Dans le train de banlieue, il était assis en face de moi, plié en deux. Comme un qui aurait mal au ventre mais devrait se retenir jusqu’à chez lui, car il n’y a pas d’autre choix raisonnable possible dans ces trains.
Du moins est-ce ce qui m’est venu à l’esprit en premier, car plongé dans la lecture de mon journal, je ne prêtais guère attention aux passagers qui m’entouraient. Plié en deux mais pas immobile pour autant, il se balançait d’avant en arrière lentement et régulièrement, c’est alors que m’est venue une autre idée. Il devait prier, j’avais déjà vu un reportage là-dessus à la télévision, mais je ne me souvenais plus très bien si cela correspondait à la lecture du Talmud ou du Coran. J’ai déjà du mal avec ma propre religion, alors celle des autres, il ne faut pas me demander l’impossible. Je ne voulais pas être trop indiscret, planqué derrière mon canard j’essayais de ne plus penser à lui, mais dès que je tournais une page à le voir faire le culbuto, ça commençait à m’agacer. Remarquez, il le faisait en silence, ce qui constituait un avantage certain. En l’examinant avec plus d’attention, j’ai remarqué qu’il tenait à deux mains un petit objet auquel il se cramponnait de toutes ses forces m’a-t-il semblé. Son téléphone portable.
A ce point du récit, je dois confesser que je ne suis pas un fan du téléphone. Quand le téléphone est entré dans notre famille, j’avais déjà mis un pied dans l’adolescence, je vous parle des appareils en bakélite avec fil en tire-bouchon et cadran, un truc du temps de Mathusalem. Je n’en avais guère l’utilité personnellement, mais de savoir que nous en avions un à la maison, nous faisait entrer de plein pied dans la modernité des années 60. Du coup – j’abrège - quand les téléphones portables sont arrivés, si j’ai applaudi la performance technologique, je ne suis pas tombé dans le délire consumériste poussant à en avoir un et si aujourd’hui les Smartphone brillent de mille feux tentateurs, je suis toujours sans téléphone portable. Dernier être humain dans ce cas ?
Donc, cet homme plié en deux, je le réalisais maintenant, était agrippé à son portable, et je devinais intuitivement qu’il était engagé dans un jeu très prenant qui l’isolait complètement du monde. Car c’est cela qui est très étonnant, les Smartphone qui à la base ne sont que des téléphones plus perfectionnés, ne sont plus utilisés aujourd’hui, majoritairement pour téléphoner, selon des enquêtes récentes très sérieuses, mais surtout pour jouer ou surfer sur le Net.
Ainsi, celui que j’avais tout d’abord pris pour un malheureux gagné par la chiasse puis pour un pieux homme, n’était en fait qu’un pauvre garçon atteint d’une addiction aux jeux. In petto, j’étais plié en deux, de rire.