La base humaine

Publié le 20 novembre 2009 par Gregory71

Que l’existence ne se réduise pas aux enregistrements fait dans des bases de données, cela semble aller de soi. On pourrait dire que le flux de nos existences ne saurait s’y réduire, qu’il y a en lui de la résistance envers le monde du calcul et de ce qui laisse des traces. Nos existences restent intactes.

Mais peut être ne faudrait-il pas se laisser aller à cette évidence. Peut-être que la simplicité idiote des bases de données, simples tableaux constitués de lignes et de colonnes, peut bel et bien transformer nos existences. A cette fin il faudrait les penser non comme quelque chose de naturel qui subsiste tel un réservoir, mais comme une structure plastique en contact avec le monde extérieur, les phénomènes tant naturels qu’artificiels.

Notre époque voit une situation nouvelle apparaître: les anonymes, les oubliés de l’histoire sont à présent mémorisés dans des bases de données. Ce sont des traces réduites, simples, mais dont la densité est telle qu’un recoupement entre elles peut permettre une interprétation subtile.

Plus important même que le résultat enregistré est la méthode d’enregistrement qui consiste à concevoir le monde comme quelque chose de découpable et dont le résultat discret peut être assemblé selon des catégories. Cette catégorisation n’est pas sans rappeler le transcendantal kantien mais en poussant celui-ci dans une multiplicité de catégories. Concevoir les êtres humains selon  des catégories interfèrent grandement avec leurs agissements. Ainsi les sites de rencontres nous donnent accès à des profils que nous parcourons. Pour discriminer ceux que nous retiendrons de ceux que nous laisserons, nous nous adaptons à la catégorisation en l’intégrant pour en faire notre mode de lecture. Nous concevons dès lors les êtres humains au premier abord comme un conglomérat de qualités. Ceci entraîne inexorablement la formulation dans le sujet que nous sommes de besoins résumables à ces catégories. Par une boucle étrange ce qui devait être la conséquence devient une cause, comme c’est souvent le cas avec l’informatique. Notre affectivité est hantée par l’enregistrement dans les bases de données et par la facon dont le capital maîtrise les désirs par un cercle entre les besoins et les réponses à ces besoins. Les bases de données deviennent dès lors la base humaine, un a priori.

L’un des premiers usages sociaux des machines calculantes fut dans les camps de concentration et d’extermination. Les déportés étaient mémorisés sur des cartes, leurs vêtements enregistrés, ils étaient perforés.