Valérie Jouve, Les Personnages, avec Umm Hassan, 2011
Vingt-cinq photographes diplômés de l'ENSP ont donc été choisis pour représenter les anciens de l'École : rien ne sert de dire qu'on aurait aimé untel plutôt que une telle, puisque le choix a été éminemment subjectif, et assumé comme tel. Faute de ligne directrice, place à la diversité : c'est ainsi que cohabitent, dans cette sélection, toutes sortes de sujets et de styles. Est-ce un portrait fidèle de la diversité de la scène photographique française ? Je ne sais. De deux d'entre eux, à la problématique très particulière, je parlerai demain. De certains, je ne dirai rien. De deux autres, dont je suis un grand fan, je me réjouirai simplement de les voir là, sans trop m'étendre ici tant je l'ai fait avant : Valérie Jouve montre de nouvelles photos de Jéricho, où elle vit désormais à temps partiel, à côté de photos marseillaises plus anciennes, qu'on ne sait pas toujours distinguer sans lire les légendes; il s'agit toujours de l'inscription de l'homme dans le paysage, dans la ville, d'une immersion, d'une expérimentation, et, au fil des ans, son propos se fortifie, ses images se renforcent, la Palestine donne une nouvelle dimension à son travail.
Dorothée Smith, vue d'exposition
Dorothée Smith, diplômée plus récente, expose des portraits diaphanes, des quêtes identitaires, un travail intime, intense et rigoureux qui, en peu de temps, l'a propulsée au premier plan. Du plus connu des diplômés avec Valérie Jouve, Bruno Serralongue, on voit un travail, certes toujours politique, mais plus lointain, un reportage sur la construction d'un pays, le Sud-Soudan : la distance nuit peut-être à l'empathie, mais la construction de la série est remarquable.
Grégoire Alexandre, vue d'exposition
J'ai été assez peu sensible au jeu sur la mode et l'artifice intellectualisé de Grégoire Alexandre, et pourtant ces deux photos de silhouettes de femmes nues cernées de traits en fil de fer qui les dédoublent et les auréolent créent une belle composition formelle sur le vide et le plein, l'opaque et le transparent, de loin les meilleures photos de son exposition.
Mehdi Meddaci présente sur cinq écrans un remontage de scènes du tournage de son film Tenir les Murs, où le regard, la voix, la narration sautent sans cesse d'un écran à l'autre, de la banlieue au bateau, à la mer, à Alger; points de vue, personnages, temps passent d'un écran à l'autre, au sein de ce mur de signes. À un moment, un vieil Algérien
Mehdi Meddacci, Murs
digne et sombre, au visage buriné, tout vêtu de noir comme un Ange de la Mort, marche sur cette passerelle peinte en bleu au dessus des rails, et tous s'effondrent gracieusement au sol à son passage. C'est comme si la fiction, elle aussi, s'effondrait, c'est une histoire de déplacement, de vacillement, de déconstruction d'une histoire d'attente et d'errances (et l'omniprésence de l'attente est sans doute ce qui le différencie de la première référence multi-écrans à laquelle on penserait, Melik Ohanian).
Olivier Cablat, Egypt 3000
Citons encore rapidement les essais sur le portrait d'Aurore Valade, les paysages islandais hors échelle de Pétur Thomsen, les sommeils, limbes et autres esprits flottants de Jean-Louis Tornato, le travail sériel sur le passage du temps et des saisons en Ardèche (et, accessoirement, la manière dont les éoliennes y défigurent la nature) de Bertrand Stofleth & Geoffroy Mathieu, les lieux de mémoire revus par Monique Deregibus & Arno Gissinger, et surtout le travail de l'entomologiste-archéologue-collectionneur-humoriste Olivier Cablat, qui, l'an dernier, montrait une superbe typologie de têtes de footballeurs et qui, cette année, nous régale d'archéologie égyptienne. Plus deux autres, décalés, demain.
Allez, un regret, un rajout plutôt : il faut aller dans les salles du Musée Réattu, hors du Festival donc, pour voir la superbe vidéo de Sterenn Donnio, diplômée l'an dernier, "Anastylose, ville éphémère" (2011), une ville de glace qui fond et se reconstruit, encore et encore, travail sur la ruine et le palimpseste, d'une beauté et d'une sobriété remarquables (anastylose ?)
Marie Brosillon Schneider, Le naufrage, vue d'écran
Et les élèves actuels ? Les 23 diplômés de l'année sont là, et ici aussi, la diversité est extrême, c'est normal pour une exposition de promotion. Quelques-uns de mes découvertes et coups de coeur :
- Mouna Saboni s'est intéressée au fait que la mer est visible depuis les collines de Palestine, mais inatteignable : absurdité et révolte;
- Marion Normand a (inconsciemment ?) revisité Walid Raad (Dr Fakhouri's Notebook 72) : la résilience irrationnelle des parieurs de l'hippodrome de Beyrouth, une autre manière de se rétracter face à la catastrophe;
- Marie Brosillon-Schneider poursuit un travail très pur, très extrême et dépouillé (Le Naufrage, en 396 photos d'un avion traversant un ciel bleu et une vidéo);
Lore Stessel, Winksele, Belgique, 2011, 140x180
- j'avais déjà remarqué les portraits de Laure Ledoux à Montrouge, ici ce sont des kick-boxers après l'effort;
- Marie Sommer photographie les bâtiments fantômes de l'île de Rügen sur la Baltique, de sinistre mémoire (mais Gabor Ösz est déjà passé par là...)
- et ma préférée est Hannelore Stessel et ses grands portraits sombres, évanescents, images au bord de la disparition, photographies tirées sur des toiles, questionnement de la représentation (mais, de cela, nous reparlerons demain).
Photos Jouve et Meddaci courtoisie des Rencontres; photo Stessel provenant de son site; autres photos de l'auteur. Valérie Jouve étant représentée par l'ADAGP, la reproduction de son oeuvre sera ôtée du blog à la fin des Rencontres.