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L'ennemi de la finance

Publié le 28 juillet 2012 par Omelette Seizeoeufs

Au Bourget, François Hollande disait ceci :

Mais avant d'évoquer mon projet, je vais vous confier une chose. Dans cette bataille qui s'engage, je vais vous dire qui est mon adversaire, mon véritable adversaire. Il n'a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne présentera jamais sa candidature, il ne sera donc pas élu, et pourtant il gouverne. Cet adversaire, c'est le monde de la finance. Sous nos yeux, en vingt ans, la finance a pris le contrôle de l'économie, de la société et même de nos vies.

[...]

Si la finance est l'adversaire, alors il faut l'affronter avec nos moyens et d'abord chez nous, sans faiblesse mais sans irréalisme, en pensant que ce sera un long combat, une dure épreuve mais que nous devrons montrer nos armes.

Ce billet n'a pas pour but de dire le trop facile "il a dit ça pour se faire élire, et maintenant il n'ose plus rien face à la finance".

Ce n'est pas comme si c'était facile, de terrasser "la finance". Les constats sur les dangers, les dégâts et les dérapages d'un système qui paraît bien hors de contrôle. (Lisez ce billet de Dagrouik, par exemple.) Non seulement le problème

  • est complexe ;
  • est international et
  • concerne les entités parmi les plus puissantes de planète,

mais la dette, tout ce réseau des dettes entrecroisées et circulaires, est partout, du voisin qui paie 450 € par mois pour pouvoir rouler en Audi TT, jusqu'aux États qui dépendent d'un influx constant de nouveaux crédits. Nous avons beau être contre la finance, contre la dette, contre les banques et les banksters, contre Merkel, contre Greenspan, contre Citigroup, contre Goldman Sachs, contre Moody's, il reste le fait incontournable que le moindre ralentissement, même de quelques semaines, de notre perfusion aurait des conséquences catastrophiques. Et pas seulement la France : l'ensemble des pays dit "développés" sont dans à peu près la même situation.

Personne n'aurait jamais planifier cette situation, personne n'aurait souhaité en arriver là, y compris les banques elles-mêmes, mais un ensemble de décisions, prises une par une depuis des décennies sont responsables. À chaque pas de cette longue marche vers le précipice, les décideurs (banques, parléments, chefs d'états) ont sûrement cru tirer vers eux ; certains ont saisi des occasions pour accéder à des nouvelles formes de rapacité.

Et aujourd'hui, les cris d'alarme, les constats semblent inutiles. Oui, des erreurs commises il y a quarante, trente, vingt ans ont conduit à d'autres erreurs plus récentes. Dans la tragédie, ce qu'il y a de vraiment tragique, c'est que tout le monde sait que tout va s'empirer, que la spirale est lancée, mais personne n'est capable d'agir pour échapper à l'inévitable.

Car concrètement, je ne vois pas d'où pourrait venir même le début d'une solution. Le programme de Roosevelt 2012 est sans doute ce qui s'en rapproche le plus, mais, comme j'ai essayé d'expliquer dans un autre billet, il est lui-même trop optimiste, et de toute façon dépendrait d'un consensus international qui reste très loin des attitudes actuelles. Bien sûr, le jeu en vaut la chandelle ; il ne faudrait pas abandonner l'initiative pour autant, puisque la tentative elle-même peut avoir une influence, à terme, sur ces mêmes attitudes.

En ramènant la question au niveau de la France, et de l'action future de François Hollande, il est tentant de moquer l'outrecuidance du candidat en comparaison de la sagesse fiscale et européenne imposée par La Crise. La droite, et surtout les libéraux, vont pointer la dette publique ; l'extrême gauche va refuser les contraintes imposées par les financiers : les deux "solutions" ne sont que rhétoriques. La dette est là, qu'on le veuille ou non, comme dans la plupart des pays. Une France (libérale) sans dette est autant une illusion qu'une France qui dit "merde" aux banques et décide de réinventer la vie, ou de trouver du pétrole sous le Bois de Boulogne. (N'est pas Chavez qui veut, y compris un Chavez sans pétrole.)

Les financiers nous ont par la gorge, et il n'y a même pas de Bono pour leur dire de nous lâcher. Quelle place, donc, pour notre adversaire de la finance ? Et quel est le premier pas vers la rédemption économique planétaire ?

Le respect des règles du jeu en Europe, le renoncement aux eurobonds, la modestie du budget relance : c'est du conformisme, mais du conformisme inévitable. Sans trouver la formule magique qui efface les ardoises, ce n'est pas sur ce plan qu'il y a de la marge de manoeuvre. Ce n'est pas en tant que client des banques que les États ont du pouvoir, c'est en tant qu' États : ce sont les seuls à pouvoir fixer règles, lancer des enquêtes sur les fraudes, introduire une dose de raison et de responsabilité dans la finance, réduire l'influence politique des banques. La dette ne sera pas effacée pour autant, mais nous serions peut-être un peu moins la proie de ce système déchaîné.

Et donc, pour revenir enfin à François Hollande, s'il veut encore être l'adversaire de la finance, il faut réussir à séparer les rôles, celui, inévitable, du client des banques, d'un côté, et de l'autre celui du chef d'État qui fixe des règles, les fait respecter, et surtout convainc les autres États de procéder de la sorte.

Vu le climat actuel, cela ne devrait pas être si difficile. Même les anglais, sous Cameron, vont séparer banque de dépôt et banque d'affaires. Parfois une petite entincelle suffit à mettre le changement en route.

Pour être fidèle aux espoirs suscités par sa campagne, c'est ce chemin, à mon avis, que François Hollande doit mener un combat féroce.


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