Le dos de Clint Eastwood (« Pale Rider », 1985)

Par Jazzthierry

Qui est cet étrange personnage surgissant des montagnes ? Il n'a pas de nom, se faisant appeler "le prêtre", pas d'identité non plus, pas de passé ? Ses réponses sont toujours évasives et mystérieuses... Et pourtant il offre son aide à cette petite communauté composée d'une vingtaine de chercheurs d'or indépendants, subissant la tyrannie de Coy LaHood, à la fois le fondateur tout-puissant de la bourgade éponyme mais aussi le patron de cette compagnie d'extraction et très déterminé à ne pas partager l'or qu'on pourrait trouver dans la région. Autrement dit, le combat de David contre Goliath. La métaphore religieuse n'est pas seulement ici un artifice, car le film de Clint Eastwood est émaillé de références religieuses ou spirituelles...

Premier point, le héros s'offre à nos yeux au moment où Megan, jeune fille au regard si innocent, enterre son chien, tué par les hommes de LaHood, et adresse une prière, afin qu'un homme puisse réparer cette injustice. C'est alors qu'il apparaît à l'écran en montage alterné. Est-ce le fruit du hasard ? Ou bien le prêtre a-t-il été envoyé (et par qui ?) en réponse à la prière de Megan ? En tout cas, force est de constater qu'il est toujours là, au moment opportun pour sauver un membre de la communauté, se contentant de répliquer aux remerciements qui pleuvent: "Oh, je passais par là...". Cet homme providentiel sauve la vie du personnage sans doute le plus courageux de la communauté, Hull Barret, venu en ville acheter entre autres des couvertures pour affronter l'hiver, et que les hommes de LaHood s'apprêtaient à rosser à coup de bâton. Véritable ange gardien, le prêtre survient au moment où le fils de Coy LaHood s'apprêtait à commettre le viol de Megan, la fille de Sarah (fiancée de Hull). Mais par contre, il ne peut éviter le meurtre de Mr Conway, surnommé le "vieux Spider": fou de joie d'avoir découvert son or, celui-ci se précipite en ville et ne peut s'empêcher de provoquer, planté devant sa fenêtre, Coy LaHood lui-même. Le vieux Spider, tellement ivre qu'il tient à peine debout, est alors accueilli par Stockburn, qu'on présente comme un shérif, mais qui est en réalité un tueur professionnel toujours entouré de ses six adjoints. Il a été engagé par LaHood pour assassiner le prêtre, mais là il commencera par Spider... Celui-ci prend plusieurs balles dans le corps (au moins une balle par adjoint) et à Stockburn revient "l'honneur" d'achever le travail par une balle dans la tête, sa signature, semble-t-il.

A la vue du corps étendu de Spider, criblé de balles, le prêtre reconnait le "style" de Stockburn, sa façon de faire, et révèle aux autres mineurs qu'ils se sont déjà croisés par le passé. C'est alors que tout devient très clair dans mon esprit: au début du film, le héros prend un bain et Barret ne peut s'empêcher de tourner le regard vers lui. Il est alors stupéfait par ce qu'il découvre: un dos parsemé de cicatrices, six pour être exact, amer souvenir des six balles qu'il a probablement reçues un jour, des hommes de Stockburn. Or, quel homme aurait pu survivre a fortiori à cette époque, en Californie, à six balles et probablement une dans la tête ? Cette tête, ce visage que le prêtre regarde intensément dans le miroir, comme s'il doutait de sa propre existence, avant de rejoindre ses invités. Le dos c'est la face cachée d'un homme, c'est celle qui détient sa vérité... On devine alors que le prêtre n'existe pas vraiment, que c'est quelque chose comme un fantôme, un revenant mais qui n'aurait pas besoin d'Hamlet pour réaliser ce qu'il croit juste: aider ces pauvres gens sans défense, accomplir sa vengeance et repartir tranquillement quelque part dans les montagnes neigeuses...