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Une bataille navale

Publié le 28 juillet 2012 par Arsobispo

Le long bord sous spi s’achevait. On approchait de la bouée de Locmariaquer au large de l’embouchure de la Vilaine. Laurent avait affalé le spi que Philippe enfournait dans le sac.

Une bataille navale
Dudule surveillait cette bouée qu’il fallait passer. La frôler même pour aussitôt virer afin de passer le 40 pieds qui menait la course, à quelques encâblures devant, mais bien au-delà sur bâbord pour inquiéter l’équipage d’Indigo.

Le voilier semblait être un first 40 des chantiers Beneteau, un beau voilier tout de blanc vêtu.

Une bataille navale
Dudule ne disait plus un mot, venant de clore un discours argumenté sur les défauts majeurs des Airbus. Il était en forme, malgré le cocard qui éclairait de façon contrastée son œil ensanglanté, souvenir d’une rixe avec un prétendu légionnaire trop amoureux d’une allumeuse. De son côté, près du winch babord, Laurent ne pensait à rien. Une façon de reposer son esprit que les éternelles critiques sur l’Airbus dont se régalait son collègue, avait passablement échauffé. Philippe, près de la proue, occupé à ranger le spi qui venait d’être affalé, se demandait si ce foutu génois était bien assez bordé. Patrick, de son côté, surveillait la grand voile, portant toute son attention à sa courbure, choquant dès qu’une brise se faisait sentir, tout en se demandant si l’expression favorite du capitaine « borde, bordel, borde » n’allait pas brusquement retentir à bord. Jean-Philippe, à ses côtés, tenait l’écoute de génois, prompt à la choquer dès le virement de bord entamé. Plus prosaïquement, Jérôme se souvenait de la « belette » qu’il avait levée lors de son dernier séjour à terre.

A une trentaine de mètres sur tribord, le 40 pieds venait de virer, cachant ainsi son nom « Le Ffiguier » apposé sur son tableau arrière. La bouée Locmariaquer n’était plus qu’à 3 mètres de la poupe d’Indigo.

Alors qu’il s’apprêtait à lancer l’ordre « paré à virer », Dudule fut surpris par la soudaine exclamation « Nom de Dieu, qu’est-ce qu’ils foutent ! ». Le 40 pieds, par le travers, fonçait sur nous, toutes voiles déployées. Il n’était plus qu’à une dizaine de mètres, chargeant sa proie comme un goéland sur un banc de sardines. Monstrueuse, son étrave n’avait d’yeux que pour le centre du bordé de travers. Malgré la poussée de vent arrière, Patrick, déjà, bordait de toutes ses forces la bôme de grand voile qui pointait directement sur le ponton avant du Figuier. Dudule venait d’apercevoir le reflux des vagues que projetait l’étrave de l’agresseur. Malgré le peu de course que laissait à babord la locmariaquer, il lofa légèrement afin de tenter de passer en grand largue. Jean-Philippe, face à la proue du 40 pieds, le voyait déjà culbuter notre coque et lui passer dessus. Et Patrick bordait, bordait… pendant que les autres équipiers restaient sans voix. Seul, Philippe, aveuglé par le génois, se demandait bien ce qui pouvait se passer.

A quelques centimètres de la coque d’Indigo, Le figuier, parti au lof, remonta au vent frôlant sa victime désignée. Mais la bôme que Patrick tentait désespérément de border, rebondit sur le hauban tribord du Figuier, puis sous l’impulsion du vent vint fracasser son pataras que notre frein de bôme accrocha et sectionna. Le Figuier était passé, projetant sur la coque d’Indigo, une gerbe d’écume soulevée par son étrave. Philippe, stupéfait venait de voir surgir cette immense coque blanche qui, après avoir frôlé son voilier, s’éloignait au vent. Sa stupéfaction s’amplifia lorsqu’il vit que le brutal intrus dans son champ de vision adoptait une silhouette incongrue ; le haut du mât vibra, impulsant un frisson à toute la voile, puis céda à hauteur des barres de flèches sous la tension de la balancine. Sous le poids des voiles, le mât céda à nouveau au deuxième tiers, avant de s’écrouler complètement. Toute la toile s’abattit sur le pont entraînant la totalité des espars qui s’effondrèrent sur la coque et les passagers. Le Figuier n’était plus qu’une épave livrée au gré des flots et des courants. Tel un linceul, les voiles recouvraient presque totalement sa coque. Qu’était devenu son équipage ?

Philippe s’était déjà précipité dans le carré. Saisissant sa radio, il contactait déjà le canal 16 du Cross[1]. Les autres membres de l’équipage avaient fait virer Indigo sur la Locmariaquer et contemplaient, incrédules, l’épave agitée de soubresauts. Mais notre attention était attirée par la surface des eaux. Y avait-il un ou plusieurs hommes à la mer ? Non, rien ni personne n’avait, semble-t-il, passé par-dessus bord. Quelques instants s’écoulèrent avant qu’une forme n’émerge du gigantesque amas de toiles. Puis d’autres apparurent. Indigo s’approcha. Un homme debout, fit un geste de la main, comme pour s’excuser. A bord, nous étions incrédules. N’y avait-il pas de blessés ? La bôme d’un bateau peut tuer. Un mât - qui plus est, plié ou cassé en trois – devait être un danger tout aussi dangereux ! Mais non, l’homme ne semblait pas affolé.

Quelques minutes passèrent puis, semblant sortir des flots,  apparut une imposante VCSM[2] de la gendarmerie maritime. Nous n’avions plus lieu de rester ici.

Une bataille navale

Philippe donna l’ordre d’affaler.

« Nous rentrerons au moteur ».

Dudule mit Indigo bout au vent. Le génois fut enroulé. La grand voile affalée.

Nous fîmes cap sur La Trinité. Chacun tentait de comprendre ce qui venait de se passer. Dudule s’en voulait. Mais que pouvait-il faire ? Eperonner la Locmariaquer ? Indigo aurait aisément  laissé plus qu’une coque sur cet amas de roche et de métal. Patrick regrettait de ne pas avoir réussi totalement sa tentative de redresser la grand voile au risque d’un empannage.

Les discussions reprirent, chacun donnant sa version des faits. Philippe écoutait, lui qui, dos à l’étrave, n’avait rien vu venir… La seule explication logique était que Le Figuier était parti au lof, devenant totalement incontrôlable. En somme, nous nous en tirions plutôt bien, nous qui n’étions en rien responsables de cet incident qui voyait un 36 pieds démâter un 40 !

La course du jour était terminée.

Lexique des mots de marine utilisés

Affaler : Descendre les voiles.

Bâbord : Désigne le coté gauche d'un navire dans le sens de la marche avant.

Border : Tirer sur une écoute pour ramener la voile plus près de l'axe du bateau.

Choquer : Action de relâcher une écoute, afin d'éloigner la voile de l'axe du bateau. (Contraire de border).

Espar : désigne tout ce qui tient les voiles.

Lofer : Pousser la barre pour rapprocher le voilier du lit du vent (contraire d'abattre).

Spi (Spinnaker) : Grande voile d'avant qui s'utilise au vent arrière. Forme une boule

Tribord : Partie du navire situé à droite en regardant vers l'avant.

Virer : Effectuer un virement de bord : Action de changer de route

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[1] CROSS : centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage en mer

[2] Vedettes Côtières de Surveillance Maritime


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