Elle devait incarner la réussite de sa politique économique et industrielle. Le Crédit Impôt Recherche (CIR) a été cité en exemple dans des centaines de discours et d'allocutions de l'ancien monarque. Il faut avouer que le soutien à la Recherche est l'un des objectifs les plus louables et les plus loués en politique.
Mais voici qu'un récent rapport sénatorial, publié le 18 juillet et rédigé par le sénateur socialiste Michel Berson pour le compte de la Commission des Finances, nous éclaire sur le fonctionnement et le coût du dispositif. Si le bilan semble positif, il y a quelques surprises, et clarifications.
1. Le Crédit Impôt Recherche date de François Mitterrand. Nul besoin d'attendre ce rapport pour le savoir. Mais certaines vérités ont été si enfouies dans les éléments de langage de l'époque qu'il est bon de les rappeler. Pendant tout son quinquennat et particulièrement pendant la dernière campagne, Nicolas Sarkozy et ses proches s'étaient targués d'avoir créé le crédit d'impôt recherche. Ce dernier avait été lancé en 1983 par le gouvernement Fabius, et fut amendé 6 fois. La dernière réforme date de 2007 dans la loi TEPA de Nicolas Sarkozy.
2. La vraie spécifité sarkozyenne est d'en avoir élargi le périmètre et le bénéfice. Au point que son coût a explosé. Au final, ce coût du CIR pour l’Etat est passé, entre 2007 et 2011, de 1,7 milliard d’euros à 5,1 milliards d’euros, et devrait se stabiliser à un peu plus de 5 milliards d’euros en 2014 selon le Gouvernement. Lors de la réforme de 2008, son coût a été largement sous-estimé par l'équipe Sarkozy, ont regretté les sénateurs.
3. Au sein de l'OCDE, c'est l'incitation fiscale la plus favorable aux entreprises: « dans le cas de la France, un euro de dépenses de R&D correspond à une subvention fiscale de 0,425 euro, ce qui en fait le pays dont le système fiscal est le plus favorable à la R&D. »
4. Bizarrement, l'Etat est quasiment incapable d'en évaluer la portée macro-économique. Ce dispositif pourrait procurer un petit effet de levier sur la croissance du PIB: l'auteur du rapport regrette qu'il n'y ait qu'il n'y ait qu'une seule étude de l'Etat - en l'occurence du Trésor, en janvier 2009 - qui se soit attardé à tenter d'évaluer l'impact de ce CIR élargi: « la réforme de 2008 devrait augmenter le PIB structurel de l’économie d’environ 0,5 point au bout d’une quinzaine d’années. »Vous avez bien lu: 0,5 point de PIB supplémentaire en 15 ans, au conditionnel, pour un surcoût total d'environ 45 milliards d'euros (3 milliards annuels d'incréments).
5. Le CIR est, en France, le plus important dispositif de soutien public à la recherche privée. Mais il reste marginal en comparaison de la recherche globale. La seule dépense privée de R et D des entreprises était évaluée à 26 milliards d'euros en 2009, dont 27% subventionnés par le public. Le Crédit Impôt Recherche (CIR) permet de défiscaliser 30% des dépenses de RD, jusqu'à 100 millions d'euros, puis 5% au-delà. L'assiette du CIR est plus restrictive que celle de la comptabilité nationale: seuls 17 milliards des 26 mentionnés précédemment sont éligibles.
6. Le CIR bénéficie marginalement aux PME. Quelque 29% de la créance fiscale est captée par des entreprises de moins de 250 salariés: « Si les PME perçoivent environ 30 % du CIR total, c’est parce que cela correspond à peu près à leur part dans les dépenses de R&D, et elles perçoivent davantage de CIR par euro de dépenses de R&D que les autres entreprises. » Pourtant, pour les PME bénéficiaires, le CIR apparaît déterminant: il « se substitue » en partie à un financement bancaire défaillant.
7. Les grands groupes (plus de 5.000 salariés) captent 32% du total du CIR. L'auteur du rapport reconnait que cette part est sous-évaluée car toutes leurs filiales et participations ne sont pas consolidées. Globalement, « le CIR est concentré sur les branches les plus exportatrices.»
8. Le détournement du dispositif (« l'optimisation ») concerne en premier lieu les grandes entreprises: « certaines entreprises rattachent artificiellement certains projets non éligibles au CIR à un « méga-projet » de R&D. (...) De telles pratiques concerneraient essentiellement de grandes entreprises, réalisant des dépenses de R&D d'un montant important, de nature variée et difficiles à contrôler.» En fait, les grandes entreprises ont multiplié les filiales pour échapper au plafond de 100 millions d'euros de subvention. Bizarrement, le sénateur propose de faire sauter ce plafond puisqu'il est détourné...
9. En revanche, « la fraude caractérisée concernerait plutôt les PME ». Au global, elle serait marginale d'après le rapport.
10. L'industrie bénéficie peu du CIR, moins d'un tiers des sommes en jeu (30% des dépenses en 2009). Les holdings industriels récupèrent 18% du bénéfice du dispositif. Les banques et assurances quelque 1,6%. Un député UMP, Gilles Carrez, s'était complètement planté en 2009: « notre collègue député Gilles Carrez, alors rapporteur général, a publié un rapport d'information comprenant un tableau ambigu, transmis par le Gouvernement, suggérant que le CIR aurait bénéficié en 2007 pour 18,6 % aux banques et aux assurances. Bien que le taux véritable soit de l'ordre de seulement 1% ou 2%, ce chiffre a été largement repris par la presse. » Une critique infondée malheureusement reprise par Jean-Luc Mélenchon et quelques autres: « l'industrie manufacturière correspond à 65 % du CIR et des dépenses déclarées ».
11. Ce renforcement du CIR n'a pas signifié une augmentation du nombre de chercheurs. Pourtant, on manque de chercheurs et la réussite du CIR est conditionnée à une augmentation des moyens humains de recherche. « La réforme du CIR de 2008 suppose un doublement temporaire du nombre d’embauches de chercheurs.» Ou encore: « l'augmentation de l'offre de chercheurs est essentielle pour que la réforme du CIR de 2008 ait un réel effet sur le PIB structurel. » D'après une étude du Trésor de janvier 2009 sur le CIR, la réforme de 2008 aurait dû impliquer de « faire temporairement passer de 6 000 à 11 000 le nombre d’embauches annuelles de chercheurs par les entreprises.» Ce qui n'a pas été le cas ! Le nombre de diplômes de doctorants a été stable, tout comme le nombre d'étudiants en France, y compris étrangers.
12. La France s'est privé de chercheurs à cause de la politique migratoire de Nicolas Sarkozy. Les sénateurs rappellent notamment la « circulaire Guéant » du 31 mai 2011 qui restreignait « la délivrance de titres de séjour professionnels aux étudiants étrangers (et abrogée le 31 mai 2012) ». L'auteur du rapport recommande « un véritable effort de valorisation des métiers de la recherche » mais aussi un recours à l'immigration: « En second lieu, le levier de la politique d'immigration ne doit pas être écarté. L'immigration de scientifiques étant faible (de l'ordre de 2 000 personnes par an), l'embauche d'étudiants étrangers constitue un réel enjeu.»
13. Le contrôle fiscal est insuffisant. C'est paradoxal. Rappelons que le CIR est la cinquième niche fiscale la plus coûteuse du pays. On pourrait espérer que son utilisation soit davantage contrôlé. Pourtant, « selon la sous-direction du contrôle fiscal, contrairement à une idée répandue le fait de bénéficier du CIR n'accroît pas la probabilité de contrôle ».