La NASA serait-elle revenue ? C’est très probable.
Le robot Curiosity de la NASA s’est posé sur Mars lundi matin dans le cratère Gale, après avoir parcouru 570 millions de kilomètres en 8 mois. Pendant deux ans, ses 85 kg de matériel scientifique vont analyser à distance la composition des roches, les composants organiques et minéraux. Les dirigeants de l’agence américaine ont raison d’affirmer que Curiosity constitue un tour de force d’une ampleur sans précédent qui, même s’il ne s’agit pas là de l’objectif premier, permet de réaffirmer haut et clair le leadership des Etats-Unis dans l’espace.
Qui plus est, il apparaît clairement que les informations obtenues par ce robot de 900 kg permettront de répondre à quelques-unes des questions les plus importantes qui se posent à nous tous quant à la place de Mars dans notre univers et, bien sûr, l’éventualité de l’une ou l’autre de forme de vie passée dont la confirmation enflammerait les imaginations. Par ailleurs, la NASA laisse entendre qu’elle verrait bien des astronautes américains fouler le sol martien dans les années trente.
Le succès de Curiosity suscite l’admiration en même temps qu’une émotion intense. Dans la salle de contrôle du Jet Propulsion Laboratory, où nous étions les bienvenus grâce à un site web riche et bien maîtrisé, des dizaines de jeunes ingénieurs et scientifiques en t-shirt bleu clair ont vécu devant les caméras l’aboutissement heureux de huit ans de travail intensif. Et les «7 minutes de terreur» qui ont précédé l’atterrissage, suivies d’applaudissements nourris et d’embrassades émues. Aucun d’entre eux, à de rares exceptions près, n’était né en juillet 1969 quand Neil Armstrong a posé le pied sur la Lune. Un moment fort mais des images noir et blanc floues, celles d’une autre époque.
Ce 6 août, le 5 dans le fuseau horaire de la cote ouest américaine, laissera le souvenir d’un «huge day» pour reprendre l’expression de Charlie Bolden, administrateur de la NASA. Ses équipes attendaient cet instant, cette immense satisfaction, chacun s’y était préparé. L’un d’eux a dit, tout simplement : «It’s amazing». Une manière simple d’exprimer les facultés d’émerveillement de la NASA, intactes et prêtes à surgir à nouveau pour autant qu’on donne à l’agence les moyens de ses ambitions.
Ce n’est probablement pas un hasard mais la preuve d’une parfaire maîtrise des techniques de communication : trois jours avant l’arrivée de Curiosity sur Mars, la NASA a attribué à trois entreprises des contrats importants de pré-développement d’un engin susceptible de succéder aux navettes spatiales, désormais reléguées dans des musées. Les bénéficiaires sont, par ordre alphabétique, Boeing Defense, Space & Security, Sierra Nevada et Space X. Le programme porte l’appellation Commercial Crew Integrated Capability, CCiCap dans le jargon des spécialistes et, pour l’essentiel, dans le court terme, doit permettre aux Etats-Unis de disposer à nouveau d’un accès indépendant à la station spatiale internationale. Ce qui n’empêche pas d’envisager simultanément le plus long terme.
On retiendra ainsi la présence, au sein de ce trio industriel, de la jeune société Space X, créée il y a 10 ans par Elon Musk, entrepreneur dans l’acception anglo-saxonne du terme, que certains observateurs d’outre-Atlantique considèrent d’ores et déjà comme un héros spatial. Milliardaire et âgé de 41 ans seulement, il verrait volontiers un dérivé de son lanceur Falcon assurant un retour d’astronautes sur la Lune et, surtout, une mission habitée à destination de Mars. Musk détient 25% du capital de Tesla Motors, producteur de voitures électriques de haut de gamme mais c’est le moyen de paiement sécurisé sur Internet PayPal qui lui a valu la célébrité en même temps que la richesse.
Boeing, Sierra Nevada et Space X illustrent le transfert de la responsabilité des vols habités vers le secteur privé, en même temps que prennent corps des ambitions nouvelles. Depuis Apollo 11, exploit historique planétaire, l’opinion publique tout entière espère que la conquête de l’espace reprenne vigueur et relève de nouveaux défis. Curiosity est à l’image de cette histoire, en même temps que ce concentré de savoir-faire illustre les étonnantes contradictions des avancées technologiques les plus récentes. Ainsi, le secteur automobile, plus timide qu’il ne veut bien l’admettre, éprouve de sérieuses difficultés à mettre sur le marché des berlines disposant d’une autonomie de plus de 150 km. Mais, au même moment, Curiosity va explorer la planète rouge pendant deux pleines années, à 570 millions de kilomètres des ateliers qui l’ont construit. Une curiosité qui va faire du cratère Gale le centre provisoire de l’univers.
Pierre Sparaco - AeroMorning
(Illustration : NASA/JPL Caltech)