Malgré ses couvertures signées Baudouin, toutes d'une esthétique très bobo mais d'une richesse aussi fine que profonde, décapage est peut-être le refuge des derniers hussards, finalement moins décalés que désinvoltes, moins à la mode que débranchés de tout impératif d'actualité : ils font ce qu'ils veulent, dans leur coin sans déranger personne, et c'est cela la liberté.
En témoigne la lecture dans le dernier numéro (le 34, soit celui du deuxième trimestre 2008) de la pièce en un acte de l'ouzbek Abdullah Badri, intitulée Idiot ! et publiée à Samarcande en 1915, à peu près à l'époque où Corto Maltese rôdait dans les parages, du moins j'aime à le croire. Qui de nos jours prend encore la peine de traduire l'ouzbek ? Stéphane A. Dudoignon. (Il traduit aussi, me dit-on, le russe, le perse et l'azeri.) Pour en revenir à Idiot !, il s'agit d'une pièce comique qui reflète en filigrane les tensions existant entre les djadid et les khwâja, respectivement les courants progressiste et obscurantiste du Turkestan d'antan (même si c'est plus compliqué que cette simplification manichéenne). Et cela, vous ne le lirez que dans décapage.
Peuvent aussi se lire dans ce numéro les articles qu'Errol Flynn (oui, celui-là même) publia dans le Sydney Bulletin en 1931 et 1932, alors qu'il dirigeait une petite plantation de tabac en Nouvelle-Guinée. J'ai voyagé dans ma tête durant quelques minutes, et à peu de frais, et j'ai découvert, outre la façon de tuer définitivement une tortue pour la manger ensuite, une insulte particulièrement charmante : « Goiaribari ! »
Et cela que pour la littérature étrangère : je ne vous parle même pas de ce qu'on peut y trouver côté français. (C'est une paresse, nous sommes d'accord.)
Ah, si ! quand même... la thématique du numéro est consacrée aux « Portraits d'éditeurs ». S'il est vrai que ces portraits sont « tantôt fantasques, tantôt ironiques », ils n'en sont pas moins touchants dans ce qu'ils restituent de l'être humain qui affleure sous le masque d'éditeur.