Nous sommes jeudi, c'est la seconde journée du festival des Francofolies de La Rochelle. Dans l'après-midi je rencontre Daby Touré pour discuter un peu. Etant donné que je n'ai toujours pas de micro-cravate (je vais peut être m'équiper mais je suis très très ennuyée par le fait que l'ambiance "discutons naturellement comme si rien n'était filmé" soit nettement menacée par l'utilisation de ce genre d'accessoire...) et que les loges de la scène de l'horloge rouge où nous avons rendez-vous jouxtent la scène sur laquelle d'autres artistes sont en train de faire les balances , je ne suis pas en mesure de proposer le résultat vidéo de l'interview que je me vois dans l'obligation de retranscrire (NDR : élue phrase la plus longue du mois).
Bon tant pis, la vidéo m'aura au moins permis de capturer quelques images pour illustrer l'entretien et te permettre de profiter du sourire de Daby, un sourire franc et sincère qui ne le quitte quasiment jamais.
J'espère que tu remarqueras qu'il fait partie de ces personnes dont les yeux rient eux aussi. En fait, il se dégage de cet homme une bienveillance que j'avais déjà ressentie pendant son concert et que je suis heureuse de te dire que j'ai été à même de perçevoir "en vrai". Parce que passer un moment avec Daby Touré, c'est se recharger en ondes positives. Et qu'on a toujours besoin de fréquenter de temps en temps des gens comme lui.
Qui irradient.
"Ton histoire avec la musique, elle a commencé quand? Et Comment?"
"Je ne sais même plus...Je ne dirai pas que je suis né dedans parce que mon père était infirmier mais j'ai toujours eu le feeling avec la musique, j'ai toujours aimé entendre du son. Comme pour beaucoup d'enfants, mon père m'a raconté que lorsque j'étais bébé et que je pleurais, dès qu'il me mettait de la musique, immédiatement je me calmais et j'arrêtais de pleurer. C'était la seule chose qui était capable de me faire taire"
"Ca t'apaisait..."
"Oui, l'apaisement, je crois que c'est ça. J'ai trouvé une sorte de refuge dans la musique. Tout au long de mon parcours, de ma vie, ça a été quelque chose qui a adouci un peu ma vie, qui m'a aidé dans les moments un peu difficiles que j'ai eu à traverser donc ça a été pour moi un peu une branche à laquelle je me suis accrochée. J'ai l'habitude de dire que ça m'a sauvé un peu la vie, d'une certaine manière parce qu'on a tous besoin à un moment donné de s'accrocher à quelque chose...Et puis la musique a aussi été pour moi un vecteur de rencontres et m'a permis de m'exprimer"
"Justement ton album s'appelle "Lang(u)age" et on y retrouve des textes chantés dans de nombreuses langues différentes ce qui fait que parfois l'auditeur n'a pas accès au sens du texte que tu interprètes. Le "poids" des mots, ça revêt quelle importance pour toi, dans tes chansons?"
"Quand j'interprète une chanson, aussi bien sur scène que sur un album, j'ai toujours tendance à ressentir et essayer de transmettre une certaine émotion. Après je peux mettre des mots dessus mais les mots n'ont pas forcément autant d'importance que ce qui passe par la musique et le son de la voix"
"Sur cet album-ci, les textes semblent pourtant très travaillés..."
"Là sur cet album en l'occurence c'est vrai que je me suis essayé à ça, à travailler davantage les textes mais je ne m'y suis pas essayé tout seul , cet album c'est aussi le fruit de rencontres. D'une manière générale je ne refais jamais les mêmes choses et d'ailleurs on me le reproche souvent parce qu'on me dit "mais tu ne joues jamais les chansons comme elles sont sur les albums..."
"Mais ça les rend vivantes aussi, du coup tu vois je trouve que c'est intéressant. Puisqu'on parle d'émotions, quelles sont celles que tu aimerais susciter chez ceux qui t'écoutent"
"Je ne sais pas, j'aimerais leur faire passer un bon moment, simplement, de susciter quelque chose qui puisse, au moins un peu, leur permettre de se sentir bien. Et surtout aussi communiquer vraiment, c'est le plus important, avoir l'impression d'un moment vraiment partagé, ensemble. Que ce soit sur scène ou sur mes albums, j'essaie toujours de laisser une trace, quelque chose d'indélébile. J'essaie d'être authentique en tout cas".
"Il y a un thème récurrent dans cet album, c'est le voyage. Quelle place tiennent les voyages dans ta vie?"
"Les voyages prennent toutes la place dans ma vie. J'ai été un grand voyageur malgré moi, dès l'âge de 3 ans, déjà, puisque mes parents étaient séparés à ce moment-là. Chez nous, le père a le droit automatique de garde des enfants dans ce cas là, après un certain âge. Mais mon père a été un peu plus vite...A l'âge de 3 ans j'ai donc quitté ma mère qui elle est d'origine Hassani, elle est donc arabe d'origine, et moi j'ai baigné dans cette culture là jusqu'à l'âge de 3 ans et après j'ai migré dans une autre région, dans le sud du Sénégal. Une région tropicale avec des catholiques, des animistes et puis un peu de musulmans certes mais c'était totalement différent de ce que j'avais connu avant. Et par la suite je suis reparti à nouveau...En fait ça a toujours été ça. Donc le voyage dans ma vie a une importance capitale, le fait de bouger j'ai besoin de ça en fait. Je deviens quelqu'un de très malheureux quand je ne bouge pas.
"C'est vrai?"
"Oui. Quand je reste longtemps quelque part c'est comme si je me vidais"
"Tu t'étioles?"
"Oui voilà c'est ça!"
"Tu disais tout à l'heure que la musique pour toi c'est avant tout une histoire de partage et justement sur cet album on découvre plein de collaborations. Quelle est l'histoire de ces collaborations? C'est toi qui est à l'initiative de ça ou ce sont plutôt des artistes qui sont venus spontanément vers toi?"
"Là encore tout est vraiment une histoire de rencontres. J'étais au Canada en tournée et il y a mon éditeur qui m'appelle et qui me parle des rencontres d'Astaffort qui sont organisées par Francis Cabrel en m'indiquant que je suis invité là bas. Je ne savais pas ce que c'était à l'époque, je ne connaissais pas vraiment le milieu de la chanson mais je me suis dit "Pourquoi pas". J'y suis allé et c'était très différent de ce que j'avais l'habitude de fréquenter, grisant. Et Maxime (NDR : Le Forestier) était le parrain et j'ai rencontré plein de gens, à travers la musique une fois de plus. On a eu de longues discussions jusque tard le soir, et puis on s'est revu à Paris et voilà... Et puis Oxmo je l'avais croisé à Paris 5 ans plus tôt...En fait tout ça c'est fait sans avoir eu une quelconque réflexion ou une quelconque organisation préalable. En fait ma vie, ça a toujours été ça, la musique a toujours été vecteur de mes rencontres, elle a toujours été vecteur de toutes les décisions que j'ai prises...Parce que j'allais quelque part pour la musique et grâce à la musique je découvrais des endroits, je rencontrais des gens et à partir de là il se passait -ou pas d'ailleurs, parce que des fois, il ne se passe rien- des tas de choses. D'où ces chansons en français, d'où cet album..."
"Cet album quelque part on peut lui voir une sorte de connotation politique aussi. C'est vraiment un grand mot mais il est clair que ta musique est comme une ode au métissage, au mélange des cultures..."
"C'est sûr mais c'est parce que c'est mon histoire. Je ne défends pas la notion de mixité, c'est simplement ce que je suis en fait. Quand je vais en Mauritanie par exemple et que je retrouve ma famille et mes amis, je sens ce côté "étranger". Malgré le fait que je sois chez moi, je ne me sens pas complètement chez moi. J'ai toujours eu le sentiment de ne pas appartenir à une communauté particulière. Les gens ont toujours envie que tu appartiennes à un groupe. Puisque je parle le wolof, les wolofs ne comprennent pas quand je leur explique que je ne suis pas wolof, les Peuls non plus d'ailleurs, ne comprennent pas que je ne me considère pas complètement comme Peul...J'ai ressenti ça aussi quand je suis arrivé en France et pourtant je parle le français, c'est une culture que j'ai appris à découvrir et puis surtout c'est une histoire que j'aime, c'est mon pays adoptif... mais voilà je n'ai aucun problème avec ça parce que je me sens partout chez moi comme les voyages me l'ont permis, pour moi les frontières n'existent pas. Et effectivement ça peut avoir une connotation politique, comme tu le disais."
"Oui mais en même temps on sent bien qu'il n'y a pas de revendication..."
"Oui parce que c'est album il dit seulement "voilà comment les choses sont, voilà ce que je suis".
"Et donc cet album il te ressemble alors?"
"Il commence à me ressembler, c'est un long chemin (rires)"
"Et oui comme il change sans cesse, que tu fais chaque fois évoluer les morceaux sur scène! C'est peut être pour ça d'ailleurs que tu changes toujours tes chansons, non, pour qu'elles te ressemblent et puisque tu évolues chaque jour..."(Rires)
"Oui c'est vrai, ça change toujours. Mais j'ai l'impression d'avoir tellement de choses à exprimer, tellement de choses à dire...Et pour ça la France est un pays un peu difficile pour le genre d'artiste ou le genre de personne que je suis. C'est ma terre d'accueil, c'est un pays formidable mais c'est vrai que les gens aiment bien te ranger dans une catégorie, savoir ce que tu fais exactement et moi on n'arrive pas très bien à me définir. Alors des fois j'ai juste envie de dire "Ecoute c'est juste une histoire que je raconte alors si tu arrives à rentrer dans l'histoire d'une certaine manière et si ça te plait c'est bien mais si tu n'y arrives pas ce n'est pas grave parce que c'est juste une histoire que je raconte, une histoire un peu particulière mais qui est la mienne".
"Ton histoire, donc, c'est celle d'un homme qui n'est pas citoyen d'un pays, on l'a compris. Tu te sens davantage citoyen du monde que d'un pays?"
"Oui sans doute mais tu vois je ne veux pas tomber là-dedans, me retrouver à défendre cette idée de citoyen du monde, tout ça. Je veux juste dire aux gens "ça existe vraiment! D'ailleurs aujourd'hui de plus en plus : les gens bougent, on voyage beaucoup plus facilement et puis il y a l'Europe aujourd'hui..Les gens partent, quittent le Portugal par exemple parce que c'est la crise et vont aller en Suisse par exemple...Ils sont peut être moins visibles parce qu'ils ont tous la même couleur, nous on nous voit plus, on nous repère plus facilement quand on bouge parce qu'on n'a pas la même couleur (rires) mais en ce moment tout le monde se déplace..."
"Tu connais le mythe de la tour de Babel qui veut les hommes ont été "punis" (pour avoir voulu rivaliser avec dieu en créant une tour suffisamment haute pour atteindre le ciel) par le biais de l'instauration de la barrière des langues. La musique d'après toi, c'est une sorte de langage universel?"
"J'aimerais, j'aime cette idée en tout cas. J'aimerais surtout qu'on réalise qu'on peut être tous très différents par notre aspect, notre langage etc mais que malgré tout on a tous les mêmes envies, on partage tous les mêmes émotions de joie, de peine...et ça on peut le voir facilement dès qu'on voyage un peu..."
Notre entretien s'arrête là, surtout parce que d'autres me suivent et attendent leur tour, je dois donc libérer la place. Pas de vidéo pour l'interview, donc, pour cause de problème technique mais je me rattrape en te proposant très vite un petit medley de ce que j'ai pu filmer au showcase France Inter auquel Daby Touré a participé le même jour aux Francofolies toujours.
En attendant je t'invite à aller flâner par ici, tu y trouveras la chronique de son dernier album, Lang(u)age, par là, tu y trouveras les photos de son concert sur la scène de l'horloge rouge justement ou bien encore ici pour retrouver des photos et un petit retour sur son concert partagé avec Okou à la Maroquinerie (organisé par Good Prod), c'était il y a presque 2 ans maintenant...