Quand javais 22 ans, j’ai été quelques mois auxiliaire de vie pour personnes âgées/malades dans une association de margoulins.
Le premier patient qu’ils ont voulu me confier était un jeune homme de 25 ans, sidéen en phase terminale, couvert d’escarres. Sachant que je n’avais – et n’ai toujours pas – l’ombre d’une formation médicale et psychologique, on constatera de suite le sérieux de l’association.
On m’a donc confié 3 missions.
De 8 heures à 10 h : ménage chez un couple. (40 mn de transport pour y aller).
de 11 h à 13 h : ménage chez une femme (15 mn pour y aller).
de 17 h à 19 h : ménage chez un homme (50 mn pour y aller).
Je partait donc de 7 h de chez moi pour rentrer une heure le midi, et revenir le soir à 20h. Au smic horaire. sans transport payés.
Je rappelle que je n’avais aucune expérience en matière de maladie, de déchéance physique ou mentale. S’il n’y avait rien de spécial à mentionner chez la femme de 11 h , celle de 8 h du matin souffrait de démence due à une tumeur au cerveau. Elle se déshabillait donc toutes les 5 mn (ça encore passons) mais elle était surtout très agressive physiquement et verbalement. L’assistante que je remplaçais partait car elle ne supportait plus ses insultes racistes permanentes. J’ai battu de records à éviter des assiettes, des coups de balai. J’ai eu plus de mal à gérer les insultes physiques et j’avoue sans honte que je l’ai également insultée. le plus dur était de voir la détresse de son mari qui n’en pouvait vraiment plus mais ne pouvait la mettre en maison.
Le troisième cas est plus particulier. Lorsque je suis arrivée et que j’ai été accueillie par celle que j’allais remplacer – une femme d’environ 55 ans – elle m’a détaillée de haut en bas en soupirant « mon dieu c’est pas possible qu’ils vous aient envoyé vous ». Devant mes demandes d’explication, elle m’a avoué le problème. M. X, 85 ans, avait complètement perdu la tête et était devenu obsédé sexuel. L’affaire l’a pas trainé ; quand j’ai changé sa poche urinaire (c’est à dire une poche qui recueille l’urine qui est extraite de la vessie via un tuyau ; que les professions médicales m’excusent de la définition maladroite), il m’a collé ses mains sur les seins. Chaque fois que je passais côté de lui, aucune hésitation, une main aux fesses.
Je ne compte plus le nombre de fois où je suis arrivée et où il m’a accueillie - pensait il que cela allait me motiver ? – la bite à l’air.
A mon énième refus de l’accompagner aux toilettes pour « la lui tenir » (je cite), la vengeance ne s’est pas fait attendre. Poche urinaire vidée dans le lit et merde étalée sur tous les murs des toilettes.
L’agression sexuelle est une agression assez particulière ; j’ai envie de dire qu’on a souvent peur de mourir lorsqu’on en subit une. Despentes le dit très bien ; elle avait un couteau lors de son viol ; elle est persuadée qu’elle l’aurait sortie si on avait tenté de lui taper son blouson mais là elle a été tétanisée.
Dans mon cas, tout en sachant qu’il s’agissait d’agressions sexuelles claires, je ne les ai pas vécues comme telles parce qu’il n’y avait pas de danger lié. Une pichenaude et il tombait par terre. Je ne veux pour autant pas employer un autre terme ; il s’agissait bien d’agressions sexuelles et même s’il était dément, le geste était bien là. Mais que faire ?
Néanmoins je me pose la question. On sait que des malades développent ce genre de pathologies. Qu’est-il envisagé dans ce cas là pour les soignants ? Encore une fois on sait que la majorité des soignants sont des femmes et ce sont elles qui ont à se coltiner la violence physique, verbale et sexuelle. On ne va pas porter plainte contre un typer de 85 ans pour agression sexuelle. Qu’est il envisagé dans ces cas là ? Peut-on donner des médicaments qui calment la libido ? Les soignants devraient-ils porter plainte systématiquement, non pas pour que leurs patients soient condamnés mais pour tenter d’obtenir des actions précises ?
Je précise, evidemment, que mon cas sert simplement d’illustration. Je pense aux personnes qui font ce métier depuis de longues années.