“Les maladies dont souffre ce pays sont d’abord un sexisme patent, brutal, institutionnel, omniprésent, systémique ; et un racisme patent, brutal, institutionnel, omniprésent, systémique”. C. Delphy
Le film de S. Peeters a le mérite de mettre en exergue un phénomène de la vie courante. Que tout le monde a pu constater. Le harcèlement de rue. On ne peut pourtant s’empêcher après le visionnage de ressentir un certain malaise (autre que celui provoqué par les insultes). Sur la pertinence d’un objet cinématographique dans le champ sociologique, sur la pertinence des choix et du contexte.
Un allochtone. Mais non représentatif de toute une communauté. Précision utile. Mais qui n’apporte pas de solution au problème posé. S. Peeters n’a sûrement pas tourné un film raciste. Mais son matériau le devient. À l’usage. Le buzz a commencé autour du 31 juillet. Le site d’extrême droite (FDesouche) s’en est emparé avec gourmandise dès le 27 juillet. En reprenant même les citations anti-xénophobes de l’auteure. Mais peu importe puisque les images (fortes) sont là.
Autre remarque : on navigue en pleine sociologie de bazar. S. Peeters affirme que “s‘il y a une forte proportion d’étrangers parmi les garçons qui me font des remarques, c’est parce qu’il y a aussi une forte proportion d’étrangers parmi les populations fragilisées.” Deux propositions mises bout à bout pour dire quoi ? Que les “fragilisés”, les pauvres ont une tendance au machisme plus forte que les riches. Que les gueux, de surcroit allochtones, sont moins polis que les nantis.
Pourquoi S. Peeters n’a pas tourné son film dans les quartiers chics de Bruxelles ? Où les seuls basanés qu’elle aurait croisés sont issus des consulats et ambassades. Y aurait-elle subi le même traitement ? C’est peu probable. Pourtant le modèle patriarcal y est-il moins présent ? L’œil masculin y est-il moins sournois ? Les remarques sexuelles et sexistes sont-elles plus polissées ?
Avec une actrice noire ou arabe, quelles auraient été les réactions ? Dans un quartier populaire ? Dans un quartier d’affaires ? On ne sait pas, on ne saura pas. Puisqu’il y a certitude d’avoir cerné le problème.
Enfin, comme le signale C. Delphy dans l’affaire des tournantes, où elle fait le lien entre racisme et sexisme : “L’effet global du discours est de produire une image dans laquelle le sexisme est le seul fait de ceux qu’on appelle “immigré de la deuxième génération (…)”". Le modèle occidental sort encore une fois renforcé par ce type de document, à simple valeur médiatique. On décerne à cette civilisation (la blanche), à chaque fois, de façon tacite ou pas, un satisfecit, une marque de supériorité.
La question n’est pas d’excuser, de comprendre, d’avoir une quelconque empathie pour les frotteurs, les insulteurs, les déjantés qui se lâchent sur les filles “jeunes et jolies” pour reprendre la “pertinente” formule de Marianne. On devrait plutôt se demander pourquoi dans un tel contexte (européen), ce type de document acquiert une telle valeur. Un tel consensus qui va jusqu’à la droite raciste.
Pourquoi se rend-on compte à la faveur d’un film sur les autres (les allochtones) de l’existence d’un machisme violent de rue ? Comme si en Europe blanche la domination des femmes n’était qu’un monopole des « autres ». Et les images en témoigneraient. Pour reprendre la formule de classe d’ E. Badinter “Depuis longtemps dans la société française de souche (sic), que ce soit le judaïsme ou le catholicisme, on ne peut pas dire qu’il y ait une oppression des femmes”. Sans commentaire.
On ne pourra jamais lutter contre de telles images. Trop violentes pour prendre du recul. Devant le dilemme sexisme et récupération raciste, compte tenu de la puissance du document, le choix majoritaire est vite entendu. Un argumentaire rudimentaire suffit même à emporter la mise.
Au final, le conseiller municipal de Bruxelles a décidé de verbaliser les paroles sexistes dans les rues. Soit l’administration Bruxelloise joue l’enfumage, soit elle va devenir très très très riche.
Vogelsong – 2 août 2012 – Paris