J'ai appris avec beaucoup d'intérêt, je pense que c'est extrêmement important que cela existe, extrêmement important de le faire savoir.
J'invite mes lecteurs à faire comme moi.
Michel Peyret
Martine de Sauto
Henri Teissier, un évêque en Algérie. De l'Algérie française à la crise islamiste,
Ed. Bayard, Paris 2006
Dans cette biographie de Mgr Henri Teissier, Archevêque Émérite d'Algérie depuis 2008, l'auteur, journaliste à La Croix, nous donne à lire les entretiens tenus à la suite de ses fréquents séjours en Algérie et durant lesquels elle a recueilli le témoignage fidèle, pesé, limpide de sincérité d'un homme d'église qui s'est choisi une patrie et un peuple d'adoption et a émergé en chantre du dialogue islamo-chrétien et fin analyste de la présence de l'Église contemporaine en maison d'Islam.
A travers un récit chronologique, l'auteur nous amène à comprendre comment le parcours personnel religieux et spirituel de Mgr Teissier est intrinsèquement lié à l'évolution historique, politique de l'Algérie, pays auquel il porte un tel attachement qu'il en acquiert la nationalité dans les toutes premières années de l'indépendance et choisit d'en partager le destin.
En filigrane se dessine le parcours existentiel d'une communauté religieuse : l'Église d'Algérie.
La vie et l'œuvre de Mgr Teissier pourraient se résumer en binômes : l'Évangile et l'Algérie en vocations, l'amitié et la fidélité en apostolat, une saine curiosité mêlée de respect pour L'Autre en principes inébranlables.
Malgré la réserve et la discrétion de Mgr Teissier, on décèle, à travers une analyse lucide, claire, et sans concessions de l'histoire de l'Algérie, un attachement sans autre pareil, sincère, inconditionnel à son pays d'adoption, une passion, entre autres, reçue en héritage de son prédécesseur le Card. Duval.
L'ouvrage se décline en trois actes.
Séminariste à ses premières armes, il découvre un pays nommé Algérie et s'y éprend. Alors qu'il est ordonné prêtre pour le diocèse d'Alger en 1955, éclate la guerre d'Algérie, premier acte d'une tragédie à venir qui se scellera certes par l'indépendance et la naissance de la toute jeune république algérienne, mais il n'en demeure pas moins un conflit sanglant avec son lot de drames personnels et collectifs: les victimes civiles, le départ forcé des français d'Algérie et l'Église locale assistant impuissante à l'hémorragie de sa communauté et la perte de son autorité officielle.
Le deuxième acte s'ouvre alors que la toute jeune république algérienne commence à prendre ses marques: politiques de développement, industrialisation massive et orientation panarabe sont les premiers soubresauts d'une nation qui se cherche encore.
Dès lors et devant la réduction drastique du nombre de ses fidèles, l'Église d'Algérie se voit contrainte de repenser sa mission, revoir ses priorités dans le nouveau contexte social et politique et redéfinir sa vocation dans un pays en marche vers la redécouverte de ses traditions arabo-musulmanes.
Fraîchement nommé Évêque pour le diocèse d'Oran, fonction qu'il remplira de 1972 à 1981, Mgr Teissier fait le choix de l'Algérie et d'une l'Église au service du peuple algérien à travers l'engagement inlassable, passionné et discret mais combien efficace et concret se traduisant par les nombreuses œuvres sociales soulageant ainsi le peuple algérien dans ses difficultés quotidiennes.
Mgr Teissier vit ses premières années algériennes en témoin de premier plan du travail douloureux d'un pays en mutation depuis les premières heures de l'indépendance, des turbulences internes, des intrigues politico-militaires qui pousseront un peuple désenchanté, désœuvré et désespéré à s'accrocher aux chimères qui le pousseront dans les griffes du monstre intégriste.
C'est la sombre décennie des années 90, troisième acte de la tragédie algérienne, qui restera l'épreuve la plus dramatique pour Mgr Teissier.
A peine nommé Archevêque d'Alger, il est le témoin effaré des troubles d'octobre 1988 qui, hélas il le pressent, ne sont que les prémices d'une tragédie à venir. Alors que l'Algérie bascule dans la violence intégriste et sombre dans la guerre civile, Mgr Teissier, malgré les menaces et les risques, refuse de quitter le pays aux heures les plus sanglantes. Solidaire du peuple algérien dont il n'a jamais douté de l'amitié et la sincérité, il réitère sa conviction qu'en Algérie, dans la tragédie quotidienne le sang des chrétiens et des musulmans n'en font qu'un : pour preuve le martyre commun et le destin tragique partagé entre Mgr Claverie et son chauffeur Mohamed.
Il clame sans ambiguïté sa compassion pour les civils algériens et fait écho au Card. Duval dans sa certitude que "l'Église d'Algérie est celle de la rencontre, témoin caché de la présence de Dieu". Se refusant de tomber dans l'amalgame facile et tentateur consistant à confondre le peuple algérien dans sa totalité avec les hordes extrémistes qui sèment la terreur et dont les premières victimes sont les civils algériens eux-mêmes, il plaide pour la réconciliation du peuple algérien et exhorte les différents partis à essayer la voie de la paix .
Alors que la guerre fratricide se joue à huis-clos, la mission de Mgr Teissier et à travers lui de l'Église d'Algérie est claire, sans équivoque: accompagner le peuple algérien dans ce moment dramatique de son histoire, résolue à poursuivre sa mission faite de vie, de témoignage et d'amour par fidélité à la vocation de l'Église Universelle.
A la racine de cette vocation, une certitude: le peuple algérien est à même , à l'heure de l'épreuve, "de reconnaître, chez les chrétiens, cette humanité commune" qui fait que tous les hommes soient frères. D'où l'absolue nécessité de vivre la présence évangélique durant la crise et non après, dans la tourmente et non après.
Le peuple algérien reconnaîtra les siens. Car en définitive « l'Église n'a pas choisi d'être étrangère, mais algérienne» et vivre l'Algérie dans ses heures les plus tragiques n'est autre qu'une " certaine manière de mettre en relation" chaque bout de vie quotidienne aux épisodes de l'Évangile, "qui fait ressortir le sens spirituel de ce qui est vécu et transforme les situations en Parole et en appel de Dieu".
Il n'a de cesse de traduire sa fidélité en liant sa vie à celle de l'Algérie en communion avec le peuple algérien mis à l'épreuve et meurtri dans sa chair et celle de ses enfants, un peuple, dont, en contrepartie, le soutien et la solidarité n'ont jamais fait défaut et notamment dans les moments les plus dramatiques. Un peuple authentique, qui à travers la douleur, a su apprendre la nécessité de
« respecter la vie et la prière de l'autre pour construire une humanité solidaire».
Un livre à lire pour comprendre comment, à travers la rencontre et par la présence, même discrète, même fragilisée, mais toujours passionnée, engagée, curieuse de l'altérité, riche d'amitié et mue par la préoccupation sincère pour le destin de l'Autre, l'Église porte témoignage et inspire respect et reconnaissance.