Elle n’a pas quinze ans. Avachie plutôt qu’assise sur la chaise en bois de la salle d’attente, elle ne dit rien, mais elle ne passe pas inaperçue. Elle a de beaux cheveux longs, blond foncé, seule concession à la féminité, la frange bien rangée derrière l’oreille. Ses yeux maquillés, surchargés de noir accentuent sa moue boudeuse. Elle porte un jeans troué sur lequel pend un enchevêtrement de chaines, et de grosses chaussures de sport noires.Ses ongles sont vernis de frais, noirs eux aussi. On sent qu’elle a fait un effort pour ce rendez-vous.
Si son corps dévoile déjà quelque signe d’épanouissement féminin, elle s’emploie activement à le démentir.
Elle porte un T-shirt clair, et si ses avant-bras sont bandés jusqu’aux coudes, sous les gros bracelets à clous style collier de chien, le haut de ses bras, lacéré de marques rouges, ne laisse aucun doute sur son mal-être.
Elle attend. Soudain, l’entrée d’un homme court sur pattes, au blouson de cuir et cheveux longs, dans la salle lui donne l’air plus renfrogné encore, mais elle ne dit toujours rien. L’homme tient une grande enveloppe à la main et s’adresse à celle qui s’avère être sa fille, toujours muette.
Je sais que tu n’es pas d’accord, mais je m’en fous, je suis ton père, je veux voir le docteur.
Elle ne dit rien, se ramasse un peu plus encore sur sa chaise. Ses yeux clairs virent au noir de ses paupières. Elle se mord la lèvre et ses mains se crispent sur ses cuisses.
Le psychologue entre dans la salle et accepte la requête du père, la fille n’a toujours pas bougé. Ni l’une ni l’autre n’esquisseront un mouvement vers l’autre lorsque le père sortira quelques minutes plus tard. La fille se lève et entre à son tour dans le bureau du psychologue. Il sont l’air de bien se connaître, et elle de lui faire confiance.
Ma fille de onze ans sort à son tour du bureau de sa thérapeute, pleine de vie, mais levant les yeux au ciel dans le dos de son père, débarqué par surprise de nulle part , informé par la procédure légale, pour s’imposer dans cet entretien. La bouche de ma fille forme le mot “n’imp!” dans ma direction et je lui fais un clin d’oeil complice.
Tu me le dirais, si elle avait quelque chose de grave, me dit soudain celui-ci.
Je pense à Allison, qu’il n’a pas croisée, avec tout son mal-être qui hurle silencieusement à la face du monde. Non, la Collégienne n’a rien de grave, elle ne sait juste plus quoi faire de ses sentiments contradictoires envers celui que la loi appelle son père.
Bien sûr, je réponds. De grave, je murmure pour moi-même.
Nous en restons là. Comment lui expliquer ce qu’il ne comprendrait pas, ce qu’il ne conçoit pas.
Souvent, je pense à Allison. De grave, je murmure pour moi-même.