L’UNESCO
La fréquentation de l’Unesco m’a laissé de magnifiques souvenirs. Comment aurait-il pu en être autrement ? De 1987 à 1997 j’ai eu la chance de travailler régulièrement pour établir des ponts entre d’un côté le projet intégral des Routes de la Soie – Routes du Dialogue (en relation avec l’admirable Doudou Diène) et d’autre part avec le Conseil de l’Europe qui a exploré durant la même période les possibilités de mettre en relation sous forme d’itinéraire les sites historiques de la soie en Europe, des Royaumes d’Al-Andalus jusqu’à la période industrielle à Barcelona, Valencia, Lyon ou Manchester.
Je garde un souvenir assez ébloui du jour de 1988 où le projet de l’Unesco a été présenté à l’ensemble des ambassadeurs concernés, tout comme des réunions à New Dehli en 1992 pour une assemblée générale du projet et en Ouzbékistan en 1999 pour la signature de la Charte de Khiva sur la mise en tourisme de la Route de la Soie entre l’Unesco et l’Organisation Mondiale du Tourisme.
Je me félicite également d’avoir pu participer à des réunions sur le tourisme culturel en relation avec Hervé Barré et avec Jean-Louis Luxen, que ce soit pour la Charte du tourisme culturel de l’Icomos ou bien pour celle qui concerne les itinéraires culturels. Pour cette dernière, la réunion de 1994 à Madrid m’a permis de faire la connaissance de Carmen Anon et de Luis Vicente Elias Pastor, ce qui, même si le texte n’a pas été intégré tel quel à la Convention du patrimoine mondial et a nécessité quinze années de travail de spécialistes au sein du Comité des itinéraires culturels de l’Icomos, constitue une rencontre importante dans l’apport de sens aux itinéraires culturels.
Je n’oublie pas bien sûr les réunions communes avec les responsables du Centre du Patrimoine mondial pour des discussions théoriques et pratiques et la réunion des Chefs d’Etat du Sud-Est européen à Varna en 2005, précédée de la rédaction d’une motion commune au Conseil de l’Europe, à la Commission Européenne et à l’Unesco. S’il n’était qu’un résultat de cette rencontre au sommet, il faudrait citer cette phrase à laquelle les représentants au plus haut niveau de pays encore récemment en guerre ont tous adhéré : « La protection, la présentation et l’interprétation du patrimoine culturel matériel et immatériel doit renforcer la compréhension mutuelle et le respect du patrimoine des autres. ».
Ces relations, espacées mais régulières, m’ont beaucoup appris tant sur les modes de fonctionnement que sur les fondements des textes réglementaires. Elles m’ont aussi permis de rencontrer des fonctionnaires de mission, personnalités engagées qui non seulement exploraient le monde, mais inventaient des projets ayant pour but pratique de renforcer les relations interculturelles mondiales, bien au-delà des discours.
Doudou Diène
Des missions étendues
Si je commence par ce long préambule personnel c’est que le travail de l’Unesco impacte de manière considérable aujourd’hui la vision que peuvent se faire les professionnels et le public du tourisme européen. Ce travail important m’a de plus aidé personnellement à de nombreuses reprises à mettre en perspective la réalité du tourisme culturel en Europe et ceci de manière beaucoup plus fondamentale qu’on ne l’imagine a priori en lisant les textes fondateurs de l’Unesco. « La mission de l’Unesco est de contribuer à l’édification de la paix, à l’élimination de la pauvreté, au développement durable et au dialogue interculturel par l’éducation, les sciences, la culture, la communication et l’information. » Ce texte n’est pas très éloigné de celui qui introduit le rôle de l’Organisation Mondiale du Tourisme, en insistant cependant de manière évidente sur le lien social fort qu’est celui qu’institue la transmission de la connaissance, ce qui présage a priori d’un véritable partage des rôles au sein des agences de Nations Unies. Mais pour aboutir à un partage total, il eut été nécessaire que deux secteurs des activités de l’Unesco ne prissent pas à ce point au fur et à mesure des années une importance hypertrophique : le travail d’inscription sur la Liste du Patrimoine Mondial dont la Convention fête son 40e anniversaire et le travail sur l’étude et l’enseignement du tourisme culturel lui-même. Les deux étant en grande partie liés car, du choix de biens culturels qui devaient faire l’objet d’une responsabilité planétaire à l’instrumentalisation de la Liste vers un guide des « must touristiques » de la planète, il s’est produit un grand écart conceptuel qui nécessitait de donner aux responsables des sites comme aux opérateurs qui les mettent en tourisme ou en font des outils de développement, l’encadrement méthodologique nécessaire pour les valoriser, les interpréter et les ouvrir à la visite.
Mais il n’est jamais inutile de rappeler d’abord les caractéristiques des organisations, avant d’examiner leur rôle réel.
« L’Unesco s’emploie à créer les conditions d’un dialogue entre les civilisations, les cultures et les peuples, fondé sur le respect de valeurs partagées par tous. C’est par ce dialogue que le monde peut parvenir à des conceptions globales du développement durable intégrant le respect des droits de l’homme, le respect mutuel et la réduction de la pauvreté, tous ces points étant au cœur de la mission de l’Unesco et de son action. Les grandes orientations et les objectifs concrets de la communauté internationale – tels qu’énoncés dans les objectifs de développement convenus au niveau international, notamment les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) – sous-tendent toutes les stratégies et activités de l’Unesco. Ainsi, les compétences uniques de l’Unesco dans les domaines de l’éducation, des sciences, de la culture, de la communication et de l’information contribuent à la réalisation de ces buts. L’Organisation se concentre, en particulier, sur deux priorités globales : l’Afrique et l’égalité entre les sexes. Et plusieurs objectifs primordiaux :
• assurer une éducation de qualité pour tous et l’apprentissage tout au long de la vie• mobiliser le savoir et la politique scientifiques au service du développement durable • faire face aux nouveaux défis sociaux et éthiques• promouvoir la diversité culturelle, le dialogue interculturel et une culture de la paix• édifier des sociétés du savoir inclusives grâce à l’information et à la communication. »
Siège de l'Unesco Paris
Culture et tourisme : des définitions implicites et explicites
Dans ce contexte, où se situent donc les missions qui touchent au tourisme ? C’est dans la rubrique Culture que le site de l’Unesco introduit de fait la problématique du tourisme culturel. Par conséquent, il me semble qu’il faut poser les questions dans l’ordre. Quelle est donc pour commencer l’approche pour l’Unesco de la culture et complémentairement celle de la diversité culturelle ?
« Placer la culture au cœur du développementest un investissement capital dans l’avenir du monde, la condition du succès d’une mondialisation bien comprise qui prenne en compte les principes de la diversité culturelle : l’Unesco a la mission de rappeler cet enjeu capital aux nations. Comme l’a montré l’échec des projets menés depuis les années 1970, le développement n’est pas synonyme de la seule croissance économique. Il est un moyen d’accéder à une existence intellectuelle, affective, morale et spirituelle satisfaisante : comme tel le développement est indivisible de la culture. Le renforcement de la prise en compte de la culture dans les projets de développement durable est un objectif qui a débuté dans le cadre de la Décennie mondiale pour le développement culturel (1988-1998). Depuis, des progrès ont été accomplis grâce à un cadre normatif d’ensemble et des outils de démonstration : statistiques culturelles, inventaires, cartographie nationale et régionale des ressources culturelles. »
Comme on le constate, le terme même de diversitéa pris une place essentielle dans les professions de foi, sans pour autant appeler de définition trop précise au moment de son emploi dans les textes. Cette notion de diversité se conçoit ou plutôt s’énonce en cohérence avec le développement historique des institutions internationales et celle des pays membres qui les composent ainsi que de leurs composantes publiques et privées. L’approche de l’Unesco dans ce domaine, pour des raisons de subsidiarité, s’adresse donc d’abord aux pays membres et à leurs partenaires (au sens large) : « Le défi à relever est de convaincre décideurs politiques et acteurs sociaux locaux, nationaux et internationaux, d’intégrer les principes de la diversité culturelle et les valeurs du pluralisme culturel dans l’ensemble des politiques, mécanismes et pratiques publiques, via notamment des partenariats public/privé. »
La liste des secteurs culturels clefs qui sont cités s’est un peu restreinte depuis 2011 en mettant d’abord aujourd’hui en valeur « Rio + 20 » et le contexte de durabilité, même si j’avais retenu fin décembre 2011 un ensemble de mots clefs qui restent bien entendu valables : Action normative, Politiques culturelles, Mémoire du Monde, Protection du patrimoine matériel, Protection du patrimoine culturel sous-marin, Patrimoine oral et immatériel, Patrimoine mobilier et musées, Promotion des industries et des atouts culturels, Mémoire de l’esclavage et de son abolition, Tourisme patrimonial et implication des jeunes (YouthPATH-Caraïbes), Arts et artisanats pour la subsistance dans le Pacifique, Conseil international pour l'étude des îles du Pacifique (ICSPI), Savoirs locaux et autochtones et petites îles, Vision des jeunes sur la vie dans les îles, Programme de participation, Points focaux de l’UNESCO pour la culture dans les régions des PIED (Les petits États insulaires en développement).
Siège de l'Unesco Paris
Voilà qui est d’abord de l’ordre de l’action et des programmes, mais pour quelle définition générale de la culture ? En ce qui concerne le travail le plus récent de l’Unesco, il faut bien entendu rechercher cette définition dans la Convention de 2005. Michel Mélot écrit plaisamment dans son ouvrage récent Mirabilia : « Le jeudi 20 octobre 2005, l’Unesco proclama la Convention pour laprotection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Pas un mot dans cet intitulé, qui ne recouvre une réalité complexe et diffuse ; pour les experts, pas un mot qui ne soit obscur et, pour le diplomate, pas un qui ne pose problème. » A tel point que le travail de couture et de broderie qui a eu lieu sur les annexes en vue de donner des exemples de ce qui est culturel et ce qui ne l’est pas, ou encore en vue de faire la part de ce qui peut rester de la compétence de l’Organisation Mondiale du Commerce et ce qui nécessitera de tenir compte d’une « exception culturelle » a fini par rester lettre morte. On lira avec grand plaisir le récit qu’en fait Michel Mélot en insistant sur la manière dont les pays les plus menacés sur le plan culturel s’emparent de cette convention qui doit constituer une défense contre l’hégémonie des nations qui ont largement commencé à confisquer les moyens de production et de diffusion des industries culturelles et ont généré des concentrations capitalistiques puissantes. A tel point que les Etats-Unis qui, avec Israël, se sont opposés à cette convention, tentent très vite d’en déminer l’impact. Les lobbyistes du cinéma américain (en l’occurrence le Président de la Motion Picture Association) mettent par exemple en avant en 2005 le fait que « tous les pays qui négocient des accords commerciaux pourront donc trouver qu’il existe toujours un point de vue culturel dans le café, la banane, le coton ou le fromage ». Par conséquent ils pratiquent une contre-offensive. Ils utiliseront a minima un humour dévastateur, mais ils lanceront très vite des chars modernes contre ces murs de papier dont viennent de bénéficier les pays les plus fragiles. La France vient donner une raison de plus de sourire en ajoutant la même année au code rural national l’idée que « le foie gras fait partie du patrimoine gastronomique en France », bataille qui continue encore aujourd’hui avec les Etats-Unis et prend une importance disproportionnée jusque dans les paroles du chef de l’Etat français. On sait aussi que très vite, plusieurs pays décident de faire inscrire certaines des dimensions culinaires ou gastronomiques identitaires – et souvent immatérielles – nationales sur les Listes du Patrimoine mondial matériel et immatériel. « Repas gastronomique des Français » pour la France, « Diète méditerranéenne » pour d’autres.
Si la pizza et le maïs se sont fort heureusement égarés sur les routes complexes des dossiers de candidature, la zone de protection de la tequila sous l’intitulé « Paysage d'agaves et anciennes installations industrielles de Tequila » est inscrit depuis 2006 sur la Liste du Patrimoine mondial matériel. Il est bien clair que la place prise par les tentatives de faire classer et donc de reconnaître des productions agricoles et leurs transformations, et donc de les protéger, dans le but de garder la maîtrise de leur diffusion ou de leur commercialisation, pose la question des équilibres commerciaux mondiaux et celle de la manière dont ces productions ou produits sont présentés aux publics et en particulier aux touristes. La dimension oenogastronomique culturelle, surveillée par exemple de près, avec conviction et succès par slow food est parfois inscrite dans une démarche d’itinéraire culturel mettant en valeur des productions identitaires typiques et locales (blé, vin, huile d’olive…). Le sujet mérite qu’on y revienne plus en détails compte tenu de la multiplication des labels nationaux et européens dans ces domaines et des thématiques déjà reconnues par le Conseil de l’Europe, ou sur le chemin de l’être. Mais en dehors de la constatation assez banale « la culture est sujette au commerce », une définition plus ontogénique de la culture reste en effet toujours à donner dans un cadre mondialisé et concurrentiel qui devient très vite conflictuel sur le plan géopolitique.
Michel Mélot rappelle qu’une « définition de la culture a été proposée dans la Déclaration universelle sur la diversité culturelle du 2 novembre 2001 votée à l’unanimité qui prolonge la première Proclamation des chefs-d’œuvre du patrimoine oral et immatériel de l’humanité du 18 mai. » Son article 4, paragraphe 1 est ainsi rédigé : « La culture désigne l’ensemble des traits distinctifs spirituels et matériels, intellectuels et affectifs qui caractérisent une société ou un groupe social et englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les façons de vivre ensemble, les systèmes de valeur, les traditions et les croyances. » L’ancien directeur de l’Inventaire général du patrimoine français rappelle également les termes utilisés pour désigner le patrimoine immatériel (Conventionpour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel du 17 octobre 2003). Il est d’autant plus légitimé de la faire puisque la question est constamment soulevée de la limite entre tangible et intangible. Où se situe en effet la frontière entre d’une part le génie des lieux bâtis et celui des paysages culturels et d’autre part le résultat des pratiques traditionnelles qui les ont rendu nécessaires ou les ont même façonnés ? Est-ce une mise en valeur des paysages culturels de la vigne ou des pratiques viticoles et de la qualité du vin dont on parle ? Sont-ce les paysages culturels de l’olivier ou la production d’huile d’olive, voire de la symbolique de la paix universelle qu’on évoque ou qu’on labellise ? Est-ce l’une des pratiques de l’agropastoralisme, de la transhumance ou bien le classement des fromages en appellations contrôlées qu’on place sous les feux de l’actualité ?
Route de l'Olivier. Cliché T. Vamvakas
L’Unesco répond pour définir, caractériser et limiter le patrimoine culturel immatériel en ce qu’il concerne : « les pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire – ainsi que les instruments, objets, artefacts et espaces culturels qui leur sont associés - que les communautés, les groupes et, le cas échéant les individus, reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel. » Nous ne sommes de fait pas très loin de la définition du paysage culturel mise en avant par le Conseil de l’Europe : « «Paysage» désigne une partie de territoire telle que perçue par les populations, dont le caractère résulte de l'action de facteurs naturels et/ou humains et de leurs interrelations. »
La reconnaissance d’un patrimoine par ceux qui en sont à l’origine ou qui en ont la garde, qui sont responsables de sa sauvegarde, qui en partagent la responsabilité de manière collective est ainsi devenue pour beaucoup d’institutions une valeur clef. Elle renvoie ainsi la question des définitions vers les créateurs du patrimoine eux-mêmes (les civilisations qui les ont engendrés mais aussi les découvreurs des civilisations) et vers les usagers locaux et extérieurs. Au fond si je résume, la culture est donc ce que les praticiens et les usagers désignent ainsi. Le patrimoine de son côté se définit grâce à sa reconnaissance par ceux qui le désignent et le paysage culturel est une création sociale sur laquelle les populations se mettent d’accord dans le but d’en déterminer les responsables.
Une affaire de consensus, en quelque sorte. On sait pourtant que les patrimoines de la discorde sont légions.Il ne s’agit pas d’aller beaucoup plus loin dans cette présentation qui ne vise à ce stade que de souligner des imprécisions doctrinales et des difficultés sémantiques et politiques. Nous n’aborderons pas les notions conceptuelles liées à l’usage des mots dans des langues européennes différentes, ni la définition à « géométrie variable » de l’idée de diversité. Mais on voit bien que la définition et la limite du tourisme culturel telle que les conçoivent l’Unesco n’en revêtent que plus de difficultés, surtout qu’on ne le classe jamais vraiment dans les industries culturelles alors qu’on parle pourtant des « industries du tourisme » quand on s’adresse à la plus importante part du marché.
Le tourisme culturel est-il donc une expression de la culture ou une action culturelle spécifique comparable au théâtre ou aux expositions tenues dans des musées et donc confinée par conséquent au stade de la production artisanale ou bien une industrie culturelle créative à part entière, inscrite dans une chaîne de production qui part de l’inventeur du concept et de ceux qui l’entourent. Une équipe qui, pour le tourisme culturel, réunit des chercheurs, scénaristes, scénographes, designers, architectes et architectes paysagistes. Mais surtout une filière à part entière qui requiert donc un ou plusieurs producteurs pour le financer et / ou le subventionner, ainsi que des publicitaires et des agents de marketing pour créer le rêve et la demande et enfin des opérateurs pour en vendre les produits ?
Tourisme culturel. Site web de l'ICOM
Cette organisation internationale – mais elle n’est pas la seule - n’a pas pu donner de définition précise de ce qui fonde le tourisme culturel, à savoir la visite culturelle et la connaissance des expressions culturelles dans leur diversité, en tout cas n’a pas pu apporter une définition qui s’adapte à tous les pays membres puisque la culture est par nature polysémique. Comme dans beaucoup d’autres domaines où l’équilibre géopolitique est essentiel, les définitions consensuelles sont difficiles et quand on arrive à les rédiger et à leur donner forme, elles génèrent des évidences banales sans intérêt pratique. Définir de manière unanime la culture et la diversité culturelle est de toute évidence impossible puisqu’il s’agit de lutter contre la globalisation qui, par essence, ne tient compte que de la définition du plus fort et non de la diversité des concepts. On tourne ainsi en rond, mais au moins les lignes de défense ont été placées et les outils de protection ont été forgés, ce qui n’est pas rien.
Via Francigena.
Tourisme culturel versus culture et tourisme
Il n’empêche que le tourisme culturel est sur la sellette de l’Unesco en permanence. J’ai déjà eu l’occasion de donner mon point de vue interrogatif sur l’emploi de cette expression dont on ne peut malheureusement plus se passer tant elle est utilisée aujourd’hui par les décideurs et des opérateurs. Là encore, le texte introductif qui se trouve sur le site de l’Unesco s’est de beaucoup simplifié de 2011 à 2012.
J’avais noté il y a peu de temps la formulation suivante qui avait tendance à appuyer sur le terme « ressources » et sur l’idée d’une « nouvelle culture du tourisme » plutôt que sur le terme tourisme culturel lui-même: « Au sein de l’UNESCO, de nombreuses initiatives tentent de promouvoir une nouvelle culture du tourisme, fondée sur le bon sens et sur l’utilisation responsable des ressources environnementales et des atouts culturels de chaque destination particulière. Comme décrit dans la contribution de l’Organisation au Sommet Mondial sur l’Eco-tourisme (Québec, Canada, mai 2002), les actions menées comptent des contributions intellectuelles, la promotion de principes éthiques, et des mises à l’épreuve concrètes, sur le terrain, des approches « durables » du tourisme. L’Organisation a à la fois un rôle normatif et une fonction de définition de standards. Ce travail implique une coopération et des partenariats avec un large éventail d’autres acteurs. Quelques exemples d’axes de travail suivaient :
° Le tourisme et le patrimoine mondial° Le tourisme et les réserves de biosphère° Tourisme patrimonial et implication des jeunes : Youth Path-Caraïbes° Tourisme culturel et route du patrimoine de la diaspora africaine° Tourisme marin et côtier au sein du programme de la COI° Forum de discussion Web° Avant-projet de directives internationales pour le tourisme durable° Opérations conjointes avec les tours-opérateurs° Enseigner et apprendre pour un futur plus viable° Le tourisme et le forum WiCOP (White Sea - Barents Sea region, northern Russia)° Initiatives d’ONG° Programme de participation° Points focaux de l’UNESCO pour les "Ressources touristiques" dans les régions des PEID (Les petits États insulaires en développement)
Je note aujourd’hui la présence d’un texte mettant beaucoup plus en évidence l’approche sensible de la culture intitulé « Vers un tourisme réfléchi et attentif à la culture de l’autre », c’est-à-dire d’un texte qui prête une grande importance de la dimension anthropologique : « Nul besoin de preuves pour soutenir l’affirmation selon laquelle le tourisme peut être le meilleur ami aussi bien que le pire ennemi du développement. Étant donné le poids économique de l’industrie touristique – actuellement considérée comme la plus importante du monde, devant les industries automobiles et chimiques – une grande attention doit être accordée à ce phénomène aux dimensions multiples et aux conséquences planétaires. L’impact du tourisme est tel que des stratégies novatrices sont une nécessité absolue pour mettre les jalons de véritables politiques internationales, régionales et locales. L’Unesco entend accompagner ses 191 États membres dans la formulation de leurs politiques en repensant la relation entre tourisme et diversité culturelle, entre tourisme et dialogue interculturel, entre tourisme et développement. C’est ainsi qu’elle pense contribuer à la lutte contre la pauvreté, à la défense de l’environnement et à une appréciation mutuelle des cultures.
Projets phares dans le monde :
° Programme de tourisme durable° Routes thématiques et tourisme culturel° Tourisme culturel et écotourisme dans les régions montagneuses de l'Asie centrale et dans les Himalayas° Le Sahara des cultures et des peuples° Le programme des chaires UNESCO sur le tourisme culturel° Préserver le sourire khmer : pour un tourismeéthique° Tourisme culturel dans les pays baltes° Youth Path : tourisme communautaire dans les Caraïbes° Villes du patrimoine et tourisme durable° La route du "gaucho"° Programme de développement du Bassin de la mer d'Aral.
Kernavé, Lituanie. Site du patrimoine mondial.
Quelle relation de l’Unesco avec le tourisme de la Destination Europe ?
Itinéraires culturels
En examinant ces deux introductions et ces deux listes de programmes successives, je me trouve de nouveau devant l’impossibilité d’entrer dans tous les détails, mais fort heureusement, plusieurs mots clefs me guident dans le choix des priorités immédiates de cet exposé. Jene souhaite donc retenir dans un premier temps que certaines des initiatives principales qui touchent très directement le tourisme européen. Je reviendrai plus tard sur d’autres programmes plus en détails, mais de toute manière, chaque objectif présenté sur le site de l’Unesco comporte un lien hypertexte qui conduit à une page permettant de mieux comprendre les démarches sous-jacentes pour ceux qui souhaitent tout de suite en savoir plus. J’ai retenu de ce fait dans le cadre européen d’une part les programmes d’itinéraires culturels liés à l’Unesco et qui se croisent avec ceux de l’OMT, de la Commission Européenne et du Conseil de l’Europe et d’autre part les ressources qui ont été mises en place en termes de recherche et d’enseignement pour mieux « encadrer » le tourisme culturel.
J’ai déjà indiqué que la notion d’itinéraire culturel était mentionnée à plusieurs reprises sur le site de l’Unesco. « Cette organisation a fait figurer les Routes du patrimoine en tant que type spécifique de bien dans la dernière version de l’Orientation devant guider la mise en œuvrede la Convention du Patrimoine mondial. On y introduit un aspect nouveau dans leur définition: une route du patrimoine peut être considérée comme un type spécifique et dynamique de paysage culturel » précisait le Professeur Krestev, membre éminent du Comité de l’Icomos sur les itinéraires culturels, au début des années deux mille dans un article sur les corridors culturels et sur la comparaison des démarches concernant les itinéraires culturels dans différentes institutions. La notion d’itinéraire culturel selon l’Unesco est d’autant plus prégnante aujourd’hui que la Charte de l’Icomos surles itinéraires culturels doit permettre de donner une base à ceux qui recherchent un futur classement d’itinéraires culturels nationaux sur la Liste du patrimoine mondial en suivant une liste de critères précis et une série de recommandations. C’est au cours d’un colloque à Sienne en 2010 dont les textes ont été publiés fin 2011, que plusieurs des représentants européens de l’Icomos sont intervenus dans ce sens (Les Vie della Cultura 26-27 mars 2009, colloque suivi d’une seconde réunion les 14 et 15 juillet 2011). Il est cependant nécessaire de redire qu’il n’existe pas au sein de l’Unesco, contrairement au Conseil de l’Europe, un programme unifié d’itinéraires culturels. Les itinéraires culturels auxquels l’Unesco a donné son aval ont été mis en avant dans différents cadres, pour différents usages ou pour répondre à des questions - je dirais souvent d’efficacité immédiate - posées par les pays membres. Certains devaient permettre de redonner un élan à une large coopération interétatique – c’était le cas de la Route de la Soie à son origine - ou bien parce qu’ils constituent des axes de lecture intracontinentales, ou bien encore parce qu’ils soulignent des épisodes historiques qui ont été caractérisés par la domination de certains continents sur d’autres et que la restitution de la mémoire géopolitique des rapports entre monde développé et tiers-monde est à ce prix. Certains enfin comme la Route de l’Olivier ont été reconnus par la conférence générale à la demande de plusieurs pays. Les itinéraires culturels qui sont cités le plus souvent concernent l’Asie (la Route de la Soie), l’Afrique (La Route de l’Esclave ou celle du Fer) et l’Amérique du Sud (la Route de l’Inca (demande du Pérou pour inscription sur la Liste du patrimoine mondial), la Route du gaucho ou bien encore la Route du cacao). Les Routes du Danube ou de la Volga ont fait l’objet de programmes dans des contextes de mobilisation des jeunes ou pour répondre à des besoins de développement local. La plupart de ces routes possèdent par nature un lien historique fort avec l’idée de mettre en perspective une Europe dominatrice : l’Europe des Découvertes et de l’évangélisation, comme l’Europe commerciale et coloniale, à l’exemple du commerce triangulaire. Le travail de quelques années que l’Unesco a entrepris sur les Espaces du Baroque à la fin du siècle dernier et qui s’est accompagné d’une certaine collaboration avec le Conseil de l’Europe était également fondé sur l’exportation des styles du Baroque vers l’Amérique du Sud, voire l’Orient colonial, un style importé essentiellement dans les valises des Jésuites. La Route de Saint-François Xavier dont le dossier vise l’inscription sur la Liste du Patrimoine mondial en témoigne également très clairement.
Route de François Xavier. Jordi Savall
Ces Routes démontrent plus rarement dans le sens inverse l’apport culturel d’autres continents à l’Europe comme le fait par contre intelligemment le travail transcontinental de l’itinéraire de l’héritage d’Al-Andalus ou bien encore la mise en valeur de routes à double sens comme les Routes de la Soie terrestres et maritimes. Là encore je ne manquerai pas de revenir sur les corpus scientifiques et interprétatifs auxquels ces projets ont donné naissance et sur les publications voire les productions sonores et les films qu’ils ont générés.
Les populations des continents concernés par ces exportations « civilisatrices » ont d’ailleurs fait un fort retour culturel, une sorte de vengeance à long terme, si je puis me permettre l’expression, en s’intégrant à la musique, à la cuisine, voire aux modes de vie multi ou interculturels des sociétés européennes contemporaines, ce qui mériterait de faire partie intégrante des itinéraires en question pour les articuler de meilleure manière à la société contemporaine. Il s’agit là d’un domaine passionnant traitant aussi bien des émigrations, des phénomènes d’aculturation, tout autant que des phénomènes de modes. Il mérite à lui seul bien entendu un approfondissement sérieux car son impact sur nos inconscients et l’évolution de nos modes de vie est extrêmement significatif. De ce fait même, les titres de ces grands parcours prennent une importance considérable dans les messages employés par les opérateurs pour mettre de tels « rêves » en tourisme et nous attirer par exemple sur des navires de croisière ou vers des marches collectives sur les sentiers de trekking.
Exposition "Paroles d'esclaves, Mémoire des lieux"Siège de l'Unesco Paris, mai 2012
Parallèlement, j’évoquais en commençant le fait que l’idée de corridor culturel a pris pendant quelques années une place importante dans les réflexions des institutions européennes et de l’Unesco. « La notion de Corridor culturel a été lancée pour la première fois en 1974 par le professeur roumain Razvan Theodorescu pour caractériser un phénomène spécifique de l’Europe du Sud-Est: les directions territoriales traditionnelles de la région au long desquelles circulent des biens culturels, des idées, des innovations etc., dans une continuité permanente de liens, d’influences et d’interactions. » Ainsi les décrits le Professeur Krestev dans plusieurs publications présentées entre 2000 et 2007 dont l’esprit se retrouve parfaitement illustré sur le site web des corridorsdu Sud-Est européen. “South East Europe has been a real crossroads of civilizations and religions through the centuries; a mediator between the East and the West, the North and the South, transpierced by internal connections and influences, bound up by common historical routes. As a result, in time, cultural corridors in the region have been formed - trans-national axes of century-old interactions – the living memory of the civilizations and strong connections between the peoples, which inhabit the region. Please, get to know these cultural roads, which have preserved their vitality from the ancient times until today!” Les corridors ainsi envisagés sont les suivants : Danube Road, Diagonal Road, Eastern Trans-Balkan Road, Sofia-Ohrid Road, Via Adriatica, Via Anatolia, Via Egnatia, Via Pontica et Western Trans-Balkan Road.
Forum de Varna 2005
Dans l’immédiat de ce post, je ne veux retenir que le rapport des itinéraires européens au tourisme lié au patrimoine mondial, en laissant de côté les autres sites classés (comme les réserves intégrales…) ou labellisés (comme les géoparcs…), ou encore ceux qui sont liés à la mémoire du monde qui peuvent se retrouver inclus ou à l’origine d’un itinéraire culturel. J’aurai l’occasion d’y revenir.
La manière dont certains itinéraires culturels ont été classés sur la Liste du patrimoine mondial mérite pourtant quelques mots d’explication.Le Professeur Jordi Tresseras en a fait une liste qui est donnée dans le rapport préparé par le Conseil de l’Europe et l’Union européenne sur l’impact des itinéraires culturels. Elle comporte surtout des routes qui se trouvent dans des processus d’analyse ou sur les Listes nationales approuvées par l’Unesco (Tentatives Lists) : “Cultural Routes” is also a category for World Heritage sites, including pilgrim Routes such as the Saint James’ Way (Santiago de Compostela Pilgrim Routes), which includes the French trail in Spain (since 1993) and the four ways in France (since 1998). Cultural corridors as historic trails, borders or railways can also be included in the World Heritage List as cultural landscapes, for example, the Rhaetian railway in the Albula/Bernina landscapes or the Frontiers of the Roman Empire (German limes, Hadrian’s Wall and Antonine Wall). Other related sites are included in the UNESCO Tentative List, including some Roman ways and borders, such as the Bavay-Tongres Trail on the Roman Way from Boulogne to Cologne (Belgium), Via Appia – Regina Viarum (Italy), Via Domitia (France), the Frontiers of the Roman Empire – Ripa Pannonica (Hungary), Limes Romanus – Middle Danube (Slovakia) and the Silver Route. Other examples are the Mozarab Trail to Santiago de Compostela (Spain),Caspian Shore Defensive Constructions (Azerbaijan), Transhumance78 – The Royal Shepherd’s Track (Italy), the Saint Francis Xavier Cultural Route (between Orient and Occident, proposed by Spain and passing through Spain, the Philippines and India), and the Mercury Route on the Camino Real (Spanish Royal Way, as a joint project between Mexico, Slovenia and Spain).”Comme on le voit cette liste est longue et je suis certain qu’elle n’est pas tout à fait complète puisque le gouvernement italien par exemple envisage le classement de la Via Francigena en Italie et que d’autres pays européens étudient la manière d’intégrer des fragments de l’itinéraire de Saint-Jacques de Compostelle (La Voie du nord en Espagne par exemple) ou des segments de la Route de l’Ambre.
Ce que cette liste ne dit pas, c’est que seuls les Chemins de Saint-Jacques de Compostelle ont fait aujourd’hui l’objet d’un classement mondial. Ils méritent bien ce classement – qu’on ne se méprenne pas à ce sujet – mais leur introduction dans la Liste a parfois suivi des voies parfois étranges. Le « Caminofrancès » a bénéficié en 1993 d’un classement plutôt dérogatoire puisqu’aucune référence n’était faite dans la Convention du patrimoine mondial à cet objet patrimonial d’un genre nouveau, d’où la réunion de Madrid de 1994 qui devait pallier ce manque. Il faut cependant préciser que le travail de description de cet objet complexe effectué par le Ministère de la Culture espagnol a été remarquable en tous points. Si je peux en témoigner, c’est que j’ai pu à l’époque en consulter les documents. De plus un « Conseil jacobéen » réunissant l’Etat central et les gouvernements autonomes concernés accompagne depuis une dizaine d’années les efforts de gouvernance et les approches méthodologiques avec un accent particulier lors des années saintes, car cet objet patrimonial n’est pas seulement complexe par son hétérogénéité, mais bien plus encore du fait qu’il dépend d’un grand nombre de collectivités et de niveaux de décision empilés et complémentaires. C’est une question que le gouvernement espagnol avait demandé au Conseil de l’Europe d’étudier et qui a fait l’objet d’un colloque à l’automne 1993, grâce au travail de Carmen Pinan qui travaille aujourd’hui à l’Unesco et du secrétariat de Strasbourg dont je faisais partie.
Lorsque la France a introduit une demande du même ordre et a obtenu le classement fin 1998, le dossier n’a pas pu être traité de la même manière puisque le classement aurait dû concerner un grand nombre de chemins dont la revendication historique croisait dangereusement des revendications régionales et locales souvent contradictoires. Le groupe d’experts de l’Icomos où travaillait à ce moment-là Valéry Patin a choisi la solution d’une liste de sites très hétérogènes, mais bien répartis géographiquement (Régions d’Aquitaine, Auvergne, Basse-Normandie, Bourgogne, Centre, Champagne-Ardenne, Ile-de-France, Languedoc-Roussillon, Limousin, Midi-Pyrénées, Picardie, Poitou-Charentes et Provence-Alpes-Côte d’Azur), dont certains sont d’ailleurs seulement en train de recevoir leur mention officiellement quatorze années plus tard, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes. A preuve que dans ce domaine rien n’est simple. Ce n’est pas l’Etat français qui s’est directement chargé de la gouvernance de cet ensemble, ou du moins puisque le terme est un peu fort, de l’harmonisation du travail commun, mais une association interrégionale : l’ACIR.
Cathédrale de Saint Jacques de Compostelle
Ceci dit, les définitions touchant aux itinéraires culturels, en dehors de la Charte de l’Icomos peuvent être tracées dans le texte de la Convention du patrimoine mondial et dans les textes de type « guidelines » publiés régulièrement pour aider les experts dans leur travail (Orientations devant guider la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial). Nous avons ainsi consulté de très près le texte donné aux experts en 2011. Les Itinéraires culturels étant classés comme patrimoine culturel en liaison avec les paysages culturels, il faut donc suivre une logique interne réglementaire.
« Aux fins de la présente Convention sont considérés comme « patrimoine culturel » :- les monuments : œuvres architecturales, de sculpture ou de peinture monumentales, éléments ou structures de caractère archéologique, inscriptions, grottes et groupes d’éléments, qui ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue de l’histoire, de l’art ou de la science,- les ensembles : groupes de constructions isolées ou réunies, qui, en raison de leur architecture, de leur unité, ou de leur intégration dans le paysage, ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue de l’histoire, de l’art ou de la science, - les sites : œuvres de l’homme ou œuvres conjuguées de l’homme et de la nature, ainsi que les zones y compris les sites archéologiques qui ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue historique, esthétique, ethnologique ou anthropologique. »
De plus, « Les paysages culturels sont des biens culturels et représentent les « œuvres conjuguées de l’homme et de la nature » mentionnées à l’article 1 de la Convention. Ils illustrent l’évolution de la société humaine et son établissement au cours du temps, sous l’influence des contraintes physiques et/ou des possibilités présentées par leur environnement naturel et des forces sociales, économiques et culturelles successives, externes aussi bien qu’internes. »
Dans ces « Orientations », certaines catégories de biens sont étudiées de plus près dans la mesure où ils posent justement la question des limites dans lesquelles ils s’incrivent ou de la complexité de leur structure : « Le Comité du patrimoine mondial a identifié et défini plusieurs catégories spécifiques de biens ayant une valeur culturelle et/ou naturelle et a adopté des orientations spécifiques pour faciliter l’évaluation de ces biens quand ils sont proposés pour inscription sur la Liste du patrimoine mondial. A ce jour, ces catégories sont les suivantes, sachant que d’autres s’y ajouteront probablement en temps voulu : paysages culturels ; villes et centres-villes historiques ; canaux du patrimoineet routes du patrimoine. » En ajoutant : « Le concept de « routes » ou itinéraires culturels a été débattu lors de la réunion d’experts sur « Les routes en tant que parties intégrantes de notre patrimoine culturel » (Madrid, Espagne, novembre 1994). » Et encore : « Le concept de routes du patrimoine s’avère riche et fertile. Il offre un cadre privilégié dans lequel peuvent se développer une compréhension mutuelle, une approche plurielle de l’histoire, et la culture de la paix…Une route du patrimoine est composée d’éléments matériels qui doivent leur valeur culturelle aux échanges et à un dialogue multidimensionnel entre les pays ou régions, et qui illustrent l’interaction du mouvement, tout au long de la route, dans l’espace et le temps »
En ce qui concerne leur inscription, les précisions suivantes sont données : « Les points suivants devront être considérés pour déterminer s’il convient d’inscrire une route du patrimoine sur la Liste du patrimoine mondial :
(i) La condition nécessaire de valeur universelle exceptionnelle doit être rappelée.(ii) Le concept de routes du patrimoine :- est fondé sur la dynamique du mouvement et l’idée d’échanges, avec continuité dans l’espace et le temps ;- se réfère à un tout dans lequel la route a une valeur supérieure à la somme de ses éléments constitutifs qui lui donnent son importance culturelle ;- met en lumière l’échange et le dialogue entre les pays ou entre les régions ;- est multidimensionnel, avec différents aspects qui développent et complètent son objectif initial qui peut être religieux, commercial, administratif ou autre.(iii) Une route du patrimoine peut être considérée comme un type spécifique et dynamique de paysage culturel, au moment où de récents débats ont abouti à leur acceptation dans les Orientations.(iv) L’identification d’une route du patrimoine est fondée sur un ensemble de forces et d’éléments matériels qui témoignent de l’importance de ladite route.(v) Les conditions d’authenticité doivent être appliquées en raison de leur importance et d’autres éléments constitutifs de la route du patrimoine. Elles devront prendre en compte la longueur de la route, et peut-être sa fréquence actuelle d’utilisation, ainsi que les souhaits légitimes de développement des personnes concernées.
Ces points seront étudiés dans le cadre naturel de la route et de ses dimensions immatérielles et symboliques. »En suivant ce texte on doit certainement comprendre pourquoi deux routes européennes, dans leurs composantes nationales et deux routes seulement sont inscrites sur la Liste. D’un côté, le classement à partir de listes nationales rend le traitement des itinéraires transfrontaliers très difficiles, sauf accord préalable de plusieurs pays concernés qui décident de faire la démarche de manière simultané et d’un autre côté l’instruction des dossiers est encore plus complexe que celle des canaux ou des paysages culturels qui restent tout de même beaucoup plus localisés géographiquement.
Tourisme culturel et cultures du tourisme
Compte tenu de tous les éléments complexes qui concernent tant les définitions que la prudence nécessaire à la mise en œuvre du tourisme culturel et des itinéraires culturels, au sens que l’Unesco donne à ces notions, le travail des réseaux de recherche et d’enseignement qui se sont développés pour former des responsables de ce nouveau tourisme sur des bases scientifiques anthropologiques théoriques et pratiques était devenu une nécessité absolue. Il est très impressionnant.
Il a été inauguré par le réseau Programme UNITWIN / Chaires Unesco lancé en 1992 et représente pour l’Organisation un instrument privilégié de la coopération Nord – Sud et Sud – Sud « Par le renforcement des capacités, la formation et la mise en commun des connaissances entre universités, instituts de recherche, organisations issues de la société civile, et des secteurs public et privé. Ce réseau constitue une plateforme de compétences et de coopérations pour les universitaires des Etats membres de l’Unesco dans le domaine du tourisme culturel. Les Conventions internationales adoptées par l’Unesco et les recommandations des grandes Conférences internationales dans les domaines des politiques culturelles et du développement durable servent de cadre de référence aux actions proposées. »
La Sorbonne, Paris.
C'est dans un esprit de partage de savoir et d'humanisme que l'Université Paris 1 Panthéon- Sorbonne a créé en 1998, en coopération avec l'Unesco et en étroite collaboration avec son Institut de Recherche et d'Etudes Supérieures du Tourisme (I.R.E.S.T.), une Chaire Unesco dans le domaine de la Culture, du Tourisme et du Développement. « L'attractivité de la Chaire et son rayonnement se sont concrétisés par un nombre toujours plus grand de demandes de partenariats émanant d'universités étrangères et d'ambassades de France, comme en témoigne au début de l'année 2002, un bilan de 21 projets intéressant 26 pays et 41 universités. Une première conséquence de ces résultats est la création à la demande de l'Unesco du " Réseau UNITWIN Culture - tourisme -développement " dont Paris 1 est l'université coordonnatrice, la seconde étant la délivrance par la Chaire d'un " label d'excellence ". Ce label est destiné à valoriser dans chacun des pays partenaires les Doctorats, Maîtrises et Centres de Recherches et d'études Expérimentales et Professionnelles, impliquant les acteurs locaux (populations, organisations publiques, entreprises privées) et conduisant à un développement reposant sur la " mise en tourisme durable " du patrimoine naturel et culturel. »
Les deux premières rencontres du réseau UNESCO / UNITWIN « Culture, tourisme et développement » ont eu lieu le 18 mars 2005 (Paris,Unesco) et les 11-12 mai 2006 (Gréoux-les-Bains). Elles ont inauguré une série d’analyses thématiques dont on peut trouver les résumés sur le site web de l’Unesco. Parmi les plus récentes, le thème du tourisme lié à certaines catégories de sites du patrimoine mondial, puis à celui des itinéraires culturels – sous différents aspects - est devenu récurrent. Nous en donnons l’actualité et les appels à communication régulièrement sur le site de curating scoop.it dont les derniers posts sont affichés à droite des textes.
Il est certainement utile dans ce cadre de reprendre le résumé du colloque de 2005 dans lequel, avant d’analyser les enjeux de l’interdépendance entre tourisme et culture, sont reprises les différentes cultures du tourisme (Ce rapport a été rédigé par Laure Veirier, consultante à l’Unesco qui cite Jafar Jafari (Université de Canberra).
• La culture d’accueil (« host culture ») : c’est celle qui est peut-être la plus facilement repérable et qui pourtant n’est pas enseignée dans les universités des pays hôtes, comme si les cultures nationales étaient connues des étudiants, alors que nous connaissons mal nos cultures tellement elles font partie de notre quotidien. Il est indispensable de comprendre en quoi cette culture peut avoir une influence sur le tourisme proposé et non pas comme c’est souvent le cas pour en extraire des attractions supposées intéresser les touristes.
• La culture du touriste hôte (« guest culture » / « tourist culture »): il est important de comprendre comment le touriste se comporte en dehors de chez lui ; comprendre comment un individu « chez lui » se transforme en touriste émancipé avec des attentes et des comportements particuliers, pas forcément respectueux d’ailleurs de sa propre culture ni de celle de la destination dans laquelle il se trouve.
• La culture « résiduelle » (« residual culture ») : c’est la part de culture que le touriste porte en lui lors de ses voyages ; c’est ainsi que l’on repère souvent les touristes en fonction de leur pays d’origine (les touristes allemands, japonais, français, etc.) dans un contexte ou un pays donné. Ces touristes ont des attentes en commun et des représentations du pays d’accueil qui nécessitent d’être comprises et non stéréotypées.
• La « corporate culture » : il s’agit de la culture de l’industrie touristique, du business, de la gestion ; elle a sa spécificité et se différencie nettement des autres industries.
Toutes ces cultures s’interpénètrent (« culture mix ») et ce qui en résulte est très variable et spécifique à chaque contexte et en fonction des marchés réceptifs, ce qui explique en quoi les modèles standard ont une portée limitée car ils ne peuvent répondre à cette complexité. Il est donc important de distinguer le tourisme culturel des effets culturels du tourisme.
En dehors de cette analyse sémiologique et opérationnelle, ces réunions ont également proposé de renforcer les enseignements du tourisme dans les directions suivantes :
• Sur le plan méthodologique : recourir à des outils d’analyse systémique et de réflexion prospective destinés à intégrer les différentes dimensions quantitatives et qualitatives du tourisme durable tout en développant l’utilisation du e-learning;
• Sur le plan conceptuel : renforcer la pluridisciplinarité en introduisant des disciplines comme l’anthropologie, la sociologie, la psychologie ou encore la géographie humaine, et inclure les principes et instruments normatifs des Nations Unies et de l’UNESCO en particulier afin d’intégrer les aspects sociaux et culturels au domaine économique ;
• Sur le plan pratique : adapter les programmes aux besoins spécifiques des futurs décideurs et développer un esprit plus critique en ayant recours aux expériences de terrain et études de cas en partenariat avec les acteurs publics et privés du tourisme.
Si la coupure fonctionnelle entre les institutions a trop longtemps régné pour ce qui concerne des itinéraires culturels ou les actions liées au tourisme culturel, au point que les labels se croisent sur les mêmes parcours sans vraiment se rencontrer, on doit espérer dans un rapprochement plus grand à l’avenir entre l’Unesco, l’Union européenne et le Conseil de l’Europe, au moins pour ce qui concerne l’Europe. On y reviendra dans l’examen des politiques touristiques relancées depuis 2010 par l’Union européenne qui souhaite de toute évidence s’appuyer en partie sur tous les labels pour relancer la filière du tourisme culturel et durable de la Destination Europe. Mais c’est certainement dans le domaine de la recherche et dans celui de l’enseignement que la coupure n’a que trop duré. Le réseau UNITWIN a acquis aujourd’hui suffisamment d’expérience dans ces domaines pour que le Conseil de l’Europe qui cherche à améliorer la formation et les compétences des professionnels des itinéraires culturels ne réinvente pas la roue et s’appuie sur ce savoir-faire en le complétant et en l’enrichissant des modèles qui lui sont propres. On doit certainement noter comme un signe très encourageant le fait que la composante italienne du Réseau UNITWIN est entrée dans un programme reliant le Conseil de l’Europe et l’Union européenne, le projet « Per Viam » qui regroupe un certain nombre d’itinéraires culturels de pèlerinage. J’ai toujours souhaité ce rapprochement pour avoir expérimenté l’efficacité de Commission communes Unesco – Conseil de l’Europe pour les Routes de la Soie en Europe dans les années 80 et je suis certain que le temps est revenu pour remettre en place une telle coopération de manière sereine et qu’il faut donc le saisir.
L’Unesco et la doctrine du tourisme culturel
Je cherche à privilégier une vision optimiste de l’avenir du tourisme culturel en Europe, tout comme une vision optimiste de l’évolution des cultures du tourisme citées plus haut. C’est pourquoi je mets en relief les effets culturels positifs à long terme des mouvements touristiques tels qu’ils évoluent. Mais je suis bien conscient que les entreprises normatives et réglementaires, ainsi que l’accumulation des opérations de légitimation dont l’Unesco est devenu le symbole avec le succès grand public de la Liste du patrimoine mondial ouvrent la porte à des excès et des contraintes ou pour le moins à des tensions contraires entre durabilité et marché, démarches individuelles flexibles et initiatives collectives, économie sociale et rentabilité des investissements. La recherche d’un « bon tourisme » suit d’abord un processus vertueux, comme celui qui sous-tend les itinéraires culturels, beaucoup plus que l’application d’un label culturel sur un produit touristique fini.
Saskia Cousin a longuement travaillé sur les « Usages et enjeux des politiques de tourisme culturel ». Dans un article essentiel dont j’ai repris le titre pour ce chapitre, elle présente de manière dialectique les étapes de la construction d’une idée du « bon tourisme » par rapport à un tourisme néfaste et cherche à expliquer pourquoi le tourisme culturel est peu à peu devenu une sorte de paradigme pour l’Institution. Si les définitions sont compliquées, la raison ou plutôt la justification du fait que l’Unesco se soit saisi du tourisme depuis 1966, tiennent en peu de mots : « Unesco encourages the development of tourism because tourism contributes in innumerable ways to education, culture and international understanding ». Mais encore faut-il que les bénéfices ne restent pas encore et toujours aux mains des mêmes, les pays riches et développés, que ces bénéfices soient culturels ou économiques, sans même évoquer l’exploitation de la main d’œuvre locale et le tourisme sexuel. Saskia Cousin écrit avec élégance : « Le postulat de l’humanisme universel au fondement de l’Unesco reste posé, mais il s’est déplacé : ce n’est plus la culture ou l’art qui sont universels, c’est le tourisme. Il n’y a plus une culture ou un patrimoine mondial – même si le « label » persiste –, il y a des cultures et des identités culturelles caractérisées par leur « diversité ». L’unité serait alors à rechercher dans l’activité humaine qui les touche et les relie, le tourisme. Si toutes les cultures sont différentes, seul le tourisme permettrait d’apprécier la diversité culturelle et d’en mesurer la commune grandeur. » On a envie d’ajouter : tirez le rideau et oubliez les recommandations !
Ajoutons cependant une autre citation de la spécialiste : « Le tourisme est présenté comme une mobilité idéale, une modalité d’échange culturel et un outil de développement. Il permet de faire connaître et légitimer les revendications de certaines minorités, en même temps qu’il constitue une base de consensus pour les délégations nationales qui fondent l’Unesco. Il constitue un élément supranational permettant à l’OMT et l’Unesco de prôner un mondialisme justement susceptible de dépasser l’échelle de l’Etat-nation, jamais remis en cause après l’échec du gouvernement mondial proposé en 1947 par Julian Huxley, le premier directeur de l’Unesco. Dans ce contexte, l’Unesco ne serait bientôt plus une instance de légitimation du tourisme, mais le tourisme permettrait au contraire de légitimer l’Unesco comme organisation transnationale. » On se saurait mieux dire.
Références :La plupart des Conventions, des textes ou des références cités font l’objet de liens hypertexte. Nous voulions cependant mettre en avant quelques ouvrages ou articles auxquels nous avons fait plusieurs fois référence dans le texte ou dont nous avons mis en perspective les concepts.
Amirou Rachid. Imaginaire du tourisme culturel. Collection La politique éclatée. Presses Universitaires de France.2000. Cousin Saskia. L’identité au miroir du tourisme. Usages et enjeux des politiques de tourisme culturel. Thèse de doctorat en anthropologie sociale, Paris, EHESS. 2002.
Cousin Saskia. « L’Unesco et la doctrine du tourisme culturel », Civilisations, 57 | 2008, mis en ligne le 30 décembre 2011.
http://civilisations.revues.org/index1541.html et http://articulo.revues.org/1509Heinrich Nathalie. La fabrique du patrimoine. De la cathédrale à la petite cuillère. Ethnologie de la France. Editions de la Maison des sciences de l’homme. 2009-2010.Mélot Michel. Mirabilia. Essai sur l’Inventaire général du patrimoine culturel. Bibliothèque des Idées. NRF Gallimard. 2012.
Patin Valéry. Tourisme et patrimoine (nouvelle édition). La Documentation française. 2005.
Robinson Mike et Picard David. Tourisme, culture et développement durable. Paris : Unesco éditions. 2006.
Collectif.Le patrimoine culturel immatériel. Enjeux d’une nouvelle catégorie. Sous la direction de Chiara Bortolotto avec la collaboration d’Annick Arnaud et Sylvie Grenet. Ethnologie de la France. Editions de la Maison des sciences de l’homme. 2011.
Collectif.Paysages européens et mondialisation. Sous la direction de Aline Bergé, Michel Collot et Jean Mottet. Pays / Paysages. Champ Vallon. 2012.
Revue. Le Débat N°65, mai-août 1991. Au-delà du paysage moderne. Autour du patrimoine.