La fin d’une histoire [C'est l'histoire d'une fille]

Par Poulettenela

Cet été, pour vous faire voyager un peu, je vous dévoile quelques nouvelles…

Rendez-vous tous les vendredis pour une petite histoire à découvrir pendant le week-end !

Aujourd’hui, on ne rigole pas, on vit la fin d’une histoire amoureuse…

 

LA FIN D’UNE HISTOIRE

Il ne verra jamais les larmes couler le long de mes joues.

La pluie torrentielle de ce soir de mars m’épargnera cette dernière humiliation.

Comment ai-je pu en arriver là et laisser cet homme prendre autant de place dans ma vie ?

Malgré les preuves évidentes de sa manipulation, seul ce dîner m’a enfin ouvert les yeux.

C’était avec un réel enthousiasme que je lui avais proposé quelques semaines auparavant de m’accompagner à l’avant-première d’une pièce de théâtre contemporaine.

Les critiques étaient excellentes et le titre promettait une soirée pleine d’émotions… « La Tectonique des Sentiments », ou comment une relation amoureuse peut elle passer de l’amour à la haine.

Mes relances téléphoniques ont reçu pour seule réponse « pas eu le temps de regarder mon agenda ».

Et ce soir, devant une nappe immaculée et une porcelaine étincelante, il m’annonça avoir finalement réservé des places et proposé à une amie de l’accompagner.

Un haut-le-cœur me submergea, une douleur aiguë me traversa le corps…

J’étais incapable de lui répondre, incapable de faire le moindre mouvement.

Sans percevoir mon désarroi il me lança « tu as eu une très bonne idée en me conseillant cette sortie ».

Je fixai une dernière fois son visage, mémorisant les moindres détails, en me jurant de ne plus jamais avoir à soutenir ce regard.

Je pris mon sac et ma veste dans un mouvement calme et quittai le restaurant sous les regards interrogateurs du personnel et des convives.

La pluie tombait à flot.

Des gouttes épaisses et glacées s’abattirent sur mes cheveux et s’insinuèrent dans mon décolleté.

Les secondes s’écoulaient et je restai là, cherchant une issue du regard.

Il sortit du restaurant en simple chemise et se posta devant moi.

Je ne le regardais pas, j’étais dans un état second.

Ses lèvres semblaient s’animer, ses mains bougeaient, mais je refusais d’entendre le moindre mot.

Il s’approcha plus près, tenta de passer ses bras autour de mes épaules pour me reconduire à l’intérieur.

La douleur et la rage s’emparèrent de moi et je le repoussai de toute la force dont j’étais capable.

Il trébucha et se rattrapa à la paroi glissante de l’entrée du restaurant.

Je levai enfin les yeux vers lui et surpris son regard inquiet, soupçonneux et craintif.

Les souvenirs refoulés refirent surface.

Les détails de cette histoire se dessinèrent clairement dans mon esprit.

J’avais bel et bien été la seule à vouloir d’une relation, quel qu’en soit le type.

J’avais succombé instantanément, immédiatement à ce regard émeraude et à ce visage poupon.

J’avais rêvé, imaginé, désiré chacun de ses mots tendres et de ses attentions.

J’avais, seule, attendu une suite, une continuité et un aboutissement.

Seule.

Cette relation, je l’avais vécue seule.

Et cet espoir avait été alimenté pas des bribes d’affection, des restes de désir, des illusions de sentiments réciproques.

Il était le seul fautif de ma souffrance et de ma douleur actuelles.

Cette histoire décousue débuta deux ans auparavant, lorsqu’un serveur nous avait placés par erreur à la même table d’un restaurant.

Nous avions fait connaissance en quelques minutes, le temps que nos hôtes nous rejoignent et avions échangé nos numéros de téléphone.

S’en suivirent de longues conversations nocturnes, des messages à répétition et l’ambiguïté de nos propos.

Mon trouble, lorsque nous nous parlions, devenait évident, et les sous-entendus de nos échanges alimentaient cet état.

Je profitais de chaque seconde, buvais ses mots, me saoulais de sa voix rauque.

Nous jouions, cherchant à nous provoquer mutuellement.

Mais les règles du jeu avaient été clairement établies : il n’y avait pas de place dans nos vies respectives pour l’un ou l’autre et cette relation était sans issue.

Une mise en garde m’avait d’ailleurs été faite « si tu acceptes de jouer, sache juste que c’est moi qui gagnerais ».

Pourtant, au fil du temps, nos messages devinrent plus réguliers, plus personnels aussi.

Il semblait souffrir d’une rupture particulièrement sensible… et moi-même je vivais des moments difficiles.

Parfois, le sentant désemparé et soucieux, je cherchais à en savoir plus.

Sa vie amoureuse ne m’intéressait pas réellement, mais elle me permettait de découvrir son passé et ses blessures.

Je le laissais parler à son rythme, évitant de le couper et lui faisant partager mon opinion quand il me le demandait.

Il détaillait certains passages de son histoire, me mettant parfois mal à l’aise, pour finalement accorder quelques instants à mes déboires personnels.

Les heures de conversation s’accumulèrent et les désaccords se firent peu à peu sentir.

Il me reprocha même de vouloir trop en savoir sur son passé, alors que je lui permettais uniquement d’exprimer son mal-être.

Dans mon esprit, il était évident que j’attendais autre chose.

Sa présence physique me faisait défaut : les appels et les messages écrits ne me suffisaient plus.

Et lorsque dans nos échanges nous parlions de premier baiser, de nuit torride… je ne jouais plus.

Je le souhaitais réellement.

Les rencontres physiques étaient rares et les sous-entendus plus tempérés quand nous étions face à face.

Mais notre complicité devenait évidente et le plaisir de nous retrouver semblait partagé.

Pourtant, malgré mon désir, j’étais incapable de l’approcher.

Mon discours était toujours aussi animé, mais mon corps faisait preuve d’une lâcheté évidente.

Le premier baiser tant attendu finit tout de même par être échangé.

Pouvait-il en être autrement ?

Il m’invita chez lui, me proposa un verre de vin et me demanda de le rejoindre sur le canapé.

Il me fixa en souriant, prit mon visage dans ses mains, et m’embrassa.

Doucement, timidement dans un premier temps, puis plus ardemment.

Sa langue se fraya un chemin entre mes lèvres, ses doigts se plantèrent dans mes cheveux et les heures qui suivirent furent ponctuées de baisers langoureux.

Je repartis séduite, rêveuse et impatiente de retrouver sa chaleur et son odeur.

Les règles du jeu avaient évolué.

Les conversations qui suivirent devinrent plus sensuelles, plus physiques.

Malgré tout, son temps était compté, ses disponibilités rares et mes propositions souvent déclinées.

J’aurai dû accepter le fait que tout ceci avait bien moins d’importance pour lui que pour moi.

Mais j’étais incapable de m’y résoudre et repoussais le moment de faire face à cet échec.

Et en une seconde, un simple message de sa part suffisait à effacer tous mes doutes.

Lorsqu’il se dévoilait un peu plus et me déclarait qu’il souhaitait me sentir contre lui ou qu’il s’impatientait de mes baisers…

Ces mots, qui s’affichaient sous mes yeux, m’attiraient irrémédiablement vers lui.

C’est mon cœur qu’il emprisonnait et mon amour qu’il s’appropriait.

Et alors que mon désir d’être contre lui se matérialisait, notre histoire basculait.

Il n’aura fallu que de quelques minutes pour détruire plusieurs mois de complicité.

Quelques minutes qui se devaient d’être fabuleuses et que nous avons été incapables de concrétiser.

Trop de pression, trop de rêves, trop de calculs…

La nuit passée ensemble n’eut rien d’exceptionnel.

Sur le plan purement physique, elle fut même proche du désastre.

Mais, contre toute attente, elle me rapprocha de cet homme.

Ses doutes et sa maladresse me touchèrent et me bouleversèrent.

Le garder près de moi…

Dans une salle obscure, sur une piste de danse ou au milieu d’un parc…

Partir avec lui…

Prendre la voiture et rouler, sans but, sans destination…

Pour quelques heures, pour quelques jours…

L’avoir pour moi, sans intermédiaire…

Entendre sa voix au creux de mon oreille, sans coupure ni grésillement…

Sentir son souffle, sa peau et non plus les imaginer.

Le jeu était bel et bien terminé.

Il en était l’indiscutable vainqueur et le piège s’était refermé sur ma vulnérabilité.

Une rencontre fit suite à cette nuit.

Une rencontre où je découvris que mon affection publique n’était pas concevable.

Où mes baisers furent repoussés et mes caresses refusées…

Il m’embrassa à l’abri des regards, et un goût amer me resta sur les lèvres.

L’histoire était terminée.

Mes appels restèrent sans réponse, mes messages détruits sans même être lus, mes colères fréquentes.

Lorsque, dans un moment de lucidité, je restai sourde à ses rares appels, il s’impatientait, me demandant d’arrêter de bouder ou m’avouant finalement penser aussi à moi.

Mon âme semblait dorénavant insensible à ses mots ardemment désirés quelques mois plus tôt.

Et, lors de ce dernier dîner, là, sur un trottoir parisien, glacée par le vent de cette nuit de mars et par les gouttes qui martelaient mon visage, je me décidai enfin à cesser la partie et à lui ouvrir mon cœur.

« Adieu ».