L’art et la machine ont parfois flirté. Aujourd’hui, ils tentent des mariages métissés en sophistiquant les automates de jadis ou les lanternes magiques d’autrefois.
Le festival international et transfrontalier « Via » du Manège Maubeuge-Mons a toujours donné une place à des recherches liées aux technologies actuelles. « Dancing Machine » se présente donc comme une vitrine qui esquisse un inventaire parcellaire de tentatives liant spectacle vivant et innovations techniques de l’art numérique.
Avant ou après les représentations théâtrales et chorégraphiques mises au programme, le public a tout loisir de pénétrer dans un antre où se déroulent, souvent avec sa complicité interactive, des performances insolites. Ici convergent la vidéo, l’électronique, l’informatique, le bricolage, l’électroacoustique, la robotique, l’attraction foraine, la sculpture cinétique, l’installation, la spéculation scientifique. Ici l’étonnement se conjugue avec le plaisir, l’agacement, l’envie de participer, l’émerveillement, le scepticisme, le défoulement…
Jeux de voix et de sons
L’igloo aménagé par Alexis O’Hara est tapissé de haut-parleurs récupérés et comprend des micros. Chacun est invité à donner de la voix. Ainsi a-t-il possibilité de se libérer par des cris, des effets larsen au sein d’un cocon qui aurait pu être abri tranquille. Ludique avant tout, cette structure défouloir attire les enfants qui s’en donnent à bouche joie.
Réinventant le principe du flipper, Alvaro Cassinelli a programmé un rayon laser circonscrit dans un rectangle lumineux. Poser sa paume, un objet ou un dessin composé de traits noirs assez épais provoque la mise en route du rayon qui s’adapte aux contours, redessine pour ainsi dire ce qu’il touche. Il est loisible de jouer avec lui en le piégeant entre deux mains ouvertes, en le faisant rebondir de l’une à l’autre.
Jeux de sons et de gestes
La discothèque mobile compacte de Hannah et Roy fonctionne selon les mouvements des participants. Plus les gens se trémoussent plus les sons se génèrent jusqu’à en oublier (comme dans les night clubs réels qu’au-delà de 115 décibels les dégâts causés aux tympans sont irréversibles).
Peter William Holden est un joyeux drille. « Autogene » est la transposition électronique de la séquence la plus célèbre de la comédie musicale « Chantons sous la pluie ». Mais ce n’est pas Fred Astaire qui danse. C’est un octuor de parapluies dont les mouvements jubilatoires d’ouvertures et de fermetures forment un ballet rigolo. Idem avec « Solenoid B » où ce sont des chaussures pour danseurs de claquettes qui inventent automatiquement ou avec intervention manuelle, une partition de percussions. Quant à « Arabesque », ce sont bras et jambes articulés qui plagient des mouvements chorégraphiques. Cette dynamique spectaculaire porte en elle le réjouissant.
« Skininstrument2 » de Daan Brinkmann invite au tactile pour mieux écouter ou communiquer. Appuyer la main sur une des bornes de son instruments induit un courant électrique qui, dès que l’on touche un autre individu, lui-même connecté à une autre borne, se transforme en bruit. La manière dont les personnes se tâtent, se caressent, s’effleurent provoquent des ondes sonores qu’il devient vite possible de moduler. Une façon intime de s’approcher, de prendre connaissance d’autrui.
Spectacles automates et interactifs
Jeux de gestes et de présence
Pénétrer dans « Nemo observatorium » c’est communier avec Lawrence Malstaf et se laisser griser par un typhon artificiel qu’on peut déclencher ou stopper. Grisant, à condition de n’être pas claustrophobe ! Pénétrer dans l’espace « Illusio » conçu par Philomène Longpré, c’est soumettre un personnage invisible à se manifester, à jeter un regard virtuel sur l’intrus qui vient le déranger. À demi caché par un écran perforé, il réagira aux déplacements accomplis dans l’espace. Sa présence dépend du visiteur mais elle est aussi inquisition contre la présence réelle venue perturber la tranquillité du lieu. Étrange impression pour le spectateur que d’être à la fois l’éveilleur d’un être fictif et l’objet d’un jugement muet de la part de celui-ci.
Une leçon de danse, voilà ce que suggèrent Blanca Li et son « Ven a bailar conmigo ». Elle apparaît (ou son complice masculin) en semi-transparence sur un écran dans un lieu de miroirs et de barres murales pour apprentis danseurs. Elle donne des conseils, encourage, se moque un peu, apostrophe et montre les mouvements à effectuer. C’est d’un tel naturel qu’on s’imagine réellement en train de suivre un cours.
Chatonsky procure à chacun la sensation de manipuler d’autres êtres. Il suffit en effet de brancher un lecteur MP3 sur son installation pour faire se trémousser des danseuses émigrées de Youtube au rythme des musiques que l’on choisit. Le même créateur poursuit sa dérision en couplant des chorégraphies de Fred Astaire avec les cours de la bourse : plus ils montent, plus le danseur accélère et s’ils baissent, il ralentit. Illustration décalée du pouvoir des financiers sur le comportement des citoyens lambda.
« Kolo Danse », installation vidéo signée Natacha Paganelli se moque poétiquement du conte de fées. Dans un paysage forestier, des danseuses russes apparaissent et disparaissent, surgissent et se dissimulent selon un rythme d’animation parodique. La fougue du montage rappelle le côté saccadé de vieux films muets. Le chorégraphe Thierry De Mey captet des images de danseurs au moyen d’une caméra thermique. En résulte sur l’écran les traces visuelles du passage des corps dans l’espace, sorte d’écriture calligraphique pour alphabet purement virtuel. Il montre aussi un ballet tournoyant d’une ballerine filmée en plongée, sur un tapis de sable, métaphore vertigineuse – la musique est de Steve Reich – de traces fugaces laissées par les êtres lors de la transition de leur existence.
Document sans commentaire, « Guygoscrazy » filmé par Christodoulos Panayiotou laisse à chacun d’imaginer ce qui s’est passé dans un studio de productions pornographiques entre l’écran 1 qui montre l’endroit avant le tournage et le 2 après. Comme dans le jeu des X erreurs, les différences marquées par des traces diverses laissent fantasmer sans frein. Son « Slow dance marathon », réminiscence de « On achève bien les chevaux » de Sydney Pollack d’après le roman d’Horace McCoy, se focalise sur des couples en train de tenter de battre des records. Leur fragilité se lit à travers les images de prestations pitoyables.
Jeux de couleurs et de mouvements
Le collectif VS présente sa ville numérique, maquette géante dans laquelle se promener déclenche des flux visuels qui mettent en branle des circulations urbaines abstraites, des métamorphoses colorées polychromes. Un urbanisme qui remplace la pollution par la fluidité de la lumière. Cette même lumière se joue d’un écran plat décortiqué en « 48 x 48 » pixels dans lesquels circulent des figures géométriques lumineuses aux motifs infinis, sorte de peinture abstraite mobile, kaléidoscope géant, feu d’artifice silencieux.
Retour enfin vers ce qui ressemble à du théâtre. Les objets, bruts ou détournés, de Kanta Horio interprètent dans l’espace un ballet d’apesanteur et de fluidité, prenant un aspect d’étrangeté où l’utilitaire disparaît pour ne plus être que mouvements perpétuels inscrits dans une troisième dimension finalement proche de la quatrième.
Michel VOITURIER, Lille