Ce qui me dérange chez les hyperréalistes ou photoréalistes, c’est
qu’ils s’appliquent à peindre chaque chose de la même façon neutre et objective
qui fait que le seul talent qu’ils mettent en avant, outre celui qui détermine
le choix du sujet et de la composition, c’est la patience, la minutie et
l’observation mécanique. N’importe quel objet revêt sous leur pinceau la même
apparence lisse empruntée aux images. En rien ils ne répondent à la diversité
du monde, à cette richesse qui a souvent été le combat même des peintres :
de Van Gogh débarquant en Arles avec l’idée de fonder une école, lui même ne
pouvant venir à bout de l’incroyable diversité des motifs qu’il découvre, à
Monet s’émerveillant de ce que son jardin, si réduit soit-il, autant qu’il y
revienne, ne se laissera pas épuiser. Il me semble toujours que les hyperréalistes posent sur toutes choses
inlassablement le même regard, qu’ils imposent cette mécanique qui uniformise
au lieu de se laisser suggérer un équivalant plastique, un geste de peinture.
On les imagine courbés à l’ouvrage, routiniers, maniaques et laborieux là où
les autres luttent, scrutent, inventent chaque fois un langage, élaborent pour
chaque morceau de réel le signe qui l’inscrira dans sa langue le faisant
exister doublement. De là l’ennui que j’ai ressenti à traverser l’exposition
Richter ne voyant toujours d’abord qu’un procédé faisant çà et là de belles
images sur lesquelles l’œil glisse. Finalement on se retrouve à juger des
maladresses qui séparent les peintures des sources photographiques qu’elles
s’entendaient imiter ou du caractère bluffant du réalisme ce qui est tout un
car c’est juger de la dextérité, de la précision. Ou alors on parle du sujet,
ce qui est une manière de détourner le regard. C’est quelque part un combat historique semblable à celui des
coloristes et des dessinateurs et on en reviendra toujours à dire la stupidité
de devoir en mettre un par dessus l’autre (qui de Poussin ou de
Delacroix ?) et le caractère vain des classifications quand c’est
l’exception souvent, l’à cheval, qui nous retiennent. Pourtant c’est quelque
chose encore qui se joue là : il ne s’agit pas de comparer les
évanescences colorées de Monet la robustesse des volumes des Van Gogh ou de
Cézanne. L’un peint la lumière, qui n’a pas de contours, l’autre la géomorphie
dont les volumes, justement, se donnent à l’œil selon les arêtes qui les
déterminent. Quand au premier, chaque élément du paysage est extrait par le
dessin et traduit de manière expressive comme le font les maîtres japonais de
l’estampe. Pour autant, pour lui dont le dessin et la composition sont
déterminants, on ne pourra nier l’importance des couleurs, ni la matière
particulière de sa touche. Que l’on pense maintenant à Bonnard qui, à l’inverse
de Van Gogh ne regarde par l’alentour à travers une fenêtre de carton mais à
travers tout l’espace de son champ visuel, c’est quelque chose d’autre
encore : maladresse de la figuration, compositions ductiles, sans arêtes
ni points d’ancrage, touche enfantine et presque naïve : les tableaux
semblent tout entier tenir dans la richesse embrouillée et audacieuse de
couleurs, dans l’atmosphère calme qui s’en dégage. Pour autant, il y a
composition, dessin. Tous traduisent ce qu’ils voient par la peinture. Que ce
soit la couleur qui prédomine ou la structure, ou plus généralement encore que
ce soit ce couple, indissociablement, qui fonde son vocabulaire propre, l’enjeu
du peintre n’est pas tant de figurer fidèlement ce qu’il voit que d’inventer
une manière de se le donner à voir. Il y a là quelque chose de l’ordre de la
traduction (le réel est incompréhensible, aveuglant), or tout traducteur le
dira : traduire n’est pas transcrire en une autre langue mais rendre
intelligible dans cette langue autre, ajuster et façonner depuis cette langue.