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La guerre robotisée

Publié le 26 juillet 2012 par Egea

L'autre jour, je passe en colle un jeune capitaine terrien. Juste pour le désarçonner, je lui pose comme sujet (et bien évidemment, vous me connaissez, pas dans les conditions de l'examen : pas deux sujets, mais un seul, na!) : "Les drones maritimes". Le pauvre ! Et je le vois tirer des bords sur les drones aériens utilisés par la marine, tout ça tout ça. Il s'en est bien sorti, même s'il était absolument hors sujet.

Accessoirement, déplacer quelqu'un "hors de son milieu" (ici, terrestre) est le plus sûr moyen de le déstabiliser, et donc de voir ce qu'il vaut en situation d'incertitude. Ce qui est intéressant n'est pas ce qu'il dit (puisque de toute façon, il n'est pas sensé connaître le sujet, et doit seulement faire la preuve de sa capacité à raisonner) mais la façon dont il le dit. La forme, encore un fois, révèle le fond.

La guerre robotisée
source.

Bon, c'est pas pour vous parler du concours que je vous raconte cette anecdote, juste pour dire que les drones sont en fait, si on y pense bien, des robots du milieu aérien. Et que j'ai reçu aujourd'hui un bouquin dont je veux vous parler, puisqu'il s'agit de drones terrestres - pardon, de robots!

La guerre robotisée, de DANET Didier, HANON Jean-Paul et BOISBOISSEL (de) Gérard, Éditions économica (il vient tellement de sortir qu'on ne trouve aucune image sur Internet !). 336 pages, 24 euros.

1/ Quand le CREC avait organisé son colloque, l'an dernier, j'y avais jeté un coup d’œil distrait. Et puis j'avais lu la lumineuse série de trois articles sur les robots, publiée par M. Yakovleff dans la RDN cet hiver. Aussi, quand j'ai aperçu le bouquin samedi dernier au FILM (GdB venait juste de l'avoir, en sortie de carton, une heure plus tôt) et qu'on (merci JP) me l'a donné mardi, j'ai eu le temps de creuser un tout petit peu le sujet : de ce point de vue, ce livre est passionnant.

2/ Un livre collectif mais sur un sujet tout neuf, avec donc des experts qui échangent et bâtissent un ouvrage cohérent. C'est ce qu'on appelle un ouvrage "séminal" qui ouvre une discipline et un champ d'étude : il fera référence.

3/ Il est organisé en quatre parties : la première s'intéresse à l'action des robots dans la manœuvre globale et la gestion du champ de bataille ; la seconde s'intéresse aux aspects technologiques, industriels et économiques; la troisième s'attarde aux questionnements socio-politiques ; la dernière enfin ouvre sur des réflexions prospectives, avec le texte de Yakovleff déjà cité.

4/ plusieurs auteurs américains, un auteur tchèque, la triple dimension scientifique/technologique, sciences humaines et stratégique : tout y est.

5/ Oui, mais encore, pourquoi est-ce intéressant ? Tout simplement parce qu'il s'agit là d'une couche supplémentaire d'artificialisation ; que la guerre révèle des bouleversements sociaux; et que cette évolution va de pair avec plusieurs mouvements :

  • pas de robotisation sans cyber : c'est d'abord la raison première qui me fait m'intéresser à ce sujet, en marge de la cyberstratégie
  • le coût de la vie et du facteur "travail" (donc les hommes) impose donc de compenser cette faiblesse par notre ligne de force, qui est celle de la technologie. On peut "perdre" des robots, à la différence des hommes. Dimension économique (voir le prochain bouquin à paraître sur "guerre et économie"), mais aussi stratégique (stratégie des moyens).
  • autrement dit, cela pose des problèmes éthiques (pour la plupart déjà soulevés par les drones) : celui de l'actionneur du robot, celui de la complémentarité avec les combattants (car il faudra toujours des hommes sur le terrain), celui enfin de rendre la guerre plus possible puisque plus distante et moins moralement insupportable. En cela, on retrouve là des logiques observables dans le cyber, mais avec des cheminements différents : l'artificialisation rend la guerre à nouveau possible.

Bref, la question des robots n'est pas simplement celle de gadgets d'enfants technophiles mal grandis qui veulent continuer à jouer avec leurs maquettes; ce n'est pas non plus la poursuite des rêves de lectures adolescentes asimoviennes teintées de Georges Lucas; c'est aussi et surtout quelque chose de plus important : et c'est pourquoi ce livre est nécessaire : à avoir dans une bibliothèque.

Enfin, la robotisation annonce l'étape suivante, celle de la machinisation du soldat, autrement dit l'implantation des machines dans son corps, pour que l'interface homme machine ne se fasse plus à l’extérieur du corps, mais à l'intérieur. La droïdisation du soldat. Le mélange homme bionique et cyborg. Bon, on n'y est pas, mais il faut commencer à y penser.

O. Kempf


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