Après le dossier spécial Naoki Urasawa @ Japan Expo 13, sortons des compte-rendus pour retourner à un autre fil rouge tout aussi intéressant : les interviews éditeurs. Après les rencontres avec IMHO et Doki-Doki, voici l’interview de Grégoire Hellot, directeur éditorial des éditions Kurokawa !
Cette première entrevue fut l’occasion de faire les présentations avec la filiale manga d’Univers Poche… De réaliser un premier tour d’horizon. Nous avons donc abordé la construction du catalogue et la gestion des titres grand public de cet éditeur (Fullmetal Alchemist, Pokemon, Blood Lad,…) puis essayé de savoir comment il est parvenu à conserver sa place de challenger depuis 7 ans – derrière les mastodontes Glénat / Pika / Kana – avec un faible nombre de sortie. Enfin Kurokawa étant de la même génération que Ki-oon ou Kazé Manga, nous avons également dressé quelques parallèles entre ces 3 concurrents au coude à coude dans les classements de ventes. Un petit questionnaire manga, pour finir, vous permettra d’en savoir un peu plus sur notre invité du jour !
Allez, trêve de bavardages, rentrons dans le cœur du sujet… Bonne lecture
Kurokawa : lancement et gestion du catalogue
Il y a un peu moins de 10 ans Univers Poche vient te voir pour lancer Kurokawa… Ils avaient déjà tout en tête ou t’ont laissé carte blanche ?
C’est une question assez difficile car la réponse en serait très longue et sinueuse. Disons qu’ils savaient dans quelle direction ils souhaitaient aller, mais qu’il leur manquait les référents de ce qui fait le « sel » du manga.
Au départ la ligne éditoriale est grand public. Comment s’est déroulé la fabrication du catalogue ?
Très simplement, via la consultations de magazines de publication, et en sélectionnant les titres qui avaient l’air intéressants. Ensuite j’ai organisé deux pizza party géantes chez moi avec une 40aine de potes, et je leur ai fait lire des chapitres de mangas que j’avais repérés et traduits moi-même, et j’ai noté tous leurs commentaires.
Après j’ai débriefé tout ça et je l’ai mis en parallèle des chiffres de ventes des mangas en France de l’époque, et je me suis fait une synthèse simple de ce qui me plaisait, ce qui leur plaisait, et ce qui se vendait.
Après les débuts passons à ton travail d’éditeur … Tu es directeur de collection et Deborah Druba est directrice éditoriale. Qui fait quoi concrètement ?
Je m’occupe de la partie éditoriale, à savoir la sélection des livres ainsi que le suivi de la qualité des traductions, alors qu’elle va de son coté gérer le coté économique de la chose.
Concernant le choix des titres il n’existe plus vraiment de blockbuster en réserve et il faut découvrir les nouveautés au fur et à mesure… Est-ce que tu t’imposes un nombre minimum de chapitre ou de tomes avant de sélectionner un titre pour en acquérir la licence ?
C’est plus de l’instinct que des maths… Certains titres sentent l’échec à plein nez, d’autre le titre qui va durer sur la longueur.
Une fois que l’on connaît les mécanismes de construction d’un manga, on sait très vite si le responsable éditorial a une (bonne) idée derrière la tête ou non. Et puis j’ai quelques indics dans les différentes rédactions à qui je peux me confier pour savoir si une série est vouée à rapidement disparaître, à changer d’orientation en cours de publication, etc…
En sélectionnant un titre sur ses premiers chapitres ou tomes, est-ce que l’on a souvent des surprises (bonnes ou mauvaises) ou est-ce que, finalement, les mangas restent des œuvres globalement prévisibles ?Ils restent prévisibles, mais surtout grâce au fait que les éditeurs japonais prennent un peu moins de risques qu’avant; du moins dans les secteurs éditoriaux qui sont susceptibles d’intéresser les lecteurs français.
Pour sélectionner ces titres tu lis des magazines de prépublication… Un ou deux favoris ?
En ce moment, je trouve que le Shonen Sunday (ci-contre) est le plus dynamique, car il propose énormément de nouvelles séries chaque année. J’aime bien lire le Young Magazine, même si les mangas de voyous japonais ne fonctionnent pas en France, ce magazine a un cachet « prolo » qui me fait rêver.
Parmi les éditeurs nippons, quels sont ceux que vous affectionnez particulièrement chez Kurokawa ?
J’aime tout le monde! Chacun à ses qualités, c’est comme si on devait choisir entre ses 8 sœurs; impossible !
On entend souvent que le travail au quotidien avec les éditeurs japonais n’est pas une mince affaire… Aurais-tu une anecdote à ce sujet ?
Pas particulièrement. Le business avec les éditeurs japonais est difficile lorsque l’on ne sait pas vraiment comment travailler. Mais une fois que les codes de la relation sont connus et assimilés, c’est assez simple, un peu comme un jeu d’aventure dont on aurait la soluce, même si on est pas certain d’avoir la bonne fin.
Les titres Kurokawa : passé, présent et futur
Venons-en à vos titres… Tout le monde vous connait grâce à Fullmetal Alchemist, mais si on devait présenter votre catalogue, quels sont les autres titres emblématiques de Kurokawa ?
Nos titres les plus représentatifs, je dirais qu’il s’agit d’Ippo, Jésus & Bouddha, Pokémon et Yotsuba, qui montrent notre ouverture à toutes les générations.
Vous dédiez une partie de votre catalogue aux plus jeunes : Inazuma Eleven, Pokemon… Depuis le temps, quel bilan sur ce secteur ? À combien d’exemplaires se vendent ces titres ?
Pour les chiffres, je vous renvoie aux tableaux très complets de l’institut GFK, mais d’une manière générale on peut dire que ces deux séries sont des succès.
Pokémon Noir & Blanc a très bien démarré (sur 2011 : tome 1 vendu à 17058 exemplaires en 4 mois, 58ème meilleure vente de l’année selon GFK, le second totalise 11 464 exemplaire vendus en un peu moins de 3 mois, NDLR) et Pokémon Le film -Zoroark le maître des illusions- est le one-shot le plus vendu en 2011 en France (sur 2011 : 14 198 exemplaires vendus en 7 mois et 82ème meilleure vente de l’année selon GFK, NDLR).
Inazuma Eleven (sur 2011 : tome 1 vendu à 9149 exemplaires en 8 mois, 136ème meilleure vente de l’année selon GFK, NDLR), qui est en train de devenir un phénomène de cour de récré, gagne en puissance depuis le début de l’année, et devrait continuer à exploser jusqu’à l’apothéose du nouveau jeu sur Wii prévu pour la fin de l’année en France.
Je pense que l’expérience accumulée sur Megaman, Chocolat & Vanilla et Pichi Pichi Pitch nous ont rendus très efficaces sur le secteur du manga jeunesse aujourd’hui.
De l’autre coté du catalogue on a également les seinens, Vinland Saga et Les vacances de Jésus & Bouddha par exemple. C’est une catégorie qui a fait plus parler d’elle que le shôjo l’an passé. Est-ce que le manga pour fille est en perte de vitesse ?
Je pense surtout que le manga pour fille est complètement surchargé depuis que les shōnens se font plus rares, et avec le succès de Nana, les éditeurs se sont tous engouffrés dans le shōjo avec beaucoup de violence, ce qui fait que le marché est, plus qu’en perte de vitesse, un peu saturé.
Concernant une de vos nouveautés qui – je l’avoue – m’a tapé dans l’œil : Blood Lad. Ton point de vue d’éditeur sur la série ?
Drôle, pertinent et bien gratté, il aurait été dommage de ne pas le sortir non ? Et puis un dessinateur qui a le même style que l’illustrateur de Gorillaz, ça m’a forcément intrigué. Mais le truc qui m’a vraiment conquis, c’est quand même un vampire qui joue aux jeux de baston.
Choix éditoriaux
Concernant le marché du manga… Kurokawa a aujourd’hui 7 ans d’existence et vous vous situez en 4ème place en termes de parts de marché. Satisfait ou vous vous dites que le plus gros reste à faire ?
Nous sommes surtout satisfaits de voir que nous sommes 4e du marché alors que nous sortons entre 2 et 3 fois moins de livres que les autres.
Aux cotés de Kurokawa on remarque deux éditeurs qui se sont lancés à la même époque : Ki-oon et Kazé Manga / Asuka. Vous êtes tous les trois de la même génération et vous gravissez les échelons doucement mais surement, vous avez tous les trois une implantation forte sur le web, votre boite commence même par la même lettre… Allez avoue c’est un complot mis en place au début des années 2000 pour conquérir le monde !
J’espère bien que le KKK ne sera jamais à la tête du monde!
Néanmoins on peut voir que vous déployez trois façons de travailler très différentes… Notamment sur le nombre de sorties. Kurokawa est celui des trois qui sort le moins de titres. Pourquoi ?
Parce que l’on préfère sortir peu de titres mais le faire bien. Tout simplement. Saturer un marché déjà surchargé est déraisonnable. En ayant un nombre de titre limités, nous affinons notre sélection, ce qui nous permet de beaucoup mieux travailler nos titres; et puis cela montre aussi au libraire que nous maitrisons notre production. Cela facilite du coup son travail, nos catalogues étant moins imposants, il lui est plus facile de retenir nos titres.
Sur le plan du marketing et de la communication : Ki-oon fait de la communication au début de tous ses titres, pendant que Kazé Manga fait une très grosse communication sur quelques titres et une promotion sur la longueur pour quelques autres… Quels choix pour Kurokawa et pourquoi ?
Notre volonté est d’élargir le public du manga, de l’ouvrir au grand public. Les choix marketings que nous faisons découleront donc logiquement de cette volonté d’ouverture. Du web ou de l’affichage, de l’annonce, chaque titre a son dispositif. Jésus & Bouddha dans Télérama, Inazuma et Pokémon dans les magazines jeunesse… Rien que de très logique finalement.
Autre lien avec Ki-oon : la maison d’édition Square Enix… Si c’est vous qui décrochez les licences les plus vendeuses comme Fullmetal ou Soul Eater, c’est parce que derrière Kurokawa il y a Univers Poche ?
C’est parce qu’il y a une grande confiance et une grande amitié entre Kurokawa et Square-Enix, avant tout. Plus que ce qui est derrière, c’est ce qui est entre nous qui compte.
Le questionnaire Manga de Grégoire Hellot
Pour finir, voici un petit questionnaire pour mieux connaître Grégoire Hellot…
À quel titre dois-tu ton premier souvenir de mangas ?
Je devais être en 4e ou en 5e, un de mes potes avait son père qui lui avait ramené un gros JUMP d’un de ses voyages d’affaire. On découvrait que nos dessins animés à la tv étaient aussi sous forme de papier, et bien mieux dessinés que les horribles fausses BD réalisées par captures d’écran du Club Do Magazine. Dedans il y avait Namek, Hadès, des trucs qu’on avait jamais vu à la télé, on était fous !
Quel manga donnerais-tu à lire à ton pire ennemi ?
Bastard!! ou bien Hunter X Hunter, qu’il galère bien à attendre entre deux tomes.
Quel manga faudrait-il lire pour mieux comprendre Grégoire Hellot ?
Kochi Kame, connu aussi sous le titre de Kochira Katsushikaku Kameari Koenmae Hashutsujo
Quel est le blockbuster sur lequel tu n’as jamais accroché ?
Tout Urasawa je pense…
À l’inverse quel est le flop que tu trouves vraiment injuste ?
Yotsuba et Jojo, bien sur !
Quel est le manga publié chez un autre éditeur que tu aurais aimé avoir dans ton catalogue ?
Jojo!
Quel manga attends-tu avec la plus grande impatience ?
Le dernier tome de One Piece, Bleach et Naruto, qu’on puisse passer à autre chose.
Remerciements à Grégoire Hellot (Twitter) et aux éditions Kurokawa (Twitter / Facebook) pour la mise en place de cette interview…
Pour en savoir plus sur les acteurs du marché du manga et leur mode de fonctionnement, retrouvez les autres interviews éditeurs manga :
Doki-Doki (mai 2012)
Glénat (mars 2009)
IMHO (avril 2012)
Kazé Manga (avril 2011 – janvier 2012)
Ki-oon (avril 2010 - avril 2011 – janvier 2012)
Kurokawa (juin 2012)
Tonkam (avril 2011)