Les aïeules s’en vont sous leur cape de laine
Vers le seuil de l’église au portail entr’ouvert ;
Par le chemin pierreux que la brume a couvert
On entend résonner leurs lourds bâtons de chêne.
La nuit vient sur les champs : c’est l’heure de prier,
Et dans la grande nef, où seule une veilleuse
Tremble dans l’ombre, ainsi qu’une étoile pieuse,
Elles glissent sans bruit, et vont s’agenouiller.
Les mains plus d’une fois font le tour des rosaires ;
Plus d’un front se prosterne, humble, vers le pavé,
Et les lèvres sans fin répétant les Ave
Prient pour tous les péchés, et toutes les misères ;
Pour les méchants, voués aux flammes de l’enfer,
Pour le peuple des champs qui laboure et qui peine,
Et pour les voyageurs égarés dans la plaine,
Et pour les matelots naufragés sur la mer.
À travers les vitraux, le jour mourant s’épanche,
Et baigne, par instants, de livides reflets
Les doigts maigres, crispés aux grains des chapelets,
Et sur les fronts jaunis verse sa pâleur blanche ;
Chacune dans son coin marmotte en se hâtant,
Car elles savent bien que déjà l’heure est proche
Où pour leur agonie on tintera la cloche,
Et que la mort dans l’ombre est là qui les attend ;
Mais quand elle viendra les surprendre en prière,
Et quand s’arrêteront leurs mentons de branler,
Leurs mains de débrouiller la laine, et de filer,
Leurs yeux de clignoter dans la blanche lumière :
Que le Seigneur accorde à leurs membres raidis
La paix de son sommeil sous la terre bénie.
Et qu’il donne à leur âme, en sa grâce infinie,
Place dans son beau ciel, au fond du Paradis.
Mais là haut l’Angelus sonne dans la tourelle ;
Les vieilles hors des bancs se glissent ; par trois fois
Elles font sur leur front le signe de la croix,
Et, le cœur résigné, sortent de la chapelle.
Henri PAUTHIER (1859-1924).
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