La critique adressée au postmodernisme, pour des motifs parfois justes, parfois confus, empêche peut être d’en saisir les conséquences encore actuelles dans toutes les formes d’art institutionnel ou auto-référentiel. En ce sens, le postmodernisme ne saurait se limiter à une tendance clairement définie, c’est une ligne de fuite beaucoup plus large dont relèvent encore de très nombreuses pratiques ironisant sur le milieu de l’art, sur la production artistique, sur l’institution et défaisant, en ce sens, l’espoir en une modernité qui avait promisse une relève esthétique. Il n’y aura plus dès lors qu’un jeu de langage faisant et défaisant les autorités et les métadiscours s’autorisant d’eux mêmes.
On a trop vite annoncé la mort d’un corps encore vif. On a voulu ranger ce corps dans un casier alors même que beaucoup le maniaient, sans toujours le savoir. On en fini pas ainsi avec la fin, car le postmodernisme indique moins quelque chose d’après que l’avant de la modernité, un décalage du temps avec lui-même signalant qu’on ne peut se défaire facilement d’un héritage émancipateur, qu’on y revient sans cesse fut-ce pour le dénouer, fut-ce pour en jouer sans cesse.
Or notre époque est encore dans cet entre-deux prise dans la plus grande ironie (j’ai regardé pour la première fois en plusieurs années la télévision, cette plongée fut merveilleuse) et les plus grands espoirs, dont les technologies restent encore porteuses un peu contre leur gré. Il y a toujours cet effet de balancier. Et il n’y a qu’à voir les expositions en arts visuels pour apercevoir combien encore le discours postmoderne de l’art sur l’art reste présent: citations, retour au classicisme (souvent de la facon la plus bête), ironie, langage. Combien un désir de se libérer d’un tel fardeau historique (devons-nous donc reprendre en charge toute la tradition historique de l’art pour faire une image, une seule image?) est encore actuel. L’un ne va pas sans l’autre, et le postmodernisme n’a jamais dit que cette double polarité, il n’a jamais, tout du moins chez Lyotard, été le signe d’un dépassement, mais la mise en cause justement de toute fin historique donc de toute idée de dépassement, de cette empreinte hégelienne qui marque encore de facon inconsciente de nombreux esprits critiques.
Il y a dans l’acharnement contre la notion de postmodernisme quelque chose du meurtre du père, comme si chaque époque devait inlassablement rejouer cette scène et se détacher de ce qui la précède pour simplement apprendre à parler son propre langage. Il y a aussi souvent en cela une mécompréhension profonde de ce concept le rabattant sur sa tendance nord-américaine et architecturale et oubliant sa profondeur philosophique, son questionnement méthodologique (on critique souvent la postmodernité des motifs qu’elle défaît pourtant). Il y a encore une manière de détourner le regard entre ce qui pourrait lier ce concept à notre situation actuelle – et ce n’est pas le fait du hasard si Lyotard fut aussi l’un des commissaires des Immatériaux au Centre Pompidou -, des technologies qui reconfigurent jusqu’à la trame transcendantale de notre perception (démontrer cela fera l’objet d’un prochain travail théorique) et qu’il faut débarrasser de leur apparence instrumentale si ce n’est à risquer de passer à côté, de ne pas les apercevoir telles qu’elles sont, avec les implications esthétiques et organiques qu’elles ont. Etrangement, ce concept inactuel, forcément, méthodologiquement inactuel de postmodernité, est encore au seuil de notre époque, quand on sait l’entendre dans sa complexité, quand on ne le réduit pas à un style pseudo-classique, quand on observe la duplicité même de son temps, de tout temps, du nôtre donc aussi.