L’accident d’un Cougar bouleverse Eurocopter.
Six pilotes, ingénieurs navigants d’essais et techniciens d’Eurocopter, mercredi, ont dit au revoir aux leurs, décontractés, en route pour une journée de travail banale dépourvue de difficultés particulières. Et en ayant à l’esprit la perspective, les uns et les autres, d’un départ prochain en vacances, l’établissement de Marignane de la société se préparant à fermer ses portes dans quelques jours pour respecter la traditionnelle trêve estivale. Mais ils ne sont pas rentrés chez eux : à 13 h 45, leur Cougar s’est écrasé à La Palud-sur-Verdon, sans laisser la moindre chance de survie aux occupants.
Un terrible coup dur. La «famille» Eurocopter en est profondément meurtrie, nous a dit un porte-parole de l’entreprise. D’autant que de département des essais en vol a traversé les époques sans connaître un seul de ces drames qui, de temps à autre, frappent de plein fouet les constructeurs. D’ailleurs, à Marignane, personne n’est en mesure de se remettre en mémoire l’accident précédent qui remonte probablement à plus de 30 ans. La surprise, le choc, n’en sont que plus violents.
L’appareil, un AS 532 AL Cougar, qui venait de sortir d’usine, avait déjà subi tous les contrôles qui précèdent la livraison au client, dans ce cas-ci les Forces armées d’Albanie. Il effectuait un vol devant permettre d’ultimes vérifications, un vol de routine, encore que ce terme convienne mal au travail de navigants d’essais. Ils sont constamment sur le qui-vive, attentifs, pointilleux, en un mot «professionnels» et ne risquant en aucun cas d’être surpris par un problème insoupçonné. Dans l’immédiat, il serait tout à la fois inutile et malvenu de spéculer sur les causes du drame, une responsabilité qui reviendra aux seuls enquêteurs.
En revanche, l’accident du Cougar, durement ressenti par la communauté des essais en vol tout entière, rappelle à chacun, si besoin est, qu’elle est constituée de spécialistes, pilotes et ingénieurs, qui sont à tout instant à la merci d’une défaillance. Quelles que soient les précautions prises, l’analyse d’éventuels «précurseurs», aussi infimes soient-ils, la connaissance sans cesse plus profonde de chaque type de machine à tester, tout au long de sa vie, depuis les premiers vols des prototypes jusqu’à la réception d’exemplaires de série, des risques subsistent, certains chainons pouvant être plus faibles que les autres. La perte de vigilance, dans l’acception la plus large du terme, peut se manifester à tout moment.
Les grands pilotes et ingénieurs navigants qui ont traversé l’histoire de l’industrie aéronautique, en France et ailleurs, nous ont apporté de précieux témoignages, au fil des temps, tandis que la technique, d’une part, les moyens d’essais et de suivi, d’autre part, faisaient des pas de géant. S’il était encore de ce monde, Jean Boulet, qui dirigea longtemps les essais en vol à Marignane, le dirait bien mieux que nous.
Quand la routine du bon fonctionnement n’est pas encore installée, et en admettant qu’elle devienne réalité, les hommes sont en première ligne. Ce que nous avons tendance à oublier, avec de solides circonstances atténuantes. Dans ses mémoires inachevés, écrits en collaboration avec Marcel Jullian (Editions Amiot-Dumont, 1955), le grand Constantin Rozanoff a écrit : «il faut aimer ce métier comme une femme et s’en méfier comme d’un ennemi». Six hommes d’Eurocopter ont donné leur vie pour nous le rappeler.
Pierre Sparaco - AeroMorning