J'attends. Des fois un coup de fil, juste un message, un nom qui se répèterai plusieurs fois sur l'écran de l'iPhone, ou des noms à la chaîne. Vous pensez à moi ou vous lisez, alors j'existe. Seul, j'ai l'impression que je ne suis qu'une paire d'yeux, dont l'un fout le camp même s'il n'y a que moi qui le voit. Vous m'écoutez? Alors j'existe. Si on m'aime j'ai peur et je fais tout pour fuir ou pour dégoûter. Suis pas mauvais à ce jeux-là. J'attends. Quelqu'un, quelque chose, quelque part, toujours un déclic, une raison de ne pas se coucher, une autre de se lever.
J'ai cru un temps que le plaisir que je prenais dans la vente venait d'une certaine manipulation inhérente et au métier, et à ma personnalité. Avoir le contrôle, toujours se protéger, se barricader, ne jamais avoir mal. Il y avait aussi cette adrénaline de la vente réussie, garder son calme, strictement ne rien dévoiler.
Ça doit être un lot. Mes clients me prennent pour de la merde, un sous-fifre? J'existe. Je ne suis plus simplement qu'une paire de lunettes et une paire de mains, j'ai aussi un corps, je suis presque un être. Amas de sensations au creux de la gorge, j'ai peine à apprécier le son de ma voix.
Et puis j'attends encore. A ce moment précis? La paie. Je n'ai plus qu'une pièce de 50 centimes, quelques clopes et du tabac à chiquer. Pauvre petit chéri qui n'a même plus d'herbe et se demande déjà comment il va dormir. J'ai toujours détesté les photos. Je ne m'y reconnais pas. Des volutes de fumée sont plus représentatives.
J'attends le prochain orgasme, le prochain déclic électrique, un éclair de plaisir ou de sérénité, ce moment où je peux me dire "Tout est parfaitement à sa place.". J'attends la fin en faisant ce que j'ai à faire, à la fois tout, et n'importe quoi. Tellement facile. Ma faculté de concentration ne dépasse pas la demie heure. Toujours être en mouvement, toujours avoir autre chose en tête. Je peux rester immobile et penser à la chaîne. J'attends. De toutes façons, je te dis qu'on ne peut pas naître, tuer son frère et vivre heureux. C'est peut-être ça mon bonheur: j'en ai conscience, j'assume.
Je suis robotisé et j'attends le pardon.