Petite pause interview pour vous parler d’un manga très original, qui nous emmène en voyage entre la Rome Antique et le Japon moderne : THERMÆ ROMÆ de Mari Yamazaki. Avec le troisième tome sorti pendant la Japan Expo, cette série arrive déjà à la moitié de son parcours et a fait pas mal parler d’elle, ne serait-ce que par la venue de sa charmante auteure au Salon du Livre de Paris.
Plusieurs éditeurs français étaient sur les rangs de ce best-seller nippon qui a reçu en 2010 le Grand Prix du manga et le Prix culturel Osamu Tezuka. Avec des ventes qui se montent à plus de 5 millions d’exemplaires dans l’archipel, ce qui le place dans le haut du panier des seinens, ce titre publié chez Enterbrain en a séduit plus d’un mais c’est finalement Sakka (Mirai Nikki, plusieurs manga de Taniguchi) qui a décroché les lauriers.
Depuis l’éditeur a mis le paquet en terme de communication y compris en tentant, très logiquement, de séduire le lectorat de BD franco-belge. L’anime tiré de la série est diffusé en streaming chez Wakanim et le film live est sorti dans les salles obscures nippones le 28 avril dernier (les trailers vous attendent en fin d’article).
Mais parlons sans plus attendre du titre lui-même !
THERMÆ ROMÆ : à l’heure du bain…
Lucius Modestus est un jeune architecte de la Rome Antique qui ne croule pas, malheureusement, sous le travail. Depuis qu’Hadrien est monté sur le trône, un vent de modernité souffle sur Rome et les idées un peu vieillottes de Lucius ne séduisent pas grand monde.
Notre homme décide donc d’aller se changer les idées et se rend dans un bain public. Alors qu’il tente de trouver un peu de calme, la tête sous l’eau, le voilà happé par un tourbillon spatio-temporel qui l’emmène au beau milieu d’un bain japonais au XXIème siècle.
Ce choc des cultures ne sera que passager et Lucius va rapidement retrouver sa ville de Rome et son époque mais il va rentrer avec de nouvelles idées plein la tête. Cet aller-retour n’est que le premier d’une longue série pour notre architecte qui va révolutionner les bains publics romains. Sa réputation arrive même jusqu’aux oreilles de l’Empereur et il est propulsé dans les plus hautes sphères.
Les constructions de bains s’enchaînent et les défis sont de plus en plus relevés mais les voyages dans le Japon moderne sont aussi de plus en plus prolongés. Jusqu’où cette aventure va bien pouvoir emmener Lucius ?
Sous le charme de la Rome Antique
Néanmoins cette idée ne pouvait pas jaillir d’un autre esprit que de celui de cette auteure, qui a quitté son cher Japon à l’âge de 14 ans pour voyager en Europe. Lors d’un entretien au Salon du Livre de Paris, nous avons pu revenir sur ce long voyage : « Toute petite, j’ai été exposée à l’art occidental dans ma famille, je me suis mise à dessiner dès mon plus jeune âge. Ma mère en était consciente et c’est elle qui m’a incitée à partir en Europe. De par sa formation et son métier de musicienne classique, elle y avait beaucoup de connaissances. … »
Bien au-delà de la simple touriste, Mari Yamazaki va séjourner pendant de très longues années sur notre Vieux Continent et c’est ainsi qu’elle va découvrir puis vivre en Italie, comme elle l’explique elle-même : « J’ai séjourné dix ans en Italie donc j’ai vu énormément de vestiges et de ruines datant de cette période. Cela continue de m’émerveiller et je me demande toujours comment des gens qui ont vécu il y a deux mille ans ont pu construire des choses aussi splendides ! Certaines personnes ont une passion pour le futur, pour ce qui va arriver. Moi j’ai le même intérêt, mais pour le passé. »
Plus qu’une idée originale de scénariste c’est vraiment une passion pour les bains et pour la Rome Antique qui a fait naître THERMÆ ROMÆ , comme le montre les très nombreux passages explicatifs sur les bains romains et nippons qui pullulent dans chaque tome (un travail colossal de traduction, bravo à Ryôko Sekiguchi et Wladimir Labaere). Il faudra néanmoins être extrêmement curieux pour les lire dans leur intégralité et le thème des bains ne trouvera pas forcément d’écho fort chez le public Français comme a pu le faire les récits œnologiques des Gouttes de Dieu. Vous pourrez donc vous contenter ce qu’on apprend dans le cours du récit, sur le destin de l’Empereur Hadrien et la vie de l’époque.
C’est l’histoire d’un architecte qui va prendre un bain…
Dès le départ, la série a été planifiée pour ne pas durer, comme le confie la mangaka : « À l’origine, on en prévoyait cinq. Là, on va sans doute arriver à six mais, dès le départ, on savait qu’on n’en ferait pas une série fleuve. Ce n’est pas le genre de mangas qui peut s’éterniser. » THERMÆ ROMÆ est en effet construit sur une succession d’épisodes qui répète un même scénario de base : Lucius a un problème en rapport avec l’architecture, il se retrouve dans un bain qui va l’emmener dans le Japon moderne où il trouve un objet ou une idée qui lui donne la solution.
La réputation du héros ne cesse de croître et la nature des problèmes va évoluer d’une simple commande d’architecte à des dilemmes quasiment étatiques mais du point de vue de la narration, ne cherchez pas d’évolutions notables.
Tout repose donc sur une mécanique bien rodée et sur notre héros, Lucius, architecte lambda inspiré du héros Lucius Vorenus de la série télévisée Rome de HBO mais aussi du mari de Mari Yamazaki, italien lui-même : « Le côté très sérieux, pointilleux et pince-sans-rire (de Lucius, NDLR) vient plutôt de mon entourage, de mon mari notamment. » M’avouait-elle, un petit sourire en coin.
Lucius est donc un passionné et prend tout au sérieux, y compris les découvertes qu’il fait chez les Japonais… Les visages plats comme il les appelle. Le contraste appuyé entre la banalité des objets nippons et la révélation qu’il induise chez Lucius, avec une mise en scène à la limite de l’éveil mystique, est l’une des sources d’humour de THERMÆ ROMÆ qui fonctionne assez bien, comme les quelques gags qui peuvent découler par moment de ce choc des cultures. On se demande à chaque reprise ce que l’auteure va pouvoir bien inventer pour nous surprendre. La fin du troisième volume donne pour la première fois à Lucius l’occasion d’influer sur le cours des vies de quelques japonais et on peut donc se demander si Mari Yamazaki ira plus loin, mais rien n’est moins sur.
Cet enchaînement de récits plutôt simples rappelle les mécanismes de notre bande dessinée nationale au même titre que l’aspect visuel du titre, à mi-chemin entre manga et BD francobelge par son découpage, son trait et son chara-design détaillé et occidental. Sur ce mélange des genres, Mari Yamazaki concède d’ailleurs qu’elle n’est « pas une personne qui lit beaucoup de mangas, bien au contraire. Ma culture graphique, c’est celle de la peinture à l’huile, qui est très différente. Je ne me suis pas mise au manga parce qu’un mangaka m’avait influencée. J’ai réalisé mon premier manga un peu toute seule dans mon coin, avec mes propres influences, avec ce que j’étais moi-même. »
THERMÆ ROMÆ est donc un ovni qui s’adresse à des lecteurs curieux, un hybride destiné à ceux qui ont envie de lire quelque chose qui sort de l’ordinaire ou d’en apprendre davantage sur d’autres cultures. Cela dit, pour tous les amoureux du Japon et de sa culture, il sera le prétexte idéal pour aller prendre un bon bain… Et ça, ça n’a pas de prix ;)
Fiche Technique
Auteur : Mari Yamazaki
Date de parution : 14 mars 2012
Éditeurs fr/jp : Sakka (Casterman) – Enterbrain
Nombre de pages : 186
Prix de vente : 7.5 €
Nombre de volumes fr / jp : 3 /4
Visuels Thermae Romae ©2011-Mari Yamazaki/PUBLISHED BY ENTERBRAIN, INC.
Pour vous faire votre propre impression, les premières pages du tome 1 sont en lecture ici. Le site web japonais vous propose également de nombreuses infos dans la langue de Tezuka. Les plus curieux peuvent aussi lire l’interview de Mari Yamazaki sur Total Manga.
On finit avec quelques bonus sur la série :
Le (petit) trailer de l’anime…
Celui du film…
Et enfin une petite publicité sur la série assez amusante !
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