Eric Woerth se dit "soulagé" (Flash-actu du Figaro 24 juil. 2012). On le comprend car cette vilaine affaire le poursuit - une « casse-role supplémentaire » ! En marge de l’affaire Woerth-Bettencourt - depuis l’été 2010... Il nous répéta si souventes fois n’avoir rien à se reprocher, être blanc comme neige, etc. que le discours qu’il tient aujourd’hui n’a rien de bien surprenant. Est-il pour autant plus crédible aujourd’hui qu’hier ?
Oui, à l’en croire.
« Cette vente était légale et dans l'intérêt général de l'Etat. J'ai beaucoup été critiqué de façon injuste, c'est le moins qu'on puisse dire ». Il qualifie cette expertise de « point de vue objectif » se réjouissant que « ce rapport eût été fait à la demande de la gauche : la seule manière d’acquérir une certaine objectivité ». Un ancien ministre de Nicolas Sarkozy remerciant Jérôme Cahuzac, l’actuel ministre des Finances de Jean-Marc Ayrault, c’est assez rare en ce moment pour être souligné…
Il rappelle « Il y a eu de l'emballement et des arrière-pensées. Il y a beaucoup d'intérêts qui ont été agités pour me salir, je pense au transfert du siège de l'ONF sur Compiègne, qui est une autre histoire, au fond la vraie histoire »… Ah ? Bon… j’avoue que si j’ai suivi avec grande attention et dans tous ses méandres la cession contestable et contestée des 57 hectares de la forêt domaniale de Compiègne à la société gérant l’hippodrome - « du Putois » ! Comme si l’affaire n’était déjà puante à souhait… - cette information qu’il juge si capitale n’avait point été portée à ma connaissance.
Il se dit donc « zen sur le fond comme sur la forme ». Comme d’hab ! rappelant toutefois que « Ce n’est pas encore la fin car l’instruction se poursuit devant la Cour de justice de la République » - « Seule instance habilitée à juger d'éventuels crimes et délits commis par des ministres dans l'exercice de leurs fonctions » comme le rappelle fort opportunément un article de Julie Mendel sur Métro Hippodrome de Compiègne : Eric Woerth blanchi ? (24 juil. 2012). Le point d’interrogation s’imposant.
Même analyse sur Le Monde de la part de Gérard Davet et Fabrice Lhomme Eric Woerth reste sous la menace de la Cour de justice de la République (24 juillet 2012) qui ont certainement créé l’événement médiatique avec leur article faisant état d’un rapport favorable à Eric Woerth dans l’affaire de l’hippodrome de Compiègne (24 juillet 2012) et dont la plus grande partie de la presse, des médias en général et des blogueurs et autres twitters semblent s’être emparé comme s’il s’agissait - déjà - d’un quasi non lieu, lors même qu’ils ne faisaient que rendre compte du rapport en question, rappelant de surcroît tous les éléments de cette sulfureuse affaire… et les points douteux de ce rapport.
Quand bien même Jérôme Cahuzac - ministre des Finances - aurait-il affirmé selon l’Express Hippodrome de Compiègne : Woerth blanchi par une expertise (24 juil. 2012) que « L’analyse du professeur Terneyre - professeur de droit public, auteur du rapport - laisse peu de place à ce stade à une remise en cause de la cession » dans un courrier adressé le 23 juillet 2012 à Philippe Berger, secrétaire général du syndicat national unifié des personnels des forêts et de l'espace naturel, lequel avait formé - es qualité - un recours gracieux contre cette cession, estimant - selon toute évidence - que « le ministre du Budget avait enfreint la loi en organisant cette vente de gré à gré sans concurrence et en écartant le ministère de l'Agriculture et que cette vente devait être effectuée au plus vite afin de satisfaire Antoine Gilibert - ex-président de la SCC »... et sans nul doute généreux donateur du désormais fameux premier cercle, de l'UMP .
Nous n'aurions garde d'oublier à cet égard que de surcroît Florence Woerth ne se contenta pas de gérer la fortune de Liliane Bettentourt mais qu'elle est très précisément fort intéressée par les courses hippiques. Non seulement en tant que propriétaire d'une écurie de chevaux de course mais également très impliquée dans France-Galop comme divers articles l'indiquaient en son temps mais que je cite de mémoire n'ayant pas le temps de les rechercher.
Toutefois et d’abord, selon l’article de Métro - qui constate que « la polémique ne s’éteint pas » et c’est bien la tonalité générale des commentaires constatée sur un article écrit par Michel Dejean pour Mediapart Compiègne : une consultation qui soulage Eric Woerth (24 juil. 2012) - Jérôme Cahuzac qui affirme que « qu'Eric Woerth n'a commis aucune fraude en autorisant la vente de l'hippodrome » et qu’il « était dans son droit lorsqu'il a autorisé, par un arrêté du 16 mars 2010, la vente des 57 hectares de l'hippodrome du Putois à la Société des courses de Compiègne (SCC), dans l'Oise, pour 2,5 millions d'euros »… (en 2010 tous les observateurs de bonne foi remarquèrent qu'un tel prix était très nettement inférieur à ceux du marché !) ne se prive toutefois pas de mettre en garde son prédécesseur : « Si des instances en cours devaient faire apparaître des causes d'illégalité caractérisées, je me réserverai la possibilité d'intenter une action en nullité, laquelle reste possible au cours des trois prochaines années ».
Heureusement ! Quand bien même serais-je sans nul doute une toute petite juriste, comparée à un professeur de droit public de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour. Bref, de la France mais plus évidemment… de Navarre ! Comment ne point penser à Pascal : « vérité au-là des Pyrénées » ?
Je constate néanmoins qu’au regard de tous les arguments de droit qui furent développés à l’époque contre cette décision et auxquels l’adhérais parfaitement pour m’être suffisamment intéressée au cours de mes études juridiques aux questions d’urbanisme (matière de maîtrise de droit public) la démonstration de Philippe Terneyre ne tient pas du tout la route, compte tenu de la législation et de la réglementation s’agissant de la cession d’une part non négligeable du domaine de l’Etat.
Aurait-il raison contre Jean-Louis Nadal - ancien procureur général auprès de la Cour de cassation - et donc praticien émérite du droit ? Je le pense d’autant moins que parmi les enseignants que j’eus la chance d’avoir à la Fac de Villetaneuse, de la première année jusqu’à celle de maîtrise - en cours magistraux comme en travaux dirigés (TD) - les meilleurs furent toujours ceux qui avaient une activité sur le terrain (avocats auprès de la cour de Cassation ou du Conseil d’Etat, notamment). J’eus bien garde de n’oublier jamais ce conseil avisé donné par Jean-Marc Sorel, alors doctorant et chargé en première année du TD de droit constitutionnel : « vous devez désormais raisonner en juriste ». Je ne m’en départis jamais…
Je reprends donc les réponses fournies - en seulement 22 pages - comme le souligne a bon droit Michel Deléan sur l’article de Mediapart déjà cité. « Commande singulière qui ne se base, il est vrai, que sur l’étude des documents fournis par l’administration »… Comme si Bercy allait se déjuger ! A contrario donc tant des conclusions de Jean-Louis Nadal que du rapport (65 pages) de Nicole Bricq qui avait contesté cette cession en mars 2011...
Je ne saurais oublier les leçons de l’Histoire. Par principe et depuis l’Ancien Régime, le domaine royal est par nature incessible. Les monarques pouvaient concéder des provinces ou autres territoires en apanage - généralement à leurs descendants non fieffés, souvent des bâtard - mais ceux-ci devaient réintégrer le domaine de la Couronne au moment de leur mort ou n’être considérés toujours que comme domaines concédés à titre précaire à leurs descendants. De même que les concessions de ce que nous nommerions aujourd’hui de « services publics » - contre argent sonnant et trébuchant - à des « partisans » - entendre ceux qui étaient partie à un contrat avec l’Etat, « fermiers généraux » (récoltant les impôts) ou autres fournisseurs des armées, pour l’essentiel.
Or, et selon ce tout ce que j’avais lu en 2010 et par la suite, il me semble que Philippe Terneyre se trompe lourdement en estimant que « Que la vente n’avait pas besoin d’être au préalable autorisée par une loi, car les parcelles en cause ne constituaient pas une forêt ». Argument démenti par les simples faits. 57 hectares d‘un seul tenant, ce n’est quand même pas un lopin de terre !
De même qu’en affirmant que « la vente pouvait légalement être réalisée sans désaffectation ni déclassement, car les parcelles en cause ne constituaient pas des dépendances du domaine public de l’État »… Raisonnement proprement ahurissant et totalement contraire à tout ce que l’on m’enseigna.
MERDALORS ! Si une forêt domaniale n’appartient pas précisément au domaine public de l’Etat, sans même qu’il fut question de « dépendances » j’aimerais bien qu’un véritable juriste, spécialisé dans ces questions me l'expliquât - je pense notamment à mon grand maître en la matière - aussi bien au Panthéon-Sorbonne où il assurait les cours du centre audio-visuel des Universités de Paris qu’à Villetaneuse en licence de droit, Jean Dufau, auteur d’un remarquable ouvrage sur « Le domaine public » qui fait le tour de la question et dont les cours étaient d’autant plus remarquables qu’il les illustrait d’exemples concrets dont il avait eu à connaître.
Il était seulement dommage qu’ils fussent souvent interrompus par de sévères quintes de toux de fumeur impénitent. Si j’avais osé je serais allée le voir à la fin des cours - il s’attardait volontiers - lui recommander de prendre du sirop homéopathique « Stodal » particulièrement efficace et totalement dénué d’effets secondaire. Prescription d’ex-infirmière, fumeuse de surcroît. ..
« Que la vente pouvait être réalisée de gré à gré avec l’occupant historique, car les conditions particulières d’utilisation des parcelles justifiaient, en droit, le recours à une telle procédure en application de l’article R 129-5-5 du CDE ». Je ne rentrerais pas dans le détail mais j’avais lu en son temps le contraire et au demeurant, les ventes de gré à gré - dans tous les contrats publics - sont soumises à des critères de seuil quant aux prix qui me semblent dépasser largement le montant de la cession. Mais nous savons qu’en Sarkozie les règles et les principes les plus élémentaires du droit furent allègrement foulées aux pieds.
« Qu’une action de l’État en nullité de la vente devant un tribunal administratif ne pourrait donc être fondée que sur un prix manifestement erroné, action qui au demeurant n’exclurait pas, de la part de l’acheteur, une action réciproque en dommages et intérêts à l’encontre de l’État pour les éventuels préjudices subis du fait de la faute commise par ce dernier à avoir conclu un contrat nul ».
Bref, c’est du « Toto fais-moi peur ! » ou selon Mediapart « Circulez, y’a rien à voir conclurait presque le professeur de droit ».
Permettez-moi seulement de penser qu’il se fiche digito in oculo. En droit public comme en matière de droit civil - droit des obligations et contrats (articles 1308 et suivants) il est tout a fait possible de rescinder - déclarer nul et non avenu - un contrat lésionnaire pour une des parties. Quant à opposer une action en dommages et intérêts pour réparation des éventuels préjudices subis du fait de la cause d’une faute commise par l’Etat, permettez-moi de rigoler un bon coup !
Il faudrait qu’ils n’eussent pas été complices, ce qui m’étonnerait fort… Or donc, ils pourraient bien repartir la queue entre les jambes car en toute logique devrait leur être opposé l’adage constant de la jurisprudence « Nemo auditur turpitudiem propriam allegans » (nul ne peut être entendu qui allègue sa propre turpitude) qui, associé à cet autre adage « In pari causa turpitudinis cessat repetitio » (« Il n’y pas à lieu à répétition si les deux parties sont pareillement associées à la turpitude ») interdit au contractant se prévalant de sa turpitude - ou considéré comme tel par les juges du fond, souverains en la matière - d’obtenir la restitution de la prestation qu’il a fournie ou a fortiori d’obtenir réparation d’un préjudice, surtout si l’on y associe les règles - tout aussi jurisprudentielles - de la « répétition de l’indu »… Leurs yeux pour pleurer !
Wait and see. Mais croyez bien que les règles et grands principes du droit administratif - qui n’a été forgé que par la jurisprudence du Conseil d’Etat - qui a toujours su faire son miel des solutions dégagées par la jurisprudence civile lorsqu’il en était besoin comme nous l’avons vu avec la responsabilité l’Etat et de ses agents - avec ou sans faute - ces vingt dernières années, pour le bien des justiciables. En ayant garde d’oublier les grandes figures du droit administratif. Je pense notamment aux Duguit, Hauriou et autres Romieu ou Léon Blum quand il fut membre du Conseil d’Etat. Mais Philippe Terneyre les connaît-il mieux que Jean Dufau ? Sa démonstration permet d’en douter.
Enfin, pour reprendre toutes les critiques particulièrement acerbes contre la position de Jérôme Cahuzac que j’ai lues en diagonale sur l’article de Mediapart et qui consistent grosso modo à dire que cette prétendue gauche ne vaut pas mieux que la droite qu’elle vient de remplacer. Il me semble que dédouaner ainsi Eric Woerth ne rend nullement service à la démocratie - j’ai vu le mot « mafiocratie ! » et à la République. Certains affirmant que c’est ouvrir tout grand le chemin à Marine Le Pen.
Cela me semble au demeurant tout à fait contraire aux ambitions affichées récemment par François Hollande et Jean-Marc Ayrault avec la création d’une commission de moralisation et de rénovation de la vie politique dont la présidence est confiée à Lionel Jospin (Dépêche Reuters 14 juil. 2012) ainsi que les récentes tentatives d’instaurer une « transparence » sur la rémunération des députés, ce qui ne semble d’ailleurs pas aller de soi !