[évenements] Hommage à Emile-Bernard Souchière, par Gil Jouanard

Par Florence Trocmé

EMILE-BERNARD SOUCHIERE HOC FECIT 

D’où peut bien venir ce nom de « Souchière », je l’ignore, mais je serais tenté de lui attribuer une origine géobotanique, et d’y entendre résonner le mot souche, dont celui de cep est à la fois voisin, contigu même, et solidaire. Emile-Bernard était un de ces ceps et l’une de ces souches, solidement ancré dans un terreau, un paysage, une lumière, une grave épaisseur de silence. Mais un silence prolixe autant que prolifique. Qui disait moins qu’il ne faisait, mais ne cessait de faire, de fabriquer, deux verbes qui en grec ancien se disaient poegn, et qui servirent à former ce terme complexe, ambigu, indéfinissable, mais magique, de « poésie ». 
Emile-Bernard était un fabricant d’objets poétiques, un artiste-artisan en poésie. Pour lui, cette abstraction si fugitive et éthérée était une réalité concrète, non pas objective, mais objectale. Une réalité qu’il tenait en main, savait travailler, aimait parfois aussi à caresser. Faite de pleins et de déliés, de vides et de pleins, elle avait la consistance et la configuration d’un rituel, voire d’une métaphysique de la matière. Il était un mystique matérialiste, à la façon de Gaston Bachelard. 
Et l’on n’oubliera pas de noter au passage que le mot-clé qui lui servit à désigner, à baptiser, son atelier d’art livresque et plastique, fut celui de grame, dont le blé est un enfant naturel. Or cette graminée emblématique, qui fut cause de la révolution néolithique, fut aussi, d’emblée, sur les bords de l’Euphrate, à l’origine de ce qu’on finira par appeler l’écriture
Ainsi, Bacchus et Cérès, amoureusement liés par ce lierre, dont on sait qu’il meurt où s’il s’attache, auront présidé à la destiné de cet amoureux fou de la vie et, par là-même, de l’amour. Anik et Bernard hoc fecit (ainsi signaient les maîtres d’œuvre sur les cathédrales romanes et gothiques).  

[Gil Jouanard]