Voyage en juillet 1973

Je remonte le fil de mes souvenirs. Je m'oblige à fermer les yeux et à les rouvrir sur des paysages de sépia vêtus. Je me revois, je suis un enfant, j'essaye de ressentir ce moi qui est moi sans être moi. Je marche à côté de ma grand-mère sur une route de campagne, terreuse et agreste. Nous allons prendre l'autocarro pour ensuite prendre le bâteau pour aller à Lisbonne, pour ensuite marcher jusqu'au métro, pour ensuite aller à l'hôpital. Sur les trottoirs blancs devant le portique d'entrée de l'hôpital, je trouverai les stands qui vendent les bd, les super-héros Marvel, les Mundo de Aventuras et les Tio Patinhas. J'aurai droit aussi à un moment à un pastel de nata. Je vois la lumière de cette matinée lisboète. Je vois beaucoup de monde, beaucoup de grandes personnes, je suis petit, j'attends mes bulles. Ma grand-mère m'achète un livre, je lui en demande un deuxième, parfois je finis par en avoir trois. Quel plaisir, quel ravissement! Je ne sais pas ce qui me plaît le plus, le voyage aller, quand je rêve à ce que j'aurai peut-être, ou le voyage retour, quand je dévore les histoires?
Ce temps est-il évanoui? Est-il enregistré quelque part? N'y a-t-il d'autre moyen de le retrouver que par la pensée?
Je revois la route caillouteuse et le ciel immense qui n'appartient qu'à elle. Les deux sont indissociables. Je vois le soleil, le bleu profond, les champs asséchés par ce mois de juillet chaud comme un mois de juillet...