et d’actualiser mes compétences en ressources humaines. J’ai en outre suivi des séminaires de spécialisation au Celsa : techniques de recherche d’emploi, e-réputation, etc. je me forme en permanence.
- Mon réseau : la construction de mon réseau est désormais une démarche professionnelle. Il me permet d’actualiser mes compétences et d’en acquérir de nouvelles, de gérer ma visibilité et de me ressourcer. Depuis mon arrivée à Paris, j’ai enrichi mon réseau des meilleurs spécialistes en matière de mobilité internationale.
- Mon image : mon livre est un des axes de communication sur mon expertise. Je travaille actuellement sur le site internet et le blog pour rester en contact permanent avec mon réseau et mes clients.
EF : Votre livre Conjoint d’expatrié, votre carrière continue ! vient d’être publié aux éditions Studyrama Pro. Pouvez-vous nous en parlez un plus ?
ST : J’ai développé une méthode de conduite de carrière pour le conjoint d’expatrié. On sait très bien gérer les carrières linéaires en France mais on aborde beaucoup plus difficilement les carrières atypiques. Les Français ont un frein culturel par rapport à ce type de carrière, principalement parce qu’ils n’ont pas appris à la conduire. Le conjoint d’expatrié vit une situation particulière : d’une part, il mène cette carrière dans un milieu inconnu et il lui faut apprendre à repérer les opportunités offertes par l’expatriation pour son projet professionnel. Il faut bien reconnaître que la carrière du conjoint est rarement une priorité pour l’entreprise, dans la communauté expatriée et même au sein des couples. Par conséquent si il existe une vraie culture de l’accueil en expatriation, la culture de l’accueil du conjoint en tant que professionnel en recherche d’emploi est rare. Le conjoint en arrivant dans un nouveau pays constate qu’il a perdu de nombreux points d’appui (une langue dans laquelle il est performant, un réseau, un environnement connu, etc.), mais il est totalement aveugle sur les opportunités qui s’offrent à lui. Le partage d’expérience est rare sur ces points.Ce livre pallie cette carence. Vous y découvrirez ma méthode et de nombreux outils pour conduire votre carrière en tant que conjoint suiveur en expatriation. Il s’adresse aux conjoints, une population qui me tient à cœur, mais il est tout aussi efficace pour les personnes qui souhaitent chercher un travail à l’étranger en solo. Il propose un portrait réaliste du monde de l’expatriation, de ses dangers mais aussi de ses opportunités. J’aborde la question de l’efficacité professionnelle dans ce contexte mais aussi dans une très large mesure celle du bien-être car il est indispensable à cette efficacité. Il dévoile ainsi la face cachée de l’expatriation, sans langue de bois.
Le livre de Stéphanie Tailleux
EF: Quels conseils d’ordre personnel et professionnel donneriez-vous à d’autres conjoints accompagnateurs qui s’apprêtent à suivre leurs partenaires à l’étranger pour la première fois ?
ST : Avant tout se donner le droit de construire son propre projet, personnel et professionnel. On a trop souvent tendance à se mettre au second plan de celui de l’expatrié. Puis s’en donner les moyens en construisant en quelque sorte un contrat d’expatriation avec son conjoint où chacun exprime ses vrais besoins et ses souhaits pour cette nouvelle aventure. Et surtout, surtout prendre soin de son bien-être.
Merci Stéphanie pour cet interview et votre livre qui repondent à la realité du conjont d'expatrié.