Il est exigé que l’ « oeuvre » fonctionne. Si elle tombe en panne c’est un échec la rendant indisponible au public.
Il est étonnant de voir combien les arts visuels et numériques entretiennent un rapport impensé à l’instrumentalité et acceptent d’avance les présupposés et les implications d’une telle exigence de fonctionnement. Car en les acceptant on ne réalise pas une décision neutre, on décide justement sans même y penser du plus important, on décide de notre relation fondamentale aux technologies sous la forme de l’instrumentalité. Croyant rendre disponible l’ »oeuvre », on la soumet en fait au monde dans son opacité quotidienne: on pourra en effet l’expérimenter sans même y penser, sans même penser à la technique qui est pourtant là. Voilant le fonctionnement, on rend insensible cette matière pourtant si importante et structurante l’imaginaire comme la perception.
Doit-on pour autant faire des machines dysfonctionnelles ou formelles exhibants les conditions de possibilités de leur fonctionnement? Ce serait là un jeu littéral et autophage. Il faut dès lors penser à une autre relation au couple fonctionnement-dysfonctionnement, penser à ce que les deux ne s’opposent pas comme c’est habituellement le cas, bref que le fonctionnement soit en panne et que par la panne quelque chose arrive, un événement, disons même une occurence aussi minime soit-elle. Il ne faudrait donc pas que ce soit une panne au sens classique du terme, un arrêt complet de la machinerie, mais plutôt une fragilité, une instabilité. Il faudrait que la machine soit trop sensible pour fonctionner parfaitement. Qu’elle s’arrête parfois puis qu’elle reprenne, et ainsi de suite, produisant une palpitation dans sa temporalité, temporalité qui ne serait donc pas entièrement soumisse à son usage mais aussi à la relation entre cet usage et son fonctionnement interne.
Remarquons combien cette exigence grandissante de fonctionnement sur l’art numérique a un impact sur les manières de produire et donc sur l’art lui-même en tant qu’il est un travail: les artistes font appel à des techniciens et réalisent ainsi une découpe entre l’ordre des idées de projets et l’ordre de la réalisation qui devient une effectuation plus ou moins réussie. Ils peuvent aussi être des informaticiens. Dans les deux cas on exclue la possibilité d’un mal-fait, d’un amateurisme, d’une tentative, d’une expérimentation, ca on veut là encore que cela fonctionne et si possible sans faille, sans trouble, sans vibration.