Car il ne faut pas l'oublier: si, en Europe, on a les yeux rivés sur le New York Times, le temps est révolu où celui-ci faisait la pluie et le beau temps. Aujourd'hui, des millions d'Américains se branchent sur ces talk shows conservateurs. La "talk radio" a émergé sur les ondes américaines dans les années 50 et 60. Donnant une place importante à l'animateur, ils mettent celui-ci en scène interagissant avec des auditeurs qui, plus qu'autre chose, lui servent à se mettre en valeur. De même pour les potentiels invités. Ces programmes touchent une audience nationale grâce au système de "syndication", qu'utilisent de nombreuses stations radios. En effet, il n'existe pas de station aux Etats-Unis couvrant tout le territoire (comme le font en France France Inter, Europe 1 ou RTL). Les plus grandes radios de la bande FM couvrent au mieux une région. Chaque programme est donc produit de façon générique et nationale (sans référence appuyée à la ville de production ou au contexte local) et "acheté" par ces stations locales, qui le diffusent quotidiennement. Certaines radios ne diffusent même que des talk-shows nationaux les uns après les autres, toute la journée... Ce qui au final donne à ces programmes un maillage national considérable.
Les conservateurs sont ceux qui ont su le mieux tirer profit de ce media, avec l'émergence dans les années 1990 d'émissions à succès. Fustigeant les prétentions d'objectivité de journalistes qu'ils considèrent comme des progressistes hypocrites, ils ont su conquérir une partie du public américain. Le premier à se distinguer dans ce rôle est Rush Limbaugh avec The Rush Limbaugh Show, créé en 1988. Ce programme de 3 heures est diffusé sur tout le territoire, et touche une audience de près de 15 millions de personnes par jour. Tout au long de l'émission, l'animateur s'en prend aux sujets du moment et y apporte son commentaire. S'en prenant régulièrement aux théoriciens du changement climatique, il parle de "groupes de scientifiques avec un agenda politique". Il dénonce également les "féminazi" et est plus que virulent contre les immigrants illégaux. En 2003, il a non seulement surfé sur la vague anti-française, mais il l'a même en partie menée... En 1994, les républicains ayant conquis le Congrès l'ont nommé "membre honoraire du Congrès", une demi-blague qui prouve une influence certaine...
Derrière lui se sont engouffrés dans la brèche des personnalités aussi abrasives et virulentes, adeptes du jeu de mot et de la caricature. Sean Hannity (également commentateur sur Fox News TV) présente chaque jour The Sean Hannity Show, où l'une de ses spécialités est de se confronter à des chroniqueurs progressistes, son jeu étant bien entendu de les pousser à devenir des caricatures d'eux-mêmes (le révérend Al Sharpton est l'un de ses meilleurs clients dans le domaine...). Michael Savage et son Savage Nation touche plus de 9 millions d'auditeurs par jour, qui ont droit à son attaque constante des "anti-patriotes" et qui, pour dénoncer leurs positions trop souples selon lui sur les immigrants illégaux, parle de Jorge Bush ou de Juan McCain... On peut aussi citer Neil Boortz, à tonalité plus "libertarian", et Laura Ingraham, une défenseur des valeurs traditionnelles de la famille et pourfendeur régulière d'Hillary Clinton.
Rush Limbaugh a su être le précurseur dans la création de "l'animateur-éditorialiste" et de "l'animateur-provocateur". Les personnalités de télévision plus connues en Europe, comme Bill O'Reilly, lui doivent beaucoup. Mais d'ailleurs, pourquoi parler de Rush Limbaugh plus que du fameux O'Reilly (qui a également un radio show, d'ailleurs)? Pour une raison simple mais profonde: si la télévision offre également des programmes de ce type et touche un public plus vaste, l'importance du "talk radio" s'explique par une pensée politique plus développée, plus idéologique et plus articulée. Alors qu'à la télévision le spectacle compte, la radio met malgré tout en avant le contenu, la substance. De plus, beaucoup de personnalités de télévision refusent de s'identifier comme faisant partie d'un mouvement politique (Bill O'Reilly se déclare "un indépendant et un bon citoyen", de même pour Lou Dobbs), les personnalités de radio n'hésitent pas à embracer et exposer leur philosophie. Ainsi, Rush Limbaugh, dans une tribune dans le Wall Street Journal en 2005, n'hésite pas à écrire: "j'adore être un conservateur. Nous autres conservateurs sommes fiers de notre philosophie".
Tout caricaturaux que puissent apparaître ces personnalités du monde des médias, il ne faut pas sous-estimer leur poids dans le processus politique. Ils sont très écoutés dans les zones suburbaines et rurales, par tous les "commuters" qui passent des heures dans leur voiture chaque jour. Leur style emporté et outrancier rend leurs émissions attirantes pour de nombreux auditeurs des classes moyennes et inférieures. Leur audience est d'ailleurs principalement composée d'hommes blancs, entre 35 et 55 ans, et de classe moyenne, ce qui correspond par ailleurs à l'un des électorats que se disputent les candidats à la présidentielle. Les candidats cherchent d'ailleurs dans la mesure du possible à se les accomoder. John McCain a été particulièrement actif à calmer les critiques de ces présentateurs qui ont été très durs avec lui (notamment sur le thème de l'immigration illégale).
Morale de l'histoire: voyagez aussi souvent que vous le pouvez dans la campagne américaine en écoutant la radio, et vous aurez le temps de découvrir le monde obscur mais puissant des conservative talk shows!
Signé: Amerigo