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Via, dextres machines (Libération)

Publié le 10 mars 2010 par Gregory71

http://www.liberation.fr/culture/0101623357-via-dextres-machines

Via jusqu’au 14 mars, à Maubeuge (Nord) et à Mons (Belgique). Rens. : www.lemanege.com

Une masse nébuleuse ondoie telle une mer laiteuse. On aimerait se fondre dans cette aube originelle, disparaître dans les remous cotonneux de ce paysage irréel. Mass est le souffle qui ouvre le nouveau spectacle de Kris Verdonck, Actor #1, présenté à Mons vendredi à l’occasion du festival Via, consacré aux arts numériques et de la scène.

D’acteurs, il n’y en a guère, du moins au sens où on l’entend. Pas de présence humaine en chair et en os, mais de la matière qui danse, une image qui soliloque et un robot trébuchant. Le plasticien et metteur en scène nous livre ici trois tableaux saisissants et épurés sur le passage du chaos à l’ordre, poursuivant son exploration de la relation entre l’homme et la machine, l’être et la matière. Dans le deuxième volet, une créature mi-homme mi-marionnette (vidéo projetée sur une poupée) évoque l’homoncule des alchimistes. Identité bredouillante, ce «presqu’humain» miniature se cherche avec des mots qu’il fait vibrer, associe, répète et recombine, afin d’en épuiser toutes les variations. Un texte inspiré de Sans, de Beckett. L’effort bouleversant de ce corps électronique désemparé fait écho à celui du robot du troisième volet dans sa tentative héroïque de marcher.

«Savant». Sorte de gros piston sympathique au comportement imprévisible, Dancer #3 tâtonne dans un concert de blip-blip, s’enhardit jusqu’à faire un saut prodigieux avant de s’étaler, puis recommence avec l’enthousiasme contagieux d’une machine en train de découvrir ses propres possibilités. Mignon mais potentiellement dangereux, on ne peut s’empêcher d’être saisi d’empathie pour «ce truc qui essaie, fait des erreurs», chute et se relève. «Ce robot est comme un acteur grec parfait, il connaît son but, n’y parvient pas, mais ça ne l’arrête pas», dit Verdonck, qui apporte ici un début de réponse à l’un de ses questionnements récurrents : «Peut-on être ému par des objets ?»

Le dialogue homme-machine est également au cœur de l’exposition de Via, Dancing Machine, à l’espace Sculfort de Maubeuge (Nord) avant de s’installer à Créteil (Val-de-Marne) le 18 mars. Seize installations ludiques grand public, où le corps en mouvement entre en interaction avec le son et l’image. «La danse est une discipline que chacun peut s’approprier à différents niveaux, explique le commissaire Charles Carcopino,ce n’est pas seulement un art savant, mais aussi une activité sociale, populaire, comme la sortie en discothèque et les boums.» Durant notre visite, les médiatrices s’entraînaient assidûment devant les cours vidéo de Blanca Li (au choix : classique, hip-hop ou Bollywood) tandis que les collégiens secouaient timidement leur chevelure dans Moshpit, l’infernale machine de Volker Morawe, qui convertit le headbanging en métal assourdissant. Plus on y met d’intensité et plus la machine s’emballe, avec strobo et fumée en prime.

Plus poétiques, les étonnants automates de Peter William Holden sont un clin d’œil aux comédies musicales des années 30 réalisées par Busby Berkeley. Le réalisateur d’Hollywood aux fameuses vues plongeantes chorégraphiait ses danseurs dans des tableaux complexes aux formes géométriques mouvantes, imitant le mouvement des machines modernes. Kaléidoscopes humains dont s’inspire l’artiste dans Arabesque, une fleur mécanique entièrement robotisée qui déploie ses gambettes et bras démantibulés en rythme sur la musique, façon ballet nautique grotesque. «Ces machines qui imitent maladroitement l’homme montrent surtout la perfection de la nature, son infinie souplesse et complexité», soupire l’artiste. Dans Autogene, ce sont huit parapluies qui swinguent sur l’air de Singing in the Rain, tandis que Solenoid B orchestre une performance époustouflante de claquettes en faisant tambouriner sur un plancher huit paires de souliers vernis.

R’n’b. A l’arrière-plan, les pas du virtuose Fred Astaire semblent contrariés par quelque force invisible. De fait, Dance With U.S, de Grégory Chatonsky, lie les mouvements du danseur aux cours de la Bourse américaine : plus les valeurs changent, plus ils sont fluides. Dans Dance With Me, Chatonsky propose de brancher son lecteur MP3 à l’installation qui projette des vidéos, récupérées sur Youtube, où des filles se sont filmées en train de se déhancher sur une chorégraphie de r’n’b. Désormais, leur corps juvénile bouge en rythme avec votre propre play-list, telles des marionnettes.

Plus spectrale, Remanences, la belle installation de Thierry de Mey qui filme des Circassiens avec une caméra thermique, ne gardant que l’empreinte du mouvement laissée par la chaleur des corps. La trace de l’acrobate qui glisse tête la première le long d’une corde fait penser à un étrange suaire.


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