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Netart for dummies

Publié le 04 avril 2009 par Gregory71

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Je ne serais jamais historien du netart parce que d’une part je ne me reconnais pas dans la dénomination netart (la définition par médium me semblant appartenir à une autre époque fondamentalement moderniste) et que d’autre part cela m’apparaîtrait comme une simple entreprise de justification ne séparant pas les rôles et les pouvoirs, mélangeant, comme dans un récit juridique kantien, l’accusé et le juge. Certains s’y essayent pourtant: une tentative de réappropriation. 15 ans après l’apparition d’Internet, des artistes tentent d’en écrire l’histoire, souhaitant sans doute entrer dans l’histoire de l’art, mais puisque personne ou presque ne les y invitent. Ils ouvrent les portes et deviennent leurs propres historiens. Ils essayent d’expliquer combien ils sont importants, combien ils sont précurseurs, combien nous en sommes redevables (sans même le savoir). Peut-être se prennent-ils pour des pionniers, notion qui a un si fort succès dans l’historiographie du netart, comme si nous étions dans le Farwest, comme s’il avait eu un premier groupe d’explorateurs courageux et puis ceux qui avaient ensuite suivis en ne prenant aucun risque. Mais dès le début Internet fut pour tout le monde, c’est cet anonymat qui le défini. Que penserait-on d’un historien qui est lui-même le personnage principal de son histoire? Ne jugerait-on pas qu’il y a un risque de manque d’objectivité? Qu’il pourrait y avoir dans une telle construction théorique une part égocentrique et narcissique mal maitrisée? Le désir de se mettre en avant et un manque certain de probité?

Ces scrupules n’empêchent pas certains de s’inventer une histoire, de s’imaginer en glorieux artistes découvrant seuls en 1994 ou même avant, Internet, racontant ensuite une seconde vague (1998) s’appropriant ce qui avait déjà été fait par leurs aînés. Ce discours est fantasmatique, il ne correspond à aucun phénomène bien sûr mais il permet de proposer un récit plaisant, rejouant le modernisme des avant-gardes sur une scène qui en était dépourvue. On mélange des clichés pour être sûr d’être entendus, on sert une soupe en mixant les ingrédients les plus communs de l’histoire de l’art, les fantasmes les plus éculés: l’avant-garde, les pays de l’Est, le mouvement Dada, le punk, l’auto-sabordage, la trahison. On construit ainsi un récit historique chronologique, on invente une origine pure. Bien sûr la réalité historique fut toute autre, je vous l’assure, et même si elle peut être soumise à de multiples interprétations, nous pouvons affirmer que l’origine du netart fut impure, multiple, différenciée. Beaucoup d’artistes comprirent dès 1994, l’importance d’Internet, beaucoup firent des expérimentations, des sites. Certains ont continués, d’autres ont disparus. A l’exposition Artifices (1994), il y avait une bonne quinzaine de sites exposées. Le réseau fut dès le début une technologie populaire et accessible, c’était même l’objet du WWW, comparativement aux réseaux privés de type BBS, que d’offrir une interface aisée. Il n’y eu donc aucun inventeur du netart, aucune période mythique dans laquelle une minorité d’artistes inventaient le langage à venir, mais de multiples contributeurs, beaucoup ignorait l’existence des autres. Il n’y eu pas d’abord un mouvement underground dans les pays de l’Est, puis une réappropriation américaine. Il y eu dès le début beaucoup d’artistes, beaucoup de propositions, une impossibilité de fixer le centre. Certains développèrent une esthétique lowtech, d’autres appliquèrent les recettes de l’art conceptuel, d’autres encore – dont nous furent – tentèrent d’imaginer une narrativité propre au réseau.

Finalement ce sont deux conceptions de l’histoire qui s’opposent ici. Une histoire moderniste et chronologique dont le critère esthétique est l’antériorité, la pureté de l’origine et l’innovation technologique (être le premier à avoir utilisé quelque chose fixerait l’importance historique). Une seconde histoire complexe, différenciée, multiple, non pas avec une origine, mais plusieurs origines. Non pas un pseudo-mouvement d’avant-garde, mais, tout comme notre époque présente, un flou, une hésitation, une indifférenciation. L’histoire ne serait pas alors considérée comme une simple progression chronologique. Ces deux histoires sont aussi deux images du réseau: un réseau qui ressemble à un arbre (l’arbre classique de la connaissance cartésienne) avec ses racines et ses branches. Un autre réseau sans centre, se développant en surface, avec de multiples graines originelles produisant parfois à distance de nouvelles semences. Il me semble que cette seconde image est plus proche de l’expérience du réseau.

Ce sont aussi deux conceptions de l’art et de l’artiste qui s’opposent et pour ainsi dire deux psychés. D’un côté, ceux qui se rêvent comme de grands artistes, s’incorporant dans l’histoire eux-mêmes. Ils ont toujours le sentiment d’être victime d’une injustice, de ne pas être reconnu à la hauteur de leur génie. C’est la logique ressentimentale qui est tournée vers le passé: le grand art appartient à l’origine, le présent ne consiste qu’à tenter de justifier cette origine. Ils en veulent à la terre entière d’être mésestimés. D’autres artistes tentent de ne pas être dupes d’eux-mêmes, ils ne s’accordent aucune importance particulière, pas plus d’importance que n’importe quel autre objet culturel, ils estiment que ce n’est pas là leur travail que de se justifier, que de s’accorder une importance. Ils essayent simplement de produire, encore et encore, de casser ce qu’ils savent faire, de réinventer toujours et encore leur pratique, et non pas d’appartenir à un milieu, à un appareil. Ils n’ont pas l’impression de faire partie de l’histoire, car leur création est encore à venir. C’est parce que le futur, ce qui vient, a une priorité sur ce qui a déjà eu lieu, qu’ils ont le sentiment de n’avoir encore rien fait.

Jamais la tentation n’aura été si grande chez certains de construire une histoire, dans le sens le plus classique et naïf du terme, au moment même ou la notion même d’histoire est en jeu et évolue. Par réaction à un monde complexe qui se disloque de façon incertaine, ils construisent un récit linéaire avec des repères, des bornes, des avants et des après. Ils répondent ainsi au désir de retrouver un discours de vérité. Mais notre époque offre aussi la possibilité de plonger positivement dans une transformation dont nous voyons à peine les contours mais à laquelle nous appartenons tous d’une façon consciente ou inconsciente.


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