Voilà. On y est. Le Village vit ses derniers jours. Le 4 aout, exactement cinq ans et six mois après son ouverture, le
webzine des fictions européennes et francophones cessera d’être mis à jour et deviendra une archive. Une étoile morte du world wide web. Et moi, je n’arrête pas de penser à Russell T Davies.
C’est marrant ces espèces de parallèles. Je ne sais pas si on les invente de toute pièce, tentative de notre cerveau de créer un sens, des connexions, ou s’ils existent vraiment. Il y a beaucoup
de différences entre Davies et moi : pas la même éducation, pas le même environnement, et pas non plus la même écriture (puis-je avoir un jour la moitié de son talent, même s’il est différent),
mais je me reconnais beaucoup en lui. Ce qu’on partage, ce sont certaines façons d’envisager la vie, notre rapport à la culture, et à la pop-culture, notre amour profond de la télévision dont on
voudrait toujours qu’elle donne le meilleur d’elle-même, et un bon paquet de névroses.
J’ai presque toujours écrit, et j’ai très vite écrit comme pour la télévision. J’ai créé ma première série en Quatrième (non, vous ne voulez vraiment pas savoir ce que c’était). Mais quand je
suis passé à l’âge adulte (si tant est que je l’ai atteint, mais c’est une autre histoire) ce que j’écrivais est resté confiné à des tiroirs, ou plutôt des dossiers d’ordinateur. Ou bien alors
cela voyait le jour dans des arènes confinées et où je me sentais en sécurité.
Ces différentes expériences m’ont beaucoup apporté et m’ont fait progresser, mais j’aurais pu en rester là toute ma vie. Le problème, c’est que je crois que j’en aurais souffert.
Le Village a été un premier pas, parce que ce qui a commencé comme un simple mini-site supplémentaire du Front de Libération Télévisuelle devenu A-Suivre.org, s’est peu à peu transformé en une
expérience éditoriale différente. Très vite, en effet, ce webzine a dépassé la petite enceinte des fans de séries pour rentrer en contact avec le milieu professionnel. Le site avait à peine un
mois qu’on se retrouvait à couvrir un festival, les RITV ; quatre mois et il se plongeait dans les entrailles de la première saison de « Reporters », avec une demi-douzaine d’interviews. Ces expériences et les nombreuses suivantes, menées
auprès de Dominique, Émilie et Nicolas, que je ne remercierais jamais assez, pour tout cela et pour tout le reste, ont parfois testé les limites de ma timidité, mais surtout elles ont transformé
Le Village, son lectorat, et elles m’ont transformé moi. Et pas seulement en terme de compétences acquises (je n’avais jamais fait de montage quand le site a commencé. Au début de cette année, je
me suis occupé de « Lumière sur Les Hommes de l’Ombre » de A à Z).
Mais il aura fallu Russell T Davies, un livre qu’il a cosigné, pour vraiment changer les choses. «
The Writer’s Tale » est l’un des ouvrages les plus puissant et honnête sur l’écriture à avoir jamais été écrit. C’est aussi un livre sur « Doctor Who ». Là, j’ai découvert vraiment Russell
Davies : ses moments de paniques, ses doutes, ses pétages de plomb. Là j’ai réalisé que même pour lui, qui compte parmi mes quatre ou cinq scénaristes préférés sur la planète, l’acte d’écrire
était difficile, perturbant. Ce que je découvrais en le lisant, c’est ce que cela avait de quasi universel. D’ailleurs Davies lui-même passe par ce moment de réalisation au cours de l’ouvrage,
quand le journaliste qui l’interroge lui répond qu’il reconnaît des éléments de son propre comportement dans l’exposé de ses névroses les plus violentes que vient de faire le scénariste...
Alors « The Writer’s Tale » m’a propulsé dans une direction différente et c’est une petite partie de ce qui a conduit à la décision de fermer Le Village.
Je vous raconte tout ça parce qu’en ce moment, un nouveau parallèle avec Russell T Davies m’apparait. Le scénariste le raconte à la fin de « The Writer’s Tale ». Nous sommes début 2009. A ce
moment-là, il vient d’écrire son dernier épisode de « Doctor Who » après avoir décidé de quitter le poste de showrunner de la série. Alors tout le monde n’arrête pas de lui demander s’il est
triste.
Et non. Il n’est pas triste du tout.
Pourtant, on ne peut pas soupçonner Russell T Davies de ne pas adorer profondément « Doctor Who » : il est tombé dedans quand il était petit. C’est juste qu’il vennait de consacrer six ans à
ramener la série à l’antenne après 16 ans d’absence, et qu’il en avait fait le plus gros succès de la télévision britannique. Il avait accompli tout ce qu’il avait à accomplir. En lisant ces
pages, je l’entendais presque rire. Il était fier. Et il était heureux. Triste ? Certainement pas !
Fier. Heureux. Certainement pas triste. J’espère que vous m’entendez rire.