NILS-UDO, Maison d'eau, photo en noir et blanc, ilfochrome sur aluminium, 125 x 132 cm, 1982
Dans une exposition ou un livre sur Nils Udo, on s'attend à voir des photographies où, dans une nature édénique, sont disposés des éléments colorés étranges, parfois inquiétants, toujours poétiques : pas vraiment du Land Art, des installations plus éphémères, mais aussi plastiquement et chromatiquement plus violentes. L'intérêt de l'exposition au centre d'art Campredon, à l'Isle sur la Sorgue (jusqu'au 7 octobre) est de montrer d'autres facettes de son oeuvre. Cette exposition met beaucoup l'accent sur les rapports entre photographie et peinture dans son travail, sur les allers-retours de l'artiste entre les deux médiums, sur son désir de s'affranchir de l'illusion
NILS-UDO, 1090.06 - Huile sur toile - 170 x 164 cm - 2006
photographique dans une démarche plus proche de l'abstraction, mais, au vu de ses tableaux, je n'ai pas toujours été convaincu. Voir par exemple en enfilade le tableau ci-contre, déconstruit et tourbillonnant, puis, par l'embrasure, dans la salle voisine, une photographie extrêmement dépouillée d'une dune de sable rouge sous un ciel bleu, avec un peu d'ombre à gauche, quelques ondulations du sable, la trace de pas minimaux et quelques roseaux simplement plantés là, avec leur ombre démesurée au soleil couchant (mais je n'en ai hélas pas de reproduction; celle-ci l'évoque un peu), convainc aussitôt : la sobriété de la photographie, tout en aplats de couleur, avec à peine quelques suggestions discrètes de l'intervention artistique, est cent fois plus efficace esthétiquement que ces motifs picturaux.
NILS-UDO, 1164, encre de Chine sur papier, 156 x 156 cm, 1989
Je crois que, contrairement à ce que je lis, Nils Udo est un dessinateur (il y a en particulier ici de très beaux dessins à l'encre de Chine de grandes dimensions, avec une structure graphique très proche de ses photos) plus qu'un peintre : la photographie semble être aussi pour lui une manière de dessiner DANS le paysage, d'y inscrire une marque. C'est en particulier frappant quand on regarde les photographies en noir et blanc de ses premières installations : ce ne sont que de simples traits qu'il a inscrits humblement dans un paysage, quelques roseaux, quelques branches d'arbre disposées ça et là, mais qui aussitôt introduisent dans le chaos naturel une régularité factice, un ordre visuel inattendu. Bien sûr, ses tours, ses nids sont davantage des sculptures végétales qui marquent l'endroit, qui,
Nils Udo, Maison d'eau, photo en noir et blanc, ilfochrome sur aluminium, 125 x 132 cm, 1982
même si elles sont biodégradables, ne disparaissent pas visuellement. Mais regardez cette maison d'eau à Cuxhaven en 1982, huit grandes photos en noir & blanc (trois reproduites ici, imperceptiblement différentes; sans doute suis-je biaisé, mais regardant ensuite sur internet les photographies en couleur de la même installation, je n'y ai pas trouvé la même force) : Nils Udo joue ici avec les rythmes de la nature, les marées, les saisons. Il inscrit une perspective forcée, une déviation du regard par la verticalité convergente des branches; au centre, un autel qui, sur la photo finale, est couvert par l'herbe qui y aura poussé. C'est fait avec trois fois rien : 'troncs d'épicéa, branches de bouleau, osier et herbe' et c'est une transformation radicale de la veduta, une révolution de la perspective, un viol des lois de l'optique naturelle, l'air de rien. C'est pour moi la pièce la plus forte de l'exposition.
Nils-Udo, nid d'eau, 1976, roseaux hiver été, Chiemgau Haute-Bavière
Écologiste avant l'heure, Nils Udo est très soucieux de la réversibilité, du rythme des saisons, de la permanence naturelle. Il présente ici plusieurs diptyques été/hiver comme ce nid d'eau en Bavière couvert de roseaux en été, simple cercle sombre dans la blancheur neigeuse en hiver. Un film montre la construction d'un nid géant à l'Université de Clemson en Caroline du Sud, avec les pauvres étudiant(e)s en beaux-arts contraints de se confronter à de durs travaux forestiers; le nid a dû être détruit après deux ans, mais apparemment la zone n'a toujours pas été replantée, discussions en cours avec l'artiste....
Nils Udo, ROSIMBODEN, 1975
Parfois aussi Nils Udo se rapproche du Land Art comme pour ce cours d'eau à Rosimboden dans les Alpes italiennes, qu'il barre avec des pierres en 1975, dispositif plus pérenne, moins éphémère, et qui pose la question de l'oeuvre : est-ce l'installation elle-même (et puis-je encore aller la voir dans le Haut-Adige ?) ou est-ce la photographie ? J'ai regretté que cette photographie, si dure, si funèbre et vitale à la fois, et aussi plus violente envers la nature, ne soit pas présentée ici.
NILS-UDO, Trois volcans 1, Ilfochrome sur aluminium, 92,3 x 176 cm, 2002
Nils Udo a répondu à cette question en privilégiant, me semble-t-il, la photographie plutôt que l'installation. De ce fait, il a souvent fait la part trop belle au spectaculaire. Ainsi cette photographie de trois volcans à Lanzarote : séduisante en diable, mais un peu trop facile, trop attendue. La surprise ne vient plus de la forme, mais du procédé : ah, ce sont des fleurs rouges, pas de la lave en fusion ? Trop fort ! Dans la même île (et la même salle), ses jeux colorés avec des monticules de sel sur la plage de sable noir sont, par exemple, bien plus sophistiqués, plus denses, moins directement séduisants (mais je n'en ai pas de reproduction : celle-ci est de la même veine).
Nils Udo, Maison d'eau, photo en noir et blanc, ilfochrome sur aluminium, 125 x 132 cm, 1982
Chez Nils Udo, l'homme est absent, ou alors il n'est qu'un élément du décor, bébé nu au fond d'un nid ou figurine rouge émergeant de la jungle; la mémoire des lieux ne l'intéresse guère, semble-t-il, seulement leur plasticité (c'est de ce fait un travail assez différent de celui, par exemple, d'Anni Rapinoja qui, elle, se réapproprie légendes et rites locaux). En somme, un travail séduisant, un peu trop, mais dont cette exposition éclaire bien la complexité.
Photos 1, 2, 3 & 7 courtoisie de Campredon Centre d'Art. Toutes photos (c) Nils Udo.
Dans la même jolie petite ville, les adeptes de sculptures cinétiques et lumineuses, voire sonores ou interactives, payant un dernier hommage à Denise René, visiteront avec intérêt la Villa Datris. Je suis passé assez vite...