Les stéréotypes et la genrisation dans notre société sont bien trop tenaces pour que le féminisme s’épuise de sitôt. L’égalité – revendiquée tout autant pour les hommes que pour les femmes – est un idéal vers lequel on ne peut que se réjouir de tendre. Tant qu’une femme n’aura pas les mêmes droits et devoirs concrets qu’un homme, le combat continuera. Nous en sommes bien évidemment suffisamment loin pour que chaque progression tangible nous apporte une micro-satisfaction.
Je me souviens de ma consternation devant Zemmour accusant Morano de vouloir s’introduire dans la «chambre à coucher» des foyers français face à la proposition d’une extension aux hommes de la possibilité de prendre un congé paternité à la naissance de leur enfant comparable à celui dont leurs compagnes ont déjà le « droit » de disposer. Si ces possibilités pour accéder à une forme d’égalité sont accueillies avec dédain par celui là même qui explique ravi ne jamais avoir donné un biberon de nuit ou changer la couche de l’un de ses enfants, on ne peut que constater que le quotidien accuse avec la même rigidité les réactions rétrogrades admises par concession.
Ainsi, j’ai manqué de m’étouffer quand dimanche lors d’un barbecue avec les collègues de mon amoureux, l’une de celle qui me semblait la plus engagée politiquement et citoyennement autour de la table en plastique du jardin, m’a expliquée sans complexe qu’après trois ans dans leur appartement, son époux lui avait demandée pour la première fois la semaine précédente où étaient rangées les poêles dans la cuisine. L’humour utilisé à la rescousse du principal intéressé pour déguiser son sexisme en fainéantise l’a fait renchérir : « hohoho et si la femme de ménage est absente, je vais me racheter des chemises parce que j’aime pas repasser ». Prôner comme une victoire, elle soulignait qu’elle ne se chargeait pas du repassage ce qui n’explique néanmoins pas comment cet ostrogot n’a jamais géolocaliser les instruments les plus basiques pour s’alimenter : d’une, il ne range visiblement jamais la vaisselle ; de deux, il ne touche tout simplement jamais aux outils permettant de le nourrir chaque jour prouvant vraisemblablement que madame a l’exclu en cuisine. L’argent comme substitut efficace et flatteur : des livraisons de sushis lui donnent le leurre de tout autant contribuer quand madame émet une fatigue passagère ou exprime le manque d’envie de se mettre aux fourneaux. Sans doute que payer une nounou lui donnera le même sentiment de se préoccuper de ses enfants pour alléger la tâche de celle qui partage sa vie : la réussite sociale peut ainsi être un palliatif satisfaisant pour ceux à qui elle épargne un investissement réel dans les tâches du foyer. Sans résistance de la part de celle qui s’y consacre habituellement, cela devient un compromis acceptable. Il n’y a pas là d’accusation de faillite mais plus une mise en évidence que l’égalité est difficile à tenir dans un couple aussi parce que la société n’y aide pas en entretenant les conditions de ces accommodements : madame gagne moins d’argent et sera ravie d’une livraison de sushis qu’elle ne peut pas s’autoriser le temps d’une pause en cuisine, elle subit davantage les temps partiels d’où sa présence plus tôt à la maison et sa plus grande disponibilité pour se charger du ménage au sens large.
Bref, j’avoue ma lâcheté, je ne me suis pas compromise et face à la montagne d’arguments qu’il allait me falloir fournir, j’ai abdiqué d’avance. Je me suis tout juste risquée à l’auto-promotion de mon mâle dont j’ai vanté les mérites et les compétences en terme de ménage, de cuisine, de bricolage (sur ce dernier point, j’avoue avoir un peu extrapolé)… Soulignant que s’il y avait bien évidemment des affinités à préférer certaines tâches plutôt que d’autres, l’important demeure notre égal savoir-faire en chacune de ces matières et notre partage équilibré du tout. Et j’ai repris du rosé.
La corruption par les sushis
Pragmatiquement, une livraison de sushis ne remplace pas de faire la cuisine et la vaisselle mais sans résistance, comment faire progresser les mœurs ? Pourquoi ont elles abdiqué devant la montagne, peut-être pour reprendre elles aussi du rosé ? Quand ont-elles accepté la disproportion de la répartition pour se contenter ponctuellement contre la prise en charge du « reste »? Les stéréotypes ont-ils tant la peau dure pour imposer cette servitude volontaire à travers l’image des ménagères véhiculées par la publicité ?
Celle qui gérait le barbecue me l’a clairement expliquée : “Je préfère encore m’en occuper plutôt que ce soit mal fait “. On ne peut effectivement pas être victime si l’on ne tente pas le partage et l’acceptation d’une autre manière de faire ; en d’autres termes, en faisant grève de la cuisine, financièrement ou par lassitude des sushis, je ne doute pas que l’homme de la maison saura trouver les poêles tout seul ; une première étape avant qu’il ne s’en serve autant que madame.
Le progrès est en marche, n’en déplaise aux réacs.
Après ce traumatisme devant le constat du progrès béant qu’il demeure à grappiller avant d’arriver à un idéal d’égalité homme/femme, je me suis intéressée aux initiatives qui visent à passer à la vitesse supérieure pour l’atteindre plus rapidement. Je me réjouis donc après ces brèves de comptoirs malheureusement très communes, d’embrayer sur un modèle encourageant comme celui de l’estampille « ville pour l’égalité » qui encadre au niveau de la ville cette marche globale vers le progrès. Il explicite 29 articles détaillés auxquels doivent répondre les municipalités désireuses d’adopter l’architecture égalitaire élaborée par le Conseil des communes et régions d’Europe (le fameux CCRE qui correspond à une association d’autorités locales regroupant des villes et des régions d’une trentaine de pays). Cette charte implique de façon très concrète les villes qui ne se cantonnent pas à la date du 8 mars pour revendiquer leur engagement pour l’égalité. À Rennes, macaronée par le CCRE, la question est largement portée par l’implication de Jocelyne Bougeard, l’adjointe au Maire, déléguée au droit deS femmes et aux temps de la ville, qui s’active depuis dix ans.
Non, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas écrit, il n’y a pas besoin d’être une femme pour être féministe, soulignons seulement que Jocelyne est particulièrement sensibilisée aux problématiques et qu’elle fait un travail formidable. La ville s’est concrètement féminisée depuis les agents de la voirie, aux noms que portent les rues et aux représentations non stéréotypées de la femme dans les campagnes d’affichage de la ville (cela devrait sembler élémentaire, oui, je suis d’accord avec vous). La municipalité compte également un bureau des temps où la question du genre importe moins que l’organisation et l’efficacité. Cette conscience ne date pas d’hier puisqu’Edmond Hervé dès 1977, quand il a été fraîchement élu à la municipalité, s’était insurgé contre le fait que pour que les fonctionnaires travaillent dans des locaux propres, les équipes de ménages – principalement constituées de femmes – devaient travailler de nuit ou très tôt le matin. Il a fallu attendre jusqu’en 2002 pour que soit créé ce bureau des temps mais les femmes en charge de l’entretien ont dès lors bénéficié d’aménagements pour que puissent se conjuguer leurs différents temps sociaux entre vie privée et professionnelle. Les femmes courent entre leur tâche domestique et leur emploi, le temps est donc bien un levier essentiel pour lutter contre les inégalités.
La ville adapte également les aménagements urbains à travers « les marches exploratoires » destinées à identifier les zones insécurisantes dans la ville ; une démarche pas bête du tout comparable à celle de Montréal qui a opté pour un éclairage généralisé dans tous les coins isolés pour que les femmes ne redoutent plus les mauvaises rencontres et ne craignent pas de se déplacer seule la nuit. La question de l’égalité ne se limite bien évidemment pas à quelques ampoules et chaque interrogation doit pouvoir répondre à ce que le CCRE appelle « l’analyse sexuée » pour éviter le cantonnement trop rapide pour chaque genre à des domaines supposés, (pas si) caricaturalement : aux femmes les poussettes et les soins, aux hommes les comptes, chantiers et transports. La mixité s’installe, depuis 2008, la municipalité a obtenu le label de l’AFNOR pour «l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes » décerné pour les efforts concrets engagés. À ce jour, cette ville est la seule à s’en prévaloir.