HADOPI refait encore (timidement) parler d’elle. L’institution, du haut de ses deux ans d’existence, a bien du mal a prouver son utilité. Et avec l’arrivée du nouveau gouvernement qui propulse avec joie le changement maintenant et pour de bon, la Haute Autorité a commencé à se faire du souci pour sa propre existence, d’autant que la Ministre de la Culture, Aurélifilipeti, l’a clairement indiqué : tout ça coûte cher, trop même.
Comme on s’y attendait, l’Etat, aux abois, cherche de l’argent. Beaucoup d’argent. Vite. Très vite.
Dans ce genre de situation, on peut poser un geste courageux et réduire les indemnités des ministres, des députés, des sénateurs et de tous les élus qui gagnent plusieurs fois le SMIC. On peut ainsi économiser 600 millions d’euros sur les dépenses annuelles de l’Etat (et faire ainsi 65 millions d’heureux). On peut, de la même façon, couper dans les prestations sociales, les salaires et primes des fonctionnaires, bref, raboter tout ce qui constitue des postes de dépenses colossaux de l’État.
Et puis on peut aussi faire dans la chirurgie esthétique micrométrique. Ce n’est pas inutile, loin s’en faut, mais ça rend le nécessaire travail de réduction budgétaire singulièrement plus long. Et c’est cette voie, sinueuse, longue, parsemée d’embûche et des cris des petites poignées de fonctionnaires concernés, qu’a choisi Aurélie Filippetti, l’excuse qui sert actuellement de ministre de la Culture et qui est, par conséquent, en charge de la HADOPI.
Pour rappel, cette institution a pour mission de brûler environ 12 millions d’euros en produisant un petit site internet, un gros million de courriers électroniques automatiques, et d’occuper une soixantaine de fonctionnaires pour ce faire. Ça nous fait, pour rappel, dans les 200.000 euros par an et par fonctionnaire pour une performance qu’on peine vraiment à quantifier, mais qui a déjà réussi à faire rire à de nombreuses reprises, sur ce blog et partout ailleurs dans le monde, à l’exception de la Corée du Nord (ils n’ont pas vraiment internet, là-bas) et de Cuba (ils trouvent l’idée de base intéressante).
Bref, Aurélie l’a donc ouvertement déclaré : tout ce bel argent qui pourrait aller dans la popoche des élus et qui, à la place, est dépensé dans une obscure institution pour observer les petits internautes, c’est vraiment pas génial en ces temps de disette budgétaire. Et, horreur et effroi glacial sur la colonne vertébrale de Marie-François Marais (la présidente hadopisque) et Eric Walter (le secrétaire général), Filippetti a même été jusqu’à vouloir réduire la voilure :
« Je préfère réduire le financement de choses dont l’utilité n’est pas avérée. J’annoncerai en septembre le détail de ces décisions budgétaires. »
Gasp ! Argl ! Mais c’est abôôôminable ! Vous n’y pensez pas ! HADOPI coûterait trop cher et ne servirait à rien ! Vite, lançons une mission pour marquer d’un petit pipi d’une pierre blanche cette remarque et évaluer ce qu’il est urgent de faire ! Et pour cette mission, plaçons un bon copain type compétent sur la question, qui va s’empresser de bien délimiter ce qu’il faut faire et éviter. Car il est vrai que, jusqu’à présent, et depuis la LOPPSI, la LOPPSI 2, la DADVSI, et les débats à l’assemblée sous la direction de El Gringo De Vabre puis du capitaine Anéfé Christine Albanel, personne ne s’est jamais posé la question de savoir pourquoi et comment lutter contre le vilain piratage sur internet, et comment faire pour museler réguler les nouvelles technologies.
Plaçons donc Pierre Lescure, un hacker assez versé dans les technologies peer-to-peer, qui connaît bien la scène, maîtrise bitTorrent et eMule, et à qui on ne la fait pas en matière de port knocking et maîtrise TCP ! Et puis, comme il est accessoirement l’ancien patron de Canal+, il en connaît aussi un rayon sur la télévision. Il pourra donc dérouler le tapis rouge évaluer le lobbying de ces chaînes numériques. Parce que, comprenez-bien que si l’Etat n’intervient pas très vite alors que ces nouvelles chaînes numériques débarquent en 2013,
« Si rien ne change, le téléspectateur aura rapidement accès à tout, y compris de l’illégal. »
Rendez-vous compte ! Avoir accès à tout, c’est, bien évidemment, le début des problèmes : un déferlement de culture non subventionnée, la possibilité de récupérer des contenus intéressants sans passer par les distributeurs agréés par l’Etat, avec, en conséquence, l’obligation pour les majors installées de se remettre en question, de trouver des nouveaux modes de financement, de trouver de nouvelles méthodes pour attirer les clients et les conserver, tout ceci est, on le comprend, une révolution bouleversante qui entraîne intrinsèquement, un super-gros malaise au niveau du vécu des lobbies et des élus qui en bénéficient directement ou indirectement.
Bien sûr, on présentera ça de façon détendue, édulcorée, rose avec un petit voile diaphane légèrement érotique :
« il faudrait tendre un maximum vers la gratuité de la Culture, pour apporter à la planète une richesse de contenus culturels. Mais protéger le droit d’auteur n’est pas protéger les résidences secondaires de quelques-uns. Il s’agit de financer la création pour qu’elle perdure. »
Sexy, non ? Oui, jusqu’au moment où l’on ajoute …
il faut habituer cette jeune population à payer pour une contribution culturelle, comme elle paye pour une sonnerie de mobile.
… sans essayer de comprendre pourquoi les sonneries de mobiles ont un tel succès, et le piratage, de l’autre côté, un autre magnifique succès. Ce qu’on veut, c’est l’argent des premiers sur le business-model des seconds. Fastoche, non ?
Ne soyons pas méchant : Pierre n’a pas encore rendu son verdict et peut-être décidera-t-il, lucide, que la HADOPI mérite largement d’être passée au broyeur. Mais ça n’en prend pas le chemin : pour lui, la sanction passe par l’institution, et cette sanction doit perdurer (ce qui montre au passage et comme le souligne PC Inpact que le brave Lescure n’est pas tout à fait à jour en terme de lois au sujet de la propriété intellectuelle).
Bref : tout indique que, du côté du Ministère, on a parfaitement analysé le gouffre financier et la montagne de ridicule que représente cette institution, et, du côté de la présidence, qu’on ne veut surtout pas en finir brutalement. HADOPI coûte trop cher, ne sert à rien et continuera donc à exister parce qu’incontournable (?!) pour appliquer des sanctions.
Mais au-delà de la façon particulièrement brouillonne dont est gérée l’affaire par le nouveau gouvernement (d’ailleurs dans la parfaite continuité de ce qui avait été fait jusqu’à présent), ce qui ressort de façon éclatante, c’est qu’on a, encore une fois, demandé à des gens qui ne savent pas de quoi ils parlent ni de quoi il retourne de prendre des décisions et d’analyser une situation qu’ils ne maîtrisent pas à l’aune de schémas déjà dépassés.
En attendant, Filippetti continuera de faire l’aimable potiche au Ministère, comme tous les précédents ministres à ce maroquin aussi prestigieux qu’inutile et coûteux. Avec un peu d’entregent, elle continuera à servir les plats pour les majors ce qui lui ménagera, comme à d’autres, une fin de carrière paisible. Quant à Pierre Lescure, je n’ai rien contre lui pour le moment ; les conclusions de sa « mission » détermineront le degré de cuistrerie et de compromission du personnage. Je ne m’attends cependant à aucune surprise.