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Peut-être cette période de sa vie était-elle finie. La manière qu’il avait eu d’écrire ainsi chaque semaine pour fixer sa « petite mémoire », ses hésitations, ses chemins de traverse sur ce blog, prenait peut-être fin. Cette envie le reprendrait sans doute – très vite? – puisqu’il notait sur des carnets depuis son adolescence non sa vie privée mais ses images, ses désirs d’images afin de les voir hors de lui et qu’elles restent à porter de sa main. Mais il sentait bien que cette générosité un peu aveugle avait changé au fil du temps. Il aurait fallu en faire plus ou moins, en tout cas pas faire ça: exposer ainsi ses processus, exhiber ainsi pérégrinations et ses inspirations, présenter tout le contexte de ce qui pénétrait son imaginaire, c’était soustraire la synthèse qu’il essayait de produire, malgré tout ce qu’il pouvait prononcer.
Il y avait une relation au premier abord étrange entre ses tentatives de production matérielle et la mémoire de certains temps. Il y avait bien sûr le flux de l’existence, le corps qui s’oublie dans les habitudes, dans les petits riens, dans une certaine mécanique, quand pendant une journée tout file à vive allure parce que tout s’enchaîne, parce que même si on est là on a rien à décider simplement à suivre le fil de la journée. Et puis il y a ces moments qui insistent, persistant dans la mémoire, peu importe les années, quand le matin on se réveille trop tôt et que la nuit est encore là. On se souvient, non du passé mais de l’impact sur le présent. Les visages, les peaux, les paroles échangées, la chaleur des ventres, des regards croisés. Ca ne passera jamais. On peut vouloir faire le deuil mais personne n’est mort alors à quoi bon. Et puis ce serait encore préférer la mécanique de l’habitude des corps, passer à autre chose, comme si on passait jamais à autre chose, comme si l’accès aux singularités s’opposait au pouvoir de la répétition, à ce sentiment d’être encore là, toujours là, dans cette distance à soi. Entre ça, qu’il tentait de nommer, cette tessiture des temps et ce qu’il produisait jour après jour, il y avait une affinités, comme si le second tentait de produire volontairement les traces de la première, comme si cela pouvait être délibéré. Et la technologie n’était finalement qu’un autre nom de cette affinité.