SYRIE - Chroniques de la révolution syrienne (I)

Publié le 05 août 2012 par Pierrepiccinin

Syrie - Chroniques de la révolution syrienne

I. La « Mère de toutes les batailles » (Le Soir, 28 juillet 2012)

  

photo © Pierre Piccinin (Camp de réfugiés syriens d'Altinozü - Turquie, Hatay - juillet 2012)

par Pierre PICCININ (en Turquie et Syrie – juillet et août 2012)

Pierre Piccinin, jeune historien et politologue belge, avait défrayé la chronique en mai, quand il avait été arrêté en Syrie, torturé puis expulsé, alors qu'il voyageait sans animosité envers le régime en place. Aujourd'hui, il continue ses missions d'observation en Syrie.

Le Soir a publié ses chroniques en exclusivité.

Antakya (26 au 28 juillet 2012) – À l’annonce des événements qui se préparaient en Syrie, je me suis mis en route, tout droit de Tunis à Adana, dans l’est de la Turquie. De là, par la route, j’ai gagné Antakya, aux confins du pays.   

Il ne reste rien de l’antique Antioche, mère des Églises chrétiennes d’Orient ; dans la province turque du Hatay, le Sandjak d’Alexandrette, arraché à la Syrie par la Turquie, en 1939, avec la complicité du Protectorat français, la vie paisible et morne des paysans suit son cours, pas même perturbée par les drames effroyables qui se jouent à quelques kilomètres de là, derrière la frontière syrienne.  

Je devais y retrouver Manhal, un de mes contacts, rencontré à Hama, en décembre 2011.  

Il y coordonnait les manifestations et m’avait permis de visiter les dispensaires clandestins où les contestataires soignaient leurs blessés. Recherché en tant qu’activiste, sa vie était en grand danger et, fin juin, il avait été exfiltré vers la Turquie.  

Depuis le début des événements, en mars 2011, Hama a été l’un des fiefs de la rébellion. Pendant des mois, ses habitants ont manifesté de manière pacifique ; beaucoup d’entre eux croyaient dur comme fer aux promesses de réformes du président Bashar al-Assad et condamnaient sévèrement les premiers signes de militarisation de la révolution, que j’avais déjà constatés lors de mon premier séjour d’observation, en juillet de la même année, à Homs notamment.  

Mais, aujourd’hui, même à Hama, on espère l’arrivée de l’Armée syrienne libre (ASL) et, même à Hama, on prie pour une intervention occidentale. Parce que, aujourd’hui, Hama est sous le feu des snipers du gouvernement, qui empêchent tout rassemblement ; et l’armée occupe places et boulevards.  

Et aussi, en mai, il y a eu les élections, ces « élections libres et ouvertes à l’opposition » promises par Bashar al-Assad. Oui, mais, voilà : les partis d’opposition ont été qualifiés de « mouvements terroristes » ; ils n’ont pas été autorisés à présenter leurs candidats. Et seule l’opposition « officielle », au service du régime, a pu participer au scrutin.  

Depuis lors, les citoyens ont perdu toute confiance ; ils ne croient plus aux promesses. Et les autorités n’osent plus organiser les manifestations fleuves en soutient au président, qui inondaient de monde les rues de Damas ou d’Alep, comme j’avais pu le constater en janvier encore. Le gouvernement a peur, à présent, de voir cette foule se cabrer brusquement et hurler au départ de Bashar, à la fin de la dictature, et devenir incontrôlable.  

Et le régime ne veut plus d’observateurs indépendants sur le sol syrien, aucun témoin. Même ceux qui ne lui étaient pas d’emblée défavorables et cherchaient à comprendre la réalité du conflit sont devenus persona non grata. J’en ai fait l’expérience en mai, lorsque, entré en Syrie par la frontière libanaise, pourtant muni d’un visa en règle, j’avais été arrêté par les moukhabarats, les services secrets, après seulement quelques jours : dans l’Enfer de leur centrale de Homs, ils m’avaient administré une sévère correction, avant de m’expulser six jours plus tard ; le message était clair : je n’avais plus rien à faire là.  

C’est que le régime, sûr de la protection que lui garantissent la Chine et la Russie, ne fait plus preuve d’aucune modération : depuis la mi-mai, l’armée bombarde massivement toutes les villes insurgées, sans plus se soucier des observateurs de l’ONU déployés en Syrie dans le cadre du Plan Annan ; et les services secrets arrêtent, tuent et torturent les manifestants. Ils ne s’en cachent plus ; ils ne se sont pas privés de me le faire savoir, lorsque j’étais en prison : j’ai tout vu, et on m’a cependant laissé partir.  

Un an et quatre mois après le début des troubles, le gouvernement de Bashar al-Assad n’a plus aucune légitimité. Mais il tient toujours, grâce à l’inertie de l’Occident –qui n’a pas même accepté de donner des armes aux insurgés-, et il pourrait tenir encore longtemps et réussir à écraser la révolution.  

C’est pourquoi plus de cent mille Syriens ont fui les zones des combats et s’entassent dans des villes de tentes, derrière les frontières d’Irak, de Jordanie, du Liban et de Turquie. L’affolement de ces dernières semaines en a là précipités plus encore ; et il est temps que les Nations Unies mobilisent les moyens nécessaires pour répondre à ce qui se dessine sous les traits d’une crise humanitaire.  

C’est dans un des camps de réfugiés de la province de Hatay que je devais retrouver Manhal. Nous nous y étions donné rendez-vous. Mais, quand j’y suis arrivé, il était déjà reparti. Il m’avait laissé un message : « je ne peux pas rester là, sans rien faire ; je ne veux pas finir comme les Palestiniens, qui vivent dans des camps depuis soixante ans ; ma maison est à Hama, c’est là que je veux vivre ; c’est chez moi ; tant pis pour les risques ; je pars au combat ».  

J’ai en revanche retrouvé des habitants de Tal-Biseh, une petite ville au nord de Homs. Le 16 mai, la veille de mon arrestation, j’y avais rencontré l’ASL, qui tenait la ville ; j’étais le seul observateur sur place, et ils m’avaient fait toute une fête. Quelques jours après mon retour en Belgique, j’avais appris que Tal-Biseh était soumise à d’intenses bombardements. Mes contacts à l’intérieur de la ville m’avaient informé que plus de 80% de la population avaient fui. Peu après, j’avais reçu leur dernier message : « l’armée est dans la ville ; nous sommes tout seuls ; personne ne nous aide ; mais souviens-toi de nous ». Je me souviens d’eux…  

Ces gens, démunis, qui vivent sous les tentes de l’armée turque, sans même savoir si leur maison est encore debout, n’ont pas pu me dire si Tal-Biseh tenait encore ou si l’ASL y avait été vaincue.  

Il n’est pas aisé d’accéder aux camps de réfugiés : l’Ambassade de Turquie à Bruxelles m’en avait refusé l’autorisation, « par respect pour l’intimité des personnes réfugiées » (sic) et, sur place, la procédure demande plusieurs jours d’attente, pour obtenir une réponse souvent négative. Les hôtels d’Antakya sont emplis de journalistes qui attendent en vain. Les autorités turques ne souhaitent pas la présence d’observateurs étrangers, et pour cause…  

Alors que la Turquie entend gérer seule l’afflux de réfugiés qui arrivent sur son sol, refusant l’aide proposée par d’autres États, les conditions de vie dans la dizaine de camps établis tout le long de la frontière sont proprement effarantes. C’est du moins ce que j’ai pu constater au camp d’Altinózü, au sud d’Antakya, l’un des trois sites d’accueil de la province de Hatay ; et ce n’est pourtant pas le pire, à en croire les contacts qui m’ont permis d’y pénétrer.  

Les barbelés qui entourent le camp ne sont en effet pas partout infranchissables : un menuisier, voisin du camp qui jouxte la bourgade, nous a laissé monter sur le toit de sa maison, depuis lequel il est possible, le soir tombé, de se laisser glisser dans le camp à l’aide de cordages…  

Tout de même mieux organisé que les camps de réfugiés au Liban, dont celui de Wadi Khaled, que j’avais visité en mai dans les mêmes conditions, le camp d’Altinózü se compose de vastes hangars de tôle, auxquels ont été ajoutées quelques files de tentes juxtaposées, à l’enseigne du Croissant-Rouge turc. Pas une herbe, pas un arbre. Par 42°C à l’ombre.  

Le manque de place est tel que chaque tente abrite deux et parfois même trois familles, entassées dans l’air suffoquant et moite qui accable la province de Hatay tout l’été durant, tandis que de nouveaux réfugiés arrivent tous les jours.  

L’eau potable manque. Les sanitaires sont insuffisants et les toilettes débordent. Et les denrées se vendent à prix d’or, fonction d’un marché noir et d’une pénurie cyniquement entretenus par les gardiens du camp eux-mêmes, qui trouvent dans le malheur des familles réfugiées une manne inespérée… Dès lors, la nourriture fait parfois défaut, car, coupées de leurs parentèle et sans revenus, ces familles n’ont pas toutes la possibilité de s’approvisionner régulièrement.  

« Nous sommes reconnaissant au gouvernement turc de nous donner l’asile », m’a confié Samou, un jeune Chrétien, arrivé au camp début juin. « Mais les policiers ne nous aiment pas ; ils n’aiment pas les Syriens et ils exploitent notre malheur tous les jours ; ils n’ont aucune pitié : moi, je préfèrerais être dans ma maison, avec mes sœurs, et boire le vin frais sous la treille du jardin, mais vous savez bien ce qui se passe, chez nous ; ici, parfois, on n’a même pas d’eau pour se laver. »  

Aussi, les coups de colère sont presque quotidiens. Les pauvres gens sont à bout et certains ont déjà décidé de prendre le risque de retourner vivre dans ce qui reste de leur village. « Ils ne veulent pas de nous, ici », m’a lancé une vielle femme. « C’est pour cela qu’ils ne nous donnent rien à manger ; pour qu’on s’en aille et qu’on les laisse tranquilles. »  

Mais la plupart n’a pas le choix : ce sont les familles des combattants de l’ASL, qui les ont mises ici à l’abri. En Syrie, ils sont connus ; c’est principalement le cas des déserteurs. Et la vie de leurs proches est dès lors menacée par les représailles du régime, qui veut faire des exemples pour dissuader d’autres militaires d’abandonner l’armée régulière. Mais, sachant leur famille à l’abri, les hommes peuvent aller se battre pour renverser la dictature : « pourquoi je me bats ? », m’a répondu Mounir, quarante-deux ans, sunnite. « Vous ne savez pas, vous, en Europe, ce que c’est d’être humilié tout le temps : il faut payer des pots-de-vin pour tout ; il faut payer la police ; ils peuvent prendre votre maison, s’ils veulent. On a pris l’appartement de mon cousin ; un homme qu’il ne connaît pas s’est installé chez lui ; il a demandé des comptes au gouvernorat, et on l’a arrêté : les policiers l’ont frappé en prison pendant trois jours ; je n’ai pas reconnu sa figure quand il est sorti, sauf ses yeux. Moi, je ne veux rien que vivre avec ma femme et mes enfants ; c’est tout. On a une chance de pouvoir changer ça ; c’est pour ça que je me bats ».  

Plus compliqué à infiltrer, le camp militaire d’Apaydin, aussi situé dans la province de Hatay. Outre les camps de réfugiés civils, la Turquie héberge aussi le quartier général de l’ASL. Et c’est au camp d’Apaydin que se rassemblent avec leur famille officiers et soldats déserteurs.  

Toutefois, les péripéties que j’ai traversées en mai m’ont valu la sympathie des combattants de l’ASL. Et, à mon grand étonnement, la plupart d’entre eux me connaissent. Et mon nom est presque devenu un sésame, qui m’ouvre toutes les portes.

 photo © Pierre Piccinin (Camp de réfugiés syriens d'Apaydin - Turquie, Hatay - juillet 2012)

J’ai donc eu l’opportunité de rencontrer le commandement de l’ASL, le général Amro Faez et le général Mustapha Ahmed al-Cheick, commandant le Haut Conseil militaire de l’ASL. Le Général al-Cheick était l’un des plus hauts gradés de l’armée syrienne ; il commandait l’armée du nord, dans la région d’Alep. Rejoint par plusieurs officiers dissidents, il a créé ce Haut Conseil qui essaie de fusionner et de coordonner les différents groupes armés de l’insurrection, y compris le tronc historique de l’ASL, fondée par le colonel Riad al-Asaad, l’un des premiers officiers de haut rang à avoir pris ses distances aves Damas.  

Par chance, lorsque je me suis présenté à l’entrée du camp, se trouvait aussi le professeur Ayach Salah, opposant syrien de longue date qui enseigne à l’Université de Paris VII ; il nous a aimablement servi d’interprète.  

On laisse son passeport à l’entrée. Aucun appareil photographique n’est admis dans le camp ; pas de téléphone portable ; j’ai cependant pu dissimuler un dictaphone dans mon sous-vêtement et enregistrer mon échange avec le général al-Cheick :  

- La Turquie vous aide-t-elle, général, dans la guerre contre le gouvernement baathiste ?  

- Non. Nous recevons un support moral, mais c’est tout. Nous n’avons même pas un support logistique. Nous sommes en prison, ici. On ne peut pas sortir.  

- Et la France ? Certains médias ont affirmé que les services secrets français vous avaient fourni du matériel de télécommunication, qu’ils vous entraînaient à la guérilla urbaine dans les camps de réfugiés. J’ai moi-même répercuté ces informations…  

- C’est faux. Ils ne nous ont presque rien donné… Et regardez-nous, ici : vous voyez des camps d’entraînement militaire ?  

- Avez-vous reçu des armes de l’étranger ?  

- Très peu. Peut-être certaines régions ont-elles reçu des armes ; mais ce n’est pas par l’intermédiaire du Haut Conseil.  

- Deux offensives ont été lancées : la « Bataille de libération de Damas », qui est perdue, faute de matériel lourd -on devait s’en douter-, et l’ouverture d’un front dans le nord, à Alep. Est-ce le Haut Conseil qui a ordonné ces opérations ?  

- Non. C’est un groupe d’officiers de l’ASL qui a ordonné ces offensives, pas le Haut Conseil. Nous avons été informés deux jours seulement avant l’offensive à Damas. La bataille de Damas est perdue et beaucoup de gens ont été tués, mais il reste encore des combattants…  

- Mais, dans ce cas, quels sont les rapports exacts entre le Haut Conseil et ces officiers de l’ASL ? Qui les commande ? Comment s’organise cette ASL ?  

- C’est compliqué : l’ASL, c’est un ensemble de groupes indépendants qui combattent sur le terrain. Et c’était un corps sans tête. Même le colonel al-Asaad n’a pas le contrôle sur ces groupes de combattants. Chaque région, sur le terrain, a son groupe de combattants et son chef ; ce sont surtout des civils qui ont pris les armes, avec des soldats déserteurs. C’est pour cela que nous essayons de faire reconnaître ce Haut Conseil, pour coordonner les mouvements de ces groupes et rendre leur action plus efficace.  

Pour le moment, un peu plus de 50% des groupes combattant travaillent étroitement avec nous. Et ça évolue dans le bon sens : les combattants comprennent l’importance de coordonner les opérations. Depuis six mois, nous avons réussi à organiser dans chaque région de Syrie un Conseil militaire, pour structurer tous ces groupes qui forment l’ASL, qui s’en revendiquent. C’est nécessaire, pour vaincre l’armée du régime, mais aussi pour éviter la prolifération de certains groupes salafistes, djihadistes, qui reçoivent, eux, de l’argent de certains pays, et les empêcher de semer le chaos en Syrie.  

Mais, sans moyen, que pouvons-nous faire ? Or, pour l’instant, aucun pays ne nous aide vraiment. Il y a ici vingt-quatre généraux, prêts à servir le pays. Mais nous sommes seuls.  

Avez-vous entendu la déclaration des Etats-Unis, ce matin ? Ils savent qu’un massacre se prépare à Alep, mais ils ont dit qu’ils n’interviendraient pas.  

C’est une carte blanche pour le régime d’al-Assad.  

- Concrètement, que devrait faire l’Occident ? Vous fournir un appui aérien ?  

- Nous n’avons même pas besoin d’un appui aérien. On a les hommes, partout. Si seulement on nous donnait un peu de matériel, anti-char et anti-aérien, en dix jours, le régime est fini.  

Les Américains ont donné des armes anti-aériennes en Libye. Nous leur avons demandé la même chose, mais ils ont refusé. Ils disent que, si on donne ces armes à la révolution syrienne, elles vont tomber dans les mains d’al-Qaeda. C’est faux ! C’est tout le contraire ! Par contre, à qui ont-ils donné ces armes en Libye ?  

- Pourquoi les occidentaux ne vous aident-ils pas ?  

- C’est une difficile question ! Pour résumer : l’ordre mondial a été construit par l’Occident sur plusieurs points d’appui. Au Proche-Orient, la Syrie en est un. Or, la révolution va contre les intérêts occidentaux. C’est pour cela que la révolution syrienne est abandonnée, sans aide ; c’est une révolution orpheline.  

Le coût humain est horrible : officiellement, on parle de vingt mille morts. Mais c’est sans compter tous les disparus.  

La Russie et la Chine croient combattre l’Occident. Mais, en appuyant al-Assad, elles servent l’équilibre qu’il a mis en place, basé sur la misère du Tiers-Monde.  

Les États-Unis soutiennent les Israéliens, qui supportent Bashar al-Assad, parce qu’il s’est entendu avec eux. Il sert de garde-fou aux combattants palestiniens réfugiés en Syrie. Depuis quarante ans, la Syrie n’a pas tiré une balle contre Israël.  

Et ils ont surtout peur que la Syrie, devenue indépendante, renverse le rapport des forces dans la région, déconstruise l’ordre établi après la seconde guerre mondiale et remette en question leur contrôle des pays du Golfe et, donc, du pétrole.  

Nous, nous essayons d’être libres, mais vos gouvernements, ils sont contre notre liberté.  

- Autre chose : que va-t-il arriver aux Chrétiens et aux Alaouites, la communauté du président al-Assad ? On a parfois l’impression, en Occident, que c’est une révolution sunnite.  

- Absolument pas ! Ils auront leur place en Syrie, comme maintenant ! Ce sont les gouvernements occidentaux qui habillent la révolution syrienne de la sorte. Mais la société syrienne a toujours vécu dans la diversité, sans violence. C’est le régime qui essaie de faire croire que la société va éclater. C’est vrai, cependant, que le régime a piégé les Alaouites. Ils ont été amenés à piller la société. Mais nous, nous voulons faire comme Mandela a fait en Afrique du Sud : le pardon et la réconciliation, pour créer un État laïc et démocratique, et mettre fin à ce drame le plus vite possible.  

D’ailleurs, il ya des Chrétiens dans l’ASL ; peu dans le Haut Conseil, parce que les Chrétiens ne font pas de carrière militaire ; ils sont avocats, médecins, commerçants ; mais beaucoup de civils ont pris les armes avec l’ASL. Et des Alaouites aussi.  

Le gouvernement ne s’appuie plus sur les Chrétiens : il avait proposé de les armer pour combattre la révolution, mais ils ont refusé. C’est bien la preuve qu’ils ne soutiennent pas le régime.  

- Et si le régime acceptait de négocier avec vous…

- Non ! C’est trop tard ! Après tout ce qu’il a fait, il n’y a plus de négociation qui tienne. De toute façon, la question ne se pose même pas.

A la sortie du camp, un journaliste suisse attendait de pouvoir entrer, sans succès. Je lui ai donné une carte de visite. Mais, alors qu’il me demandait quelques informations, deux gendarmes turcs se sont approchés, m’ont repris mon passeport des mains et m’ont demandé de les suivre. J’ai discrètement confié mon dictaphone au journaliste. Ils l’ont arrêté aussi. Les gendarmes nous ont fouillés. Chaussures comprises. Le dictaphone était sur la table. Le journaliste n’a pas bronché. Nous avons réussi à faire croire que l’objet que je lui avais remis n’était que ma carte de visite, pour nous retrouver en soirée… Incrédule, l’officier a dû nous laisser quitter le camp.

Ce samedi soir, je rejoindrai une unité de l’ASL. Les hommes m’attendent à la frontière, dont ils contrôlent plusieurs postes douaniers ; nous avons rendez-vous à Gaziantep, une petite ville, à un long jet de pierre de la Syrie.

Avant d’entrer à nouveau en Syrie, j’ai demandé que l’on m’apprenne à utiliser correctement une kalachnikov, la seule arme à disposition des rebelles. Si nous rencontrions un problème… Je ne veux en effet en aucun cas retomber dans les griffes des services secrets.

On peut bien sûr être très critique concernant la révolution syrienne. Je l’ai été, je le suis encore, et j’estime qu’il s’agit là d’une saine démarche. Mais il ne faut pas perdre de vue qu’elle se débat dans des conditions extrêmes, sans aide extérieure et face à la machine de guerre d’un régime politique impitoyable, qui lui fait payer un lourd tribut en victimes civiles plus encore que militaires.

Il ne faut donc pas se laisser distraire par des constatations certes pertinentes, mais secondaires, et oublier que les revendications des insurgés sont honnêtes et légitimes…

J’entrerai avec ces hommes dans un pays en guerre, dont le gouvernement menace maintenant d’utiliser des armes chimiques.

Depuis le vendredi 20 juillet, l’ASL a déclenché une vaste offensive dans cette région, autour d’Alep (dans le nord-ouest de la Syrie). Les massacres se sont succédés, depuis deux mois, et il n’est plus temps de tergiverser : « il faut gagner ou mourir », m’a écrit Manhal.

Peu avant, elle avait lancé la « Bataille de libération de Damas ». Ce fut un échec… Faute d’un soutien des démocraties occidentales, toujours imperturbables face à l’assassinat du peuple syrien par l’arsenal militaire du régime baathiste, l’ASL a dû reculer devant les compagnies de chars d’assaut et le déploiement d’hélicoptères de combats dans le ciel de la capitale.

Et les quartiers insurgés ont été « nettoyés » des « terroristes », selon le jargon de la propagande mise en œuvre par la télévision d’État.

Le Président al-Assad l’avait annoncé : désormais, c’est dans le nord, le long de la frontière turque, que l’armée régulière va concentrer ses efforts. C’est sur Alep, Idlib, Hama, Rastan, Tal-Biseh, Homs… qu’est menée une contre-offensive d’envergure, dont l’objectif est l’élimination totale de la résistance à la dictature.

Avec les soldats de l’ASL, nous marchons en direction de cette contre-offensive, qui a commencé ce matin et dont les mouvements les plus décisifs sont pour les prochains jours…

Car ce n’est plus de Damas qu’il s’agit aujourd’hui. Aujourd’hui, c’est ici, à Alep, que va se jouer la « Mère de toutes les batailles », selon les termes du Président al-Assad ; c’est maintenant l’heure de la Bataille de Syrie.

      Source : Arte - LeDesous des Cartes 

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