Lorsque j’ai écouté le poète et romancier tchadien Nimrod pour une première fois, à l’occasion d’une rencontre Poètes dans la cité organisée par l’ODC, il partageait l’affiche avec l’écrivaine et universitaire Sylvie Kandé. Je fus à la fois interpelé par la qualité de son échange avec Fulvio Caccia et les lectures faites de sa poésie par les membres de l'association Poécité ayant participé à l'organisation de cette rencontre. Il n’empêche que, pour être parfaitement honnête, je fus quelque peu agacé par cet homme de lettres au verbe ampoulé qui semblait un peu se la péter sur scène…
Pourtant, l’échange que j’eus avec lui lors de l’apéro qui suivit cette magnifique rencontre, œuvra à la déconstruction de cette interprétation rapide et à ce réflexe inné consistant à ranger les gens dans des cases de mon esprit bien pensant. L’homme était vif, brillant, peu avare de conseil en terme de littérature, bousculant la certitude en moi installée que poésie et Gangoueus faisait deux.
Mais la plus belle des rencontres que l’on puisse faire avec un auteur est celle de l’ouverture d’un ouvrage fait de ses mains et d'accepter l’immersion complète dans son univers. Et là…
L’or des rivières est un recueil de récits magnifiques. Une sorte de cahier d’un retour au pays natal, version tchadienne. Dans différents chapitres, Nimrod raconte l’histoire de ce retour au Tchad sous la demande forte initiée par sa mère pour dresser la pierre tombale de son père, pasteur luthérien décédé. Ce voyage longtemps appréhendé par l'auteur qui vit en Europe, loin de ce pays resté longtemps en guerre.
Les observations du personnage central portent d'abord sur sa famille, sa mère endeuillée, écorchée, sur la figure de ce père disparu, qui nous apparaît à la fois généreuse, tolérante et si éloignée des préoccupations de l'adolescent. On y reviendra. L'auteur regarde et redécouvre NDjamena, lui qui est devenu pour elle le plus parfait des étrangers. Comme dans ce chapitre si passionnant où il évoque la disparition des caïlcédrats de Ndjamena.
C'était au centre-ville qu'ils* donnaient la pleine mesure de leur existence. Il donnaient au centre-ville son cachet de capitale. Il lui donnait son atmosphère d'oasis. N'Djamena, avec ses bâtisses coloniales, et ses arcades, était en effet la porte du désert. [...] Les caïlcédrats de l'avenue Charles-de-Gaulle étaient comme des dieux déployés au-dessus des têtes affairées? Ils renouvelaient l'air, les oiseaux répondaient par des gazouillis.
Ce matin, en débarquant de l'aéroport, c'était pour la première fois que j'éprouvais un tel saisissement. Les caïlcédrats du centre-ville avaient disparu.page 86, éditions Actes Sud
Nimrod alterne dans sa narration entre ce type de description de paysage, de la nature, mais aussi de la réaction des personnes qu'ils rencontrent durant son séjour et ses propres souvenirs d'enfance, d'adolescence au Tchad sous les influences très différentes de ses parents.
La construction de son identité au travers de la figure paternelle est particulièrement intéressante. Ce protestant luthérien qui semble si détaché de sa culture, quand on commence l'ouvrage, et qui n'a pas réussi à gagner son épouse, encore peuplée par ses croyances animistes. Un homme passionné. Un homme si loin de l'enfant qu'il fut. L'analyse que propose Nimrod sur le choix de croyance qu'il fit est à la fois lucide et touchera le lecteur sur la question de la transmission des valeurs. Et sur les raisons subjectives qui nous poussent à les prendre. En tout cas, on ne pourra pas accuser Nimrod d'adopter une posture militante quand il oppose, un peu comme Chinua Achebe, valeurs du christianisme et du culte des ancêtres.
C'est un roman magnifique où n'importe quel lecteur africain vivant en Occident ayant fait un retour au bled se retrouvera.
Que dire, pour terminer, du style? Je n'ai pas assez de mots pour qualifier cette écriture portée par la poésie de Nimrod. Chaque phrase est ciselée, maîtrisée révélant l'exigence de l'auteur tchadien. Les mots véhiculent cet amour pour une terre qu'il tient pourtant à distance.
Dans la famille, tous les soirs, une lumière se répand entre un homme, une femme et un enfant. Ce n'est pas que les journées soient inintéressantes, ou que la vie trouve avec la ténèbre un mobile à ses louvoiements. A l'ordinaire, le jour nous disperse, tandis que la nuit nous rassemble. La Hand Feuer devient l'emplacement de notre bivouac. Autour d'elle, nous nous épions comme s'il s'agissait de deviner autrui, de l'aider, par le seul regard, à quitter sa bulle de verre pour venir dans la lumière où peu à peu s'affine le pays entrevu - une autre bulle de verre... Car l'éclairage qui équilibre nos sentiments, n'est-ce pas l'ouverture en nous du monde, lorsque l'azur, sombre et terrifiant, vient frapper à la porte de nos sens comme qui demande à être reçu?Page 124, éditions Actes Sud
Votre lecture sera bonne. Merci à Hervé!
Nimrod, L'or des rivières
Editions Actes Sud, 1ère parution en 2010
Voir les critiques respectives d'Hervé Ferrand sur Ballades et escales en littérature africaine, de Télérama, de la Cause littéraire (article de Théo Ananissoh).
(*) Caïlcédrat