Mais ces dernières heures ont été agitées par un mauvais procès qu'on pourrait mettre sur le compte d'une impatience légitime, un remous inutile car il distrait des vrais sujets: Manuel Valls serait aussi outrancier contre les Roms que Nicolas Sarkozy et, pire encore, la gauche socialiste ne moufterait pas.
Mais finalement, qui avait lu ou écouté, en intégralité, le discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy du 30 juillet 2010 ? Qui se rappelait donc cette incroyable séquence sécuritaire de l'été 2010 ? Deux ans plus, presque jour pour jour, ces questions méritaient d'être posées vu les comparaisons affligeantes portées sur Manuel Valls après ses déclarations concernant les Roms.
L'agitation
« Valls poursuivra les destructions de camps de Roms...» titrait Le Nouvel Observateur, qui ajoute toutefois en sous-titre: « ... chaque fois qu'il y aura eu "décision de justice" en ce sens.»); « Roms : Valls poursuit la politique de Sarkozy » affirmait Le Point, qui n'avait aucune précaution. « Le ministre de l'intérieur, Valls, persiste et signe ... » complétait Mediapart.
Le vice-président de la Ligue des Droits de l'homme et animateur du Collectif Romeurope, Malik Salemkour, évoqua une « grand déception ». «Les solutions ne sont pas les expulsions sèches, elles ne sont que des problèmes, encore plus lorsqu'elles sont annoncées médiatiquement. La stigmatisation s'en trouve renforcée. Le ministre de l'Intérieur tombe dans le piège. Deux ans après le discours de Grenoble, on entend les mêmes discours et les mêmes actes, à savoir des expulsions sans solution.»
A droite, Eric Ciotti, directeur de campagne de François Fillon, critique le prétendu retournement: « S'il le fait, je le soutiendrai, c'est un extraordinaire désaveu à tout ce que ses amis ont dit, rappelez-vous des hurlements poussés par les socialistes après le discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy.» Notons que le même Ciotti accuse quand même Valls de modifier « profondément la politique d'immigration ».
Sur Marianne2, Gaspar Soulat balançait dans un article baptisé « Silence au PS face aux déclarations de Valls sur les Roms»: « Le 25 juillet, Manuel Valls affirmait devoir démanteler les campements de Roms. Alors que les socialistes étaient vent debout suite au discours de Grenoble prononcé par Nicolas Sarkozy en 2010, qui annonçait le démontage des installations sauvages, ils demeurent aujourd’hui silencieux. (...) Après les déclarations de Manuel Valls, nulle controverse à l'horizon : un signe de la complexité de la question et de la difficulté certaine de l'épreuve du pouvoir ? »
La messe était dite: Valls-Sarkozy, même combat ... contre les Roms ?
Les déclarations
On peut reprocher beaucoup de choses au ministre de l'intérieur. Par exemple, on peut regretter que nombre d'arrestations ou d'expulsions de sans-papier se déroulent dans des conditions indignes; critiquer sa récente décision de rétention de 12 heures plutôt que la garde à vue normale pour vérifier les papiers d'un clandestin. On peut légitimement se joindre aux actions de RESF ou du GISTI.
Pour ses premiers pas, Valls est plutôt fidèle au programme du candidat Hollande. Il a ainsi demandé à l'Inspection générale de l'administration (IGA) un audit sur les conditions d'accueil des étrangers en préfecture; il a promis d'améliorer les conditions de naturalisations et de les clarifier d'ici la fin de l'été; il a interdit la rétention familiale des sans-papiers; il a supprimé la fameuse circulaire Guéant du 30 mai 2011 contre les étudiants étrangers.
Sur les Roms, les expulsions sèches, comme l'a rappelé la LDH, ne servent à rien. Mais ramener les déclarations de Manuel Valls à l'immonde discours de Grenoble est une caricature grossière et contreproductive.
Le 25 juillet dernier, le ministre de l'Intérieur s'exprimait devant la commission des lois du Sénat. Il était interrogé sur la politique migratoire. Il rappela les principes de son action: « Les questions d'immigration, d'intégration, d'asile et de nationalité ont, depuis de nombreuses années, alimenté les tensions. Par un curieux renversement, dans notre pays, dont l'histoire a affirmé la tradition d'accueil, l'arrivant a été perçu comme une menace, et non plus comme une chance. Jamais peut-être auparavant les mots de Jacques Prévert, parlant de ces «étranges étrangers », n'avaient aussi bien décrit la dureté du débat public. La volonté du président de la République et du Premier ministre est d'aller vers l'apaisement. Il m'appartient, dans mes fonctions, de mettre en oeuvre cette volonté à laquelle les Français ont très largement souscrit. »
Ce n'est qu'à la suite de deux questions de deux membres de ladite commission qu'il évoqua la question des Roms (*). Son propos, très court, fut le suivant:
« Enfin, je veux vous dire mon inquiétude sur la problématique des Roms, qui ne se règlera pas par le seul accès au travail. Il s'agit d'un problème plus général de citoyens européens pourchassés dans leurs pays d'origine, que l'Union européenne devrait rappeler à leurs obligations.Puis, mardi 31 juillet, sur Europe 1, il ajouta:
Les expériences utiles menées en Ile-de-France ou à Tourcoing demeurent homéopathiques, tandis que la situation à Lyon, Aix-en-Provence, Lille et en Seine-Saint-Denis est très difficile. Devant les risques de confrontation entre les communautés constatés dans ce département, nous sommes contraints à procéder à des opérations de démantèlement. Il faut traiter le débat dans la sérénité car, si l'on procède comme il y a deux ans, on établira l'amalgame. »
« Les préfets ont pour mission de démanteler les camps de Roms quand il y a eu une décision de justice. Les choses sont simples. Oui, quand il y a une décision de justice, il y aura démantèlement de ces campements. (...) Je ne peux pas admettre (...) que dans ces campements, qui accueillent parfois des centaines de personnes dans la chaleur de l'été, il y ait des problèmes sanitaires insupportables. (...) Chaque fois qu'il y a une décision de justice, chaque fois que les propriétaires de ces terrains, qui sont souvent des collectivités territoriales, en font la demande, il y aura ces démantèlements. C'est une politique à la fois ferme et respectueuse du droit.»
Mais quel est donc le rapport avec la séquence grenobloise de Nicolas Sarkozy ?
Rappelez-vous Grenoble
A Grenoble le 30 juillet 2010, Nicolas Sarkozy n'avait pas simplement déclaré qu'il demandait au ministre de l'intérieur de détruire les camps de Roms quand ceux-ci étaient déclarés illégaux en justice.
A Grenoble, il avait fait l'amalgame nauséabond entre insécurité et immigration, il clôturait une séquence médiatique dont il avait le secret à coup de communiqué, réunions et déplacements scénarisés. A Grenoble, il avait fustigé l'acquisition « automatique » de la nationalité française pour les mineurs délinquants né en France de parents étrangers; il avait promis l'extension des peines plancher «à toutes les formes de violences aggravées», celle du bracelet électronique aux criminels multi-récidivistes «pendant quelques années après l'exécution de leur peine», la création d'une peine incompressible de 30 ans pour tout assassin de policier ou de gendarme, et même la déchéance de nationalité française pour toute «personne d'origine étrangère» en cas d'atteinte volontaire à la vie d'un policier ou d'un gendarme. Il avait réclamé une évaluation des droits et «prestations auxquels ont aujourd'hui accès les étrangers en situation irrégulière».
A Grenoble, le 30 juillet 2010, il sortit le bon vieux cliché du Front National: «Une situation irrégulière ne peut conférer plus de droits qu'une situation régulière et légale.» Dans ce fatras xénophobe, Nicolas Sarkozy avait évidemment glissé un paragraphe sur les gens du voyage. Qu'importe que certains - nombreux - soient Français. L'amalgame était de mise.
Quelques semaines, on découvrit une circulaire du ministère de l'intérieur, une de plus, qui visait si spécifiquement les Roms dans les contrôles et les expulsions que le ministre dut la récuser et en pondre une nouvelle.
Le discours de Grenoble n'était même pas le bon moment. La traque aux Roms avait été lancée deux jours avant, un mercredi 28 juillet. Le même Monarque avait tenu une réunion en urgence sur la situation des Roms. En était sorti un laconique communiqué de presse et une cascade de déclarations de ses ministres. Rappelez-vous Brice Hortefeux. Il ne s'abritait derrière aucune décision de justice quand il promit la fermeture de cent cinquante campements illégaux, sur 300 et l'expulsion (inefficace) des gens du voyage sans papier. Le porte-parole du gouvernement, Luc Chatel avait lancé le jour même : «On a beau être rom, gens du voyage, parfois même français au sein de cette communauté, eh bien on doit respecter les lois de la République.» Le lendemain sur RTL, Brice Hortefeux lui avait emboité le pas : «beaucoup de nos compatriotes sont à juste titre surpris en observant la cylindrée de certains véhicules qui traînent les caravanes.»
Valls, président ?
A Grenoble le 30 juillet 2010, Nicolas Sarkozy méritait amplement le qualificatif de « Voyou de la République », comme l'avait affublé Jean-François Kahn dans les colonnes de Marianne cet été-là. Et il avait indigné la gauche, les centristes, comme le Conseil de l'Europe, l'ONU, l'Eglise catholique, la Commission européenne et des ONG.
Quelle est donc le rapport avec quelques phrases prononcées par Manuel Valls ? La vraie différence n'était même pas là.
Comment comparer quelques déclarations courantes d'un ministre de l'intérieur avec l'immense mise en scène de juillet 2010 ?
Faut-il le rappeler ? Manuel Valls n'est pas président de la République.
Et sa situation n'avait rien à voir avec celle d'un ancien monarque prêt à tout pour sa ré-élection.
(*) Le procès-verbal de l'audition du ministre est consultable sur le site du Sénat.